Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
La lutte de Juarez contre l'empereur Maximilien de Habsbourg impose par Napoleon III au Mexique.
Juarez est le troisième film de la
fructueuse collaboration entre William Dieterle et l'acteur Paul Muni
qui s'associent durant la fin des années 30 sur plusieurs biopics
prestigieux. La Vie de Louis Pasteur
(1936) avait initié le cycle avec succès commercial et récompenses
prestigieuses à la clé (Oscar du meilleur acteur pour Paul Muni, ainsi
que de la meilleure histoire et du meilleur scénario), suivi de La Vie d'Émile Zola
(1937) tout aussi bien accueilli avec des Oscars du meilleur film, du
meilleur scénario et du meilleur second rôle masculin. Le projet de
Juarez est pensé dès 1935 par le producteur Hal B.Wallis qui le
concrétisera grâce au ticket gagnant Dieterle/Muni qu'il engage bien sûr
pour le mettre en œuvre. Le scénario coécrit par Æneas MacKenzie (pour
le premier jet), John Huston et Wolfgang Reinhardt (pour les révisions)
s'inspire, en dehors bien sûr des éléments historiques réels, de deux
sources pour son orientation, la pièce Juarez and Maximilian de Franz Werfel et le roman The Phantom crown
de Bertita Harding. Comme toujours dans les productions historiques de
Hal B. Wallis, la volonté de véracité aux faits est fondamentale et dans ce
souci de rigueur, il traversera le Mexique en août 1938 avec William
Dieterle, visitant le musée national de Mexico (où sont entreposés
effets et correspondance de Benito Juarez), explorant plusieurs petites
villes théâtres de certaines batailles. Paul Muni croisera même durant
le périple un vieillard de 116 ayant combattu aux côtés de Juarez et qui
lui donnera de précieux renseignements sur son attitude, sa gestuelle.
L'acteur poussera d'ailleurs loin cette volonté de mimétisme physique
avec un impressionnant maquillage offrant une remarquable ressemblance
avec son modèle et nécessitant trois heures de travail, au point
d'irriter Jack Warner ne pouvant même pas exploiter l'image de sa star
pour la promotion.
Le film d'une grande fidélité historique s'ouvre sur un moment-clé de
l'histoire du Mexique. Avec la victoire des nordistes durant la guerre
de Sécession américaine, l'empereur Napoléon III (Claude Rains) qui
espérait celle des sudistes voit ses intérêts menacés dans ses desseins
de conquête du Mexique. Pour destituer le président républicain en place
(et rédacteur de la constitution républicaine) Benito Juarez (Paul
Muni), il décide d'installer un souverain européen en la personne de
Maximilien de Habsbourg (Brian Aherne). Dès ces premières minutes le
côté didactique et rigoureux se ressent dans la mise en place aisément
compréhensible du contexte, dans l'explication de certaines subtilités
politiques. Ainsi le référendum factice servant à installer Maximilien
est mis en place pour contourner la doctrine Monroe, spécificités de la
politique étrangère américaine interdisant toute intervention européenne
dans les affaires « des Amériques » (Nord et Sud). Par la suite, tout
le film sera un long parallèle à distance entre Maximilien et Juarez
dans la conquête du pays. D'ailleurs le titre a beau être Juarez (le titre français de l'époque Juarez et Maximilien
étant plus justifié), ce dernier en termes d'importance et même
d'intérêt dans le récit est assez trompeur. Le Juarez incarné par Paul
Muni est bien trop parfait, stoïque et sentencieux pour susciter
l'empathie du spectateur quand Maximilien vulnérable et pétri de
contradictions s'avère bien plus intéressant.
