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dimanche 20 novembre 2022

Cambio de sexo - Vicente Aranda (1977)

Dans sa famille ou à l’école, José Maria, un adolescent de dix-sept ans, sensible et intelligent, ne trouve pas sa place et se voit rejeté et montré du doigt pour son manque de virilité. Il prend peu à peu conscience de son désir de devenir une femme...

Cambio de Sexo est une date essentielle dans le traitement de la transidentité au cinéma. Le film s’avère pionnier par son sujet, mais également par son contexte de production. Le film sort en 1977, soit deux ans après la mort de Franco et s’inscrit dans une période de transition démocratique où le cinéma espagnol, pas encore entré dans la folie libertaire de la movida des années 80, peut néanmoins aborder des sujets plus sulfureux. Vicente Aranda fait justement parti des réalisateurs qui vont s’engouffrer dans cette brèche, après une filmographie initiale masquant sa subversion sous les codes du cinéma de genre dans des films comme Les Cruelles (1969) ou La Mariée sanglante (1972). Vicente Aranda fait partie de « L’école de Barcelone », mouvement informel de cinéastes catalans constituant durant les années 60 un pendant espagnol à la Nouvelle Vague française ou au Free Cinema anglais. L’objectif était également de bousculer un cinéma local institutionnel représenté par les films en studio tournés à Madrid, et à force d’expérimentations formelles et de sujets audacieux – dans le périmètre restreint de la dictature franquiste – quelques cinéastes en émergèrent qui furent les premiers à signer des œuvres à fort retentissement lors de la transition démocratique tel au Bigas Luna au début tonitruant avec les provocateurs Bilbao (1978) et Caniche (1979).

 L’idée de Cambio de Sexo émerge cependant dès 1972 dans l’esprit de Vicente Aranda après avoir lu un article de Le Nouvel Observateur dépeignant la mort d’un homme transgenre durant son opération de changement de sexe. Le projet ne se concrétise qu’en 1976 et Aranda engage dans le rôle principal une toute jeune Victoria Abril. Le ton et l’originalité du film tient grandement de l’absence, du tabou voire de la législation stigmatisante de ces problématiques de genres et d’homosexualité en Espagne et de façon plus générale dans la société occidentale – l’homosexualité ne sera plus considérée comme un délit à partir de 1978 en Espagne, il faudra attendre 1982 pour la France. Nous suivons donc José Maria (Victoria Abril), adolescent de dix-sept ans, littéralement sans repères ni appui alors que depuis l’enfance il s’est toujours senti femme dans ce corps masculin. Aranda dans son filmage ainsi que Victoria Abril dans son jeu se gardent bien de forcer les attitudes affectées dans la caractérisation de José Maria. Victoria Abril arbore une présence parfaitement androgyne apte à faire illusion à l’époque, l’actrice étant encore inconnue et pas associée à l’image plus sexy qu’elle aura par la suite - la mue s’effectuant même durant le récit. José Maria est simplement un jeune homme sensible ne correspondant pas aux canons de virilité supposé définir l’identité masculine de cette Espagne des années 70. Cela suffit à le stigmatiser au lycée et bientôt dans la cellule familiale, l’institution scolaire craignant la « contagion » et le père (Fernando Sancho) le qu’en dira-t-on. 

Les tentatives de faire de José Maria un homme, un vrai, s’avère aussi risibles que douteuses, questionnant sur ce qu’est le sens profond de l’identité masculine. Elle ne s’avère que primaire en contraignant José Maria à prendre de l’épaisseur physique par des travaux ruraux, et douteuse lors du « rituel de passage » lorsque son père voudra le dépuceler avec une prostituée. Vicente Aranda introduit l’identité féminine, puis l’attirance pour les hommes de José Maria de façon plus progressive et subtile. Victoria Abril dans sa démarche, ses attitudes et sa délicatesse n’est pas filmée comme une sorte de cliché d’homosexuel précieux, mais davantage comme une personne gauche, mal à l’aise avec son corps. Une femme gênée aux entournures dans un corps d’homme qui n’est pas le sien. Ce n’est qu’après avoir bien inséré implicitement cette notion chez le spectateur qu’Aranda aborde frontalement le thème de la transidentité (dont un aperçu cru est néanmoins vu en amont durant un spectacle de cabaret) pour son personnage. 

José Maria dans l’anonymat des ruelles de Barcelone expérimente ainsi le travestissement féminin et, soudain, tout devient plus naturel dans son langage corporel, assurance et rapport aux autres. Un des éléments intéressant du récit sera que le conflit arrive toujours par le rapport aux hommes. C’est le cas avec son père qui la rejette en découvrant sa « perversion » et en ayant échouer à la guérir, mais aussi avec les hommes qu’elle attire qui deviennent violent et se sentent comme souillés dans leur masculinité en identifiant le genre biologique plutôt qu’intérieur de leur attrait. A l’inverse toutes les figures féminines, de la sœur Lolita (Maria Elias) à la logeuse Pilar (Rafaela Aparicio), la soutiennent dans son hésitante persona masculine et la reconnaissent comme l’une des leurs avec complicité et bienveillance dans son identité féminine. Ce schisme détermine de façon implicite une société déterminée par des codes patriarcaux, avant tout masculins.

Ce dernier point est d’ailleurs fondamental puisque, José Maria/Maria José, tout comme son amie et modèle Bibi Andersen, définissent leur nature de femme par une affirmation plus outrée de cette féminité. Tout comme les hommes exacerbent ce qu’ils estiment définir leur masculinité par le machisme, les femmes transgenres du film, par un apprêt recherché, une attitude plus fantasque, semblent vouloir compenser par l'incarnation physique leur « handicap » biologique ». C’est dans un premier temps un exemple à suivre à travers Bibi Andersen, un modèle de transidentité assumée qui renforce Maria José dans son choix. Vicente Aranda après avoir découvert Bibi Andersen dans un de ses spectacles, l’ajouta spécifiquement à son scénario cette vraie femme transgenre qui s’assumait publiquement et fut moteur social de cette transition démocratique aux yeux de l’opinion. Aranda lui offre là son premier rôle au cinéma avant qu’un Pedro Almodovar contribue plus grandement à sa renommée dans Matador (1986), La Loi du désir (1987), Talons aiguilles (1991) et Kika (1993). Ce personnage amène donc Maria Josée à pleinement endosser sa féminité par le prisme du monde du spectacle et du cabaret. 

Cette sur-féminité par le filtre scénique a quelque part une dimension impudique et douloureuse où, en clou du strip-tease la femme doit déstabiliser son audience émoustillée en révélant ses attributs masculins. Le divertissement ne repose pas sur cette féminité qu’elle doit endosser, mais sur un « monstrueux » entre-deux qui doit choquer le public. Vicente Aranda capture avec une grande pertinence cette ambiguïté dans ses effets de full frontal assez chocs. Cette subtilité lui évite de commettre l’erreur que fera plus tard un Bertrand Blier dans son Tenue de soirée (1986) en considérant que l’homosexualité, le travestissement et en définitive la prostitution constitue une suite logique pour ces marginaux en quête d’eux-mêmes. Aranda ne fait jamais ce raccourci et Victoria Abril est réellement poignante dans l’expression des tourments physiologiques et psychiques de cette situation. Elle s’égare dans les accords grammaticaux qui définissent son genre, laisse ressurgir la part de masculin qui ne l’a jamais quittée dans ses sautes d’humeurs, et souffre de ne pas pouvoir pleinement vivre l’amour en tant que femme.

La dernière partie du film est un peu abrupte dramatiquement dans sa manière d’amener l’ultime étape du parcours de Maria Josée, l’opération chirurgicale qui fera biologiquement d’elle une femme. Si l’issue de la romance avec Duran (Lou Castel) est un peu trop survolée, le film fait vraiment dans ces dernières minutes figure de documentaire informatif pour le grand public du processus de transition. Les tests psychologiques, les étapes de l’interventions dans le détail, tout nous est longuement expliqué de façon didactique achève de faire de Cambio de Sexo une œuvre réellement en avance sur son temps. Vicente Aranda pose un regard réaliste, jamais stigmatisant et toujours bienveillant sur la transidentité, se refusant même à reproduire l’issue tragique du fait divers qui l’a inspiré pour au contraire nous laisser sur une magnifique note d’espoir. 

Ressortie en salle le 23 novembre

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