Dans une ville évacuée de sa population pour d’obscures raisons, quelques personnes ont décidé de rester. La mannequin Gim n’a pas voulu quitter son compagnon, Alvaro, qui vit dans une somptueuse villa avec des personnalités excentriques. On apprend alors qu’un assassin récidiviste a décidé de frapper à nouveau, et qu’il choisit ses victimes parmi les plus belles femmes de la ville. Le Professeur, un expert en criminologie, est le seul capable d’aider Gim à échapper au meurtrier.
Fata Morgana est un des films fondateurs de l’Ecole de Barcelone, sorte de pendant espagnol de la Nouvelle Vague française. Vicente Aranda s’inscrit pleinement dans les préoccupations qui ont mené à la création de ce mouvement. Après un exil de quelques années au Vénézuela, Aranda fait son retour en Espagne à la fin des années 50 avec le désir de devenir réalisateur. Faute d’avoir effectué des études secondaires, il ne peut intégrer l'École de cinéma de Madrid et devra donc faire son apprentissage en autodidacte. Il en résulte Brillante porvenir (1965), coréalisé avec Roman Gubern mais dont le contenu froissera la censure franquiste qui y fera des coupes significatives et en limitera la diffusion. Pour Fata Morgana sorti la même année, Aranda décide donc de changer son fusil d’épaule et par la même pose plusieurs principes de l’Ecole de Barcelone. Si les films n’ont pas la possibilité de se montrer audacieux sur le fond, toute l’inventivité et volonté d’expérimentation devra donc s’exprimer sur la forme et s’éloigner du style conventionnel des cinéastes madrilène.
Fata Morgana se caractérise ainsi d’emblée par sa stylisation et son épure. Il y a tout d’abord l’épure de cette ville (Barcelone bien qu’elle ne soit pas nommée,) désertée, l’épure du contexte avec de supposés « évènements de Londres » comme raison de cette cité fantôme, et enfin l’épure des différents personnages à la caractérisation minimalistes. Gim (Teresa Gimpera), une belle et jeune mannequin est demeurée dans la ville abandonnée, et durant ses déambulations fait la rencontre de différents protagonistes masculins à la séduction insistante et inquiétante. Elle noue également une curieuse relation « fuis moi je te suis, suis-moi je te fui » avec Alvaro (Alberto Dalbés), lui-même englué dans une cohabitation avec Miriam (Marianne Benet), jeune femme obsessionnelle quant à un compagnon absent, Jerry. Cette intrigue minimaliste semble être un squelette archétypale des relations homme/femme dans ce qu’elles ont de plus toxique. Tous les schémas les plus néfastes de la romance ou de la simple tentative de rapprochement s’incarnent dans le film. Groupe d’hommes agissant en meute et traquant les femmes, agression physique et verbale, insistance agressive ou indifférence cruelle caractérisent les tares des hommes. Caprices, jalousie intempestive et obsession amoureuse tutoyant la folie est ici l’apanage des femmes. Ces aspects là semblent former une boucle narrative qui font de la ville une sorte d’espace mental, et des déambulations des personnages un éternel recommencement signifiant l’impasse inextricable de ces rapports hommes/femmes – au cœur de chefs d’œuvres à venir du réalisateur comme Je veux être femme (1977), Amants (1991) ou Libertarias (1996). Si l’on devine l’inspiration, Aranda évite le plagiat de d’autres grands films labyrinthes que sont notamment L’Année dernière à Marienbad d’Alain Resnais (1961) ou Alphaville de Jean-Luc Godard (1965). Le réalisateur orne le film d’un écrin psyché pop du plus bel aloi dans ce qui se veut une espèce de dystopie insaisissable. Les fantômes du futur giallo plane mais la principale inspiration est la bande-dessinée dont le fumetti italien (avec le générique d’ouverture comme note d’intention), avec ses intérieurs art-déco, ses objets pop art, l’élégance papier glacé des figures féminines, le tout formant un fascinant décalage avec l’urbanité plus réaliste de Barcelone. Le discours du mystérieux professeur (Antonio Ferrandis) semble exprimer une inexorable fatalité de ce rapport hommes/femmes avec l’assassinat annoncé de Gim. Les femmes semblent les victimes perpétuelles dans leur chair et leur esprit de ces sentiments torturés et les hommes se font observateurs, acteurs ou sauveteurs impuissants de liens passionnés ne pouvant s’accomplir que dans la violence et la mort. Une des inspirations du film est l’actrice Teresa Gimpera, mannequin professionnelle célèbre à l’époque et jouant ainsi son propre rôle d’objet propre à être admiré et symboliquement comme concrètement capturé par les hommes ivres de désir pour elle. Les séquences de traque urbaine ainsi que celle où un groupe de jeunes hommes découpent son image publicitaire pour l’installer dans leur repaire est éloquente. Fata Morgana est un film fascinant mais indéniablement opaque qu’il faut savoir apprivoiser, sa beauté formelle étant un sacré atout pour y parvenir.Sorti en bluray et dvd français chez Artus Films
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