Cette différence est en
partie voulue par le scénario afin de tracer une opposition
intéressante. Juarez par ses origines pauvres, son ethnie indienne et le
fait de s'être élevé à la force du poignet, ressemble au peuple qu'il
gouverne, ne se place pas au-dessus d'eux et recherche l'égalité des
droits dans sa république. Maximilien possède une prestance innée dû à
son ascendance noble, des traits presque angéliques qui lui confère
l'aura de divinité du monarque et subjugue ses interlocuteurs. Cependant
de manière paradoxale tout le film ramène le supposé surhomme
Maximilien à son humanité quant à l'inverse Juarez l'homme du peuple
s'orne d'un charisme surnaturel, d'une éloquence et autorité, d'une
confiance quasi omnisciente sur la tournure des évènements. Si ce
schisme est passionnant, il détache totalement Juarez et sa cause juste
du spectateur en ne lui montrant strictement aucune faille. Les péons
ont beau avoir la possibilité de s'adresser à lui spontanément et en
égaaux, il les écrase plus qu'il ne les convainc de son savoir et c'est
davantage le contexte social bien posé du script qui justifie son
action. Le parallèle rend plus touchants la dévotion et l'échec de
Maximilien que les réussites hypertrophiées (même si sans doute
justifiées historiquement) de Juarez tel ce moment incroyable où il
pétrifie du regard les gardes du dissident Uradi (Joseph Calleia) prêts à
le fusiller.
La différence entre le disgracieux mais pragmatique Juarez et le beau
mais naïf Maximilien se justifie par le rêve entretenu par le second, et
l'ambition concrète visée par le premier. Cela passe par le décor où
toutes les scènes (de réunions, de réflexions...) de Juarez se déroulent
dans des espaces restreints, à l'éclairage diffus, ses voyages ne se
font que par des moyens limités, tout cela le plaçant au cœur du peuple
et de ses préoccupations. Tout le faste hollywoodien se déploie au
contraire pour magnifier Maximilien, l'arrivée au Mexique, la scène de
couronnement grandiose et les déambulations dans le somptueux décor du
palais servant un monarque qui par là même ne comprend pas forcément les
attentes de ses sujets. Les aspirations profondes des deux figures
ne sont pourtant pas si éloignées comme le montrera la belle joute
verbale à distance où Maximilien voit un avantage à ses préceptes nobles
pour diriger le pays sans aspirations personnelles quand Suarez voit
justement dans la démocratie toute l'impartialité du dirigeant
entièrement soumis au peuple.
Cet élément fondamental les différencie
alors qu'une même volonté de servir les plus démunis les animent comme
le montreront plusieurs scènes. Mais le problème reste le même à
l'échelle du film, c'est sentencieux et froid dans les réussites de
Juarez et vibrant et touchant dans les échecs de Maximilien. C'est
vraiment lui qui inspire les plus beaux instants de lyrisme du film,
notamment par le rôle modeste en temps de présence mais essentiel dans
la caractérisation de Carlota (Bette Davis) impératrice et épouse. Bette
Davis traversait à ce moment une passe difficile, fraîchement divorcée
au début de la production et souffrant d'une pleurésie qui écourte voire
annule certaines journées de tournage. Cet état de fébrilité n'en rend
que plus intense son interprétation de Carlota, support fragile de
Maximilien mais à la raison vacillante quand les évènements tourneront
mal. La scène où elle perd l'esprit en appelant son époux et se perdant
dans le noir, le montage alterné entre sa folie manifeste face à la
lumière d'une fenêtre et l'exécution de Maximilien, tout cela déploie de
grands moments de mélodrames où le style de Dieterle fait merveille.
Le triomphe de Juarez ne trouve une certaine emphase que lors de la
conclusion, non plus en contrepoint mais en mimétisme amer de la
faillite de Maximilien une nouvelle fois montré comme tristement
romantique et chevaleresque jusqu'au bout quand Juarez "s'excuse"
d'avoir fait primer la raison d'état - et ne devient grand, ne s'humanise qu'en découvrant enfin à son tour le regret et le doute. Un biopic très intéressant donc
même dans ses imperfections, et où le "héros" n'est pas celui que l'on
croit.
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