Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 8 novembre 2022

Beijing Rocks - Bak Ging lok yue liu, Mabel Cheung (2001)

Après avoir tourné en Chine continentale pour sa fresque historique The Soong Sisters (1997), Mabel Cheung y revient pour l'intrigue cette fois bien contemporaine de Beijing Rocks. Comme souvent dans son cinéma, il est question d'exil et d'interrogation existentielle pour les personnages. Cependant contrairement à sa trilogie du "migrant" (Illegal Immigrant (1985), An Autumn Tales (1987) et Eight tales of gold (1989)) l'exil n'est pas seulement géographique et culturel. Nous allons suivre trois personnages gravitant dans le monde de la musique rock. Michael (Daniel Wu) est un fils de bonne famille ayant décidé de s'éloigner du monde des affaires paternelles pour devenir auteur compositeur. Cependant une panne d'inspiration et l'épée de Damoclès d'un procès suite à une rixe l'oblige pour un temps à migrer en Chine alors qu'il est né à Hong Kong et a grandi aux Etats-Unis. Il va alors découvrir la scène rock chinoise underground, et notamment le groupe de Road (Geng Le) chanteur et guitariste tapageur, ainsi que sa petite amie Yang Yin (Shu Qi) dont il va tomber amoureux. A travers ce trio, Mabel Cheung creuse différente forme de sentiments d'exil. Michael se sent étranger partout en maîtrisant mal le mandarin et l'anglais, Road cherche à échapper à la monotonie laborieuse de son père conducteur de train par le biais de la musique, et Yang Yin est une orpheline victime de la Révolution Culturelle ayant grandie seule et trouvant dans le microcosme du groupe la famille qu'elle n'a jamais eu. 

Mabel Cheung s'était montrée capable dans sa mise en scène d'avoir un pied dans la modernité par sa captation alerte des pulsations urbaines dans Illegal Migrant et surtout Autumn tales, tout en faisant preuve d'un lyrisme formel qui atteindra des sommets dans Eight tales of gold et The Soong Sisters. Elle tente la même chose ici en alliant classicisme et modernité dans l'usage de nouveaux outils de filmage, ou de dispositifs de mise en scène. Parmi les éléments réussis, il y a les séquences filmées en dv par le personnage de Michael qui immortalise et/ou vole des moments de cette vie en collectif et anticipe de fait toute la dimension de journal intime numérique qui se démocratisera quelques années plus tard avec l'arrivée des smartphones. En cette même année 2001 et toujours en Asie, il n'y a bien que le Shunji Iwai (de manière plus radicale) dans All about Lily Chou-chou qui se montre précurseur sur ce point. Il y a cependant d'autres point certes dans l'ère du temps au moment de la sortie du film mais ayant bien vieillit désormais qu'utilise la réalisatrice, comme le filmage façon confessionnal de téléréalité où chacun des protagonistes va venir dévoiler son passé face caméra. 

Mabel Cheung dépeint bien l'énergie et l'urgence des concerts, par sa mise en scène heurtée, la photo de Peter Pau entre grisaille urbaine et lumière tapageuse des bars et salles où joue le groupe, et par le jeu des acteurs notamment Geng Le aussi imprévisible que torturé dans sa présence scénique. Si le triangle amoureux n'est pas très original (on en a un assez voisin dans Presque célèbre de Cameron Crowe (2000)), l'interprétation fait mouche avec un Daniel Wu emprunté et touchant, ainsi qu'une Shu Qi aussi inconséquente que solaire. Il est d'ailleurs impossible avec la présence de cette dernière de ne pