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lundi 28 novembre 2022

An Amorous Woman of Tang Dynasty - Tong chiu ho fong nui, Eddie Fong (1983)


 Les derniers mois de la vie de Yu Hsuan Chi, prêtresse et poétesse taoïste, engagée dans un combat féministe qui parfois va la dépasser…

An Amorous Woman of Tang Dynasty s’inscrit dans la volonté de renouveau du studio Shaw Brothers au début des années 80. L’heure est à des sujets sociaux plus brûlants, une esthétique plus moderne et percutante, un terrain qu’occupent des maisons de productions comme D&B ou Cinema City qui contribueront grandement à l’émergence de la Nouvelle Vague hongkongaise. La Shaw Brothers va justement recruter certains des talents du mouvement dans des œuvres se voulant différents par leur facture et/ou leurs thèmes, que ce soit Ann Hui pour la romance historique Love in a fallen City (1984) ou encore Clifford Choi sur le drame social Hong Kong, Hong Kong (1983). C’est dans ce contexte que Eddie Fong sera recruté par le studio afin de réaliser An Amorous Woman of Tang Dynasty. S’il s’agit de sa première réalisation, Eddie Fong est néanmoins un acteur majeur de la Nouvelle Vague hongkongaise puisqu’il fut scénariste de L’Enfer des armes de Tsui Hark (1980), Nomad de Patrick Tam (1982) ou encore Coolie Killer de Terry Tong. Il partage le même parcours que les plus illustres membres du mouvement avec des débuts à la télévision, et se fera surtout connaître ensuite pour la fructueuse collaboration qu’il entamera avec sa compagne Clara Law à la réalisation et lui au scénario pour des réussites majeures du cinéma d’auteur hongkongais des années 80/90 – The Reincarnationof Golden Lotus (1988), Farewell China (1990, Autumn Moon (1992).

An Amorous Woman of Tang Dynasty se partage entre un penchant pour le cinéma d’exploitation, et plus précisément son créneau érotique part entière de la production de la Shaw Brothers, et cette dimension moderne auteuriste que souhaite entretenir le studio. Tout le film se partage entre ces deux approches dans le fond comme la forme. Pour le fond, le film évoque la vie de Yu Hsuan Chi (Pat Ha), femme émancipée ayant vécu durant la dynastie Tang (618 – 907) connue pour avoir été poétesse et nonne taoïste. La trame du film évoque dans les grandes lignes les faits connus à son sujet, le scénario d’Eddie Fong cherchant à dresser d’elle le portrait d’une femme moderne en son et de ses contradictions. Le film s’ouvre sur son intégration en tant que prêtresse taoïste, déjà un choix qui l’éloigne d’un destin tout tracé. Concubine d’un riche lettré, elle choisit au grand désarroi de ce dernier la voie de l’étude et du savoir, renforçant ainsi sa déjà immense réputation de lettrée et poétesse. Cet intellect supérieur n’en fait pas moins une femme riche de désir et de fantasme, le cadre du monastère constituant finalement une autre forme de carcan moral, après celui patriarcal dont elle a voulu s’extraire. Chaque fuite en avant de Yu Hsuan Chi se place sous le signe de ses élans charnels, prétexte idéal à introduire plusieurs séquences érotiques.

Cependant l’approche thématique d’Eddie Fong ne fait pas de ces moments des apartés coquins gratuits, mais bien le portrait du personnage et de son époque. Ainsi passé la découverte du monastère taoïste dont on assène avec ardeur les règles morales à notre héroïne, on en découvre un envers bien moins reluisant. Les monastères s’avèrent des lieux de rendez-vous entre des nonnes peu farouches et des nantis, mais lorsque Yu Hsuan Chi assume jusqu’au bout cet état en s’amourachant à l’extérieur du guerrier Tsui Po-Hau (Alex Man), elle sera sanctionnée. Lorsqu’elle « pervertira » de l’intérieur le monastère en ayant une relation lesbienne avec sa suivante Lu Chiao (Monica Lam), elle en sera définitivement exclue. Dès lors elle vivra de ses charmes et de son art, sa maison devenant le lieu de rencontre des débauchés de tout bord, marchands, intellectuels ou moines. Yu Hsuan Chi vit ses amours aux grands jours, se moquant du jugement moral et refusant toute soumission à un homme. Les quelques-uns se risquant à payer ses faveurs sont repoussés, par refus de toute emprise masculine et notamment matérielle sur elle. 

Cette liberté se heurte cependant à des contradictions dans l’attitude même de Yu Hsuan Chi, mais aussi face au monde qui l’entoure. Elle développe une forme d’arrogance en malmenant les velléités chastes du moine taoïste Yung (Poon Chun-Wai), fait montre sans le percevoir de la même emprise sociale et sexuelle que les hommes sur sa suivante Lu Chiao. Mais surtout, elle est dans le déni en s’affirmant libre de toute attache alors qu’elle espère toujours inconsciemment retrouver les bras virils de Tsui Po-Hau. Celui-ci est en quelques sorte son pendant masculin, masquant tout élan sentimental sous son destin de grand guerrier. Les aspirations féministes ou virilistes se voient renvoyées dos à dos quand elles deviennent des postures, des carcans à même d’étouffer les désirs sincères et profonds des protagonistes. 

Ces émotions étouffées ne se révèleront donc que dans les scènes de sexe. Eddie Fong conçoit un écrin sensuel au carrefour de plusieurs influences. Les compositions de plans dans leur savant mélange de stylisation picturale et de réalisme renvoient au cinéma japonais, terrain fertile du cinéma érotique dans les années 70 (Pinku Eiga de la Toei, Roman Porno de la Nikkatsu) et que le film rappelle notamment par ce croisement cette sexualité prononcée dans un contexte historique fidèle et identifié. Le dévoyé et le stupre viennent constamment s’insérer dans la solennité de la reconstitution, ou le sacré des lieux où les étreintes se font – la scène lesbienne dans le monastère. Pat Ha déjà insolente de sex-appeal dans le Nomad de Patrick Tam, fait montre d’une langueur, sensualité et abandon de tous les instants dans les nombreuses scènes de sexe. Mais sa prestation est dans la parfaite continuité de la volonté d’Eddie Fong, cette sexualité décomplexée est autant une armure qu’une exposition de ses sentiments, une démonstration de puissance comme la révélation de sa vulnérabilité.

Eddie Fong adopte cette approche formelle hiératique et chiadée (qui fait ressurgir le sous contrôle des tournages studios de la Shaw Brothers) quand le sexe paraît maîtrisé par les protagonistes, et retrouve l’esthétique heurtée plus Nouvelle Vague Hongkongaise quand la situation leur échappe. L’attaque de brigands qui vont abuser de Yu Hsuan Chi et sa maisonnée est un pur moment de chaos, la caméra à l’épaule capturant l’infamie avec le même sens de la confusion que les quelques duels de sabre qui parcourent l’histoire. Une nouvelle fois ce dispositif renvoie aux contradictions des protagonistes. Yu Hsuan Chi dans cet instant cauchemardesque espère puis se réjouit de l’arrivée héroïque de Tsui Po-Hau, et ce dernier sous le détachement affiché surgit avant tout pour sauver sa bien aimé. Pourtant dans les retrouvailles plus calmes qui suivent, tout deux s’en défendent, ou du moins ne se l’avouent implicitement que dans le rapprochement érotique. 

Le film coupé au montage par la Shaw Brothers (le montage initial faisait dans les 3 heures) souffre de quelques ellipses abruptes, mais qui participent tout compte fait à cette impression de long songe onirique, voyant la soie des robes se frôler, les peaux moites se coller. Eddie Fong se montre fidèle à l’issue tragique de Yu Hsuan Chi, qu’il plie à sa vision du personnage puisque mariant dans un dernier souffle la quête de liberté et d’amour de cette dernière. An Amorous Woman of Tang Dynasty par la grâce d’un équilibre ténu parvient à nourrir son cahier des charges érotique d’un vrai regard d’auteur – contrairement à des descendants entre rococo et érotisme comme Sex and Zen de Michael Mak (1991) et ses suites. En 1993, Eddie Fong offrira en proposera une sorte de variation avec Temptation of a Monk réalisé par Clara Law et dont il signe le scénario, film où l’on adopte cette fois le point de vue du moine tenté par la chair.

Sorti en bluray et dvd zone   français chez Spectrum Films

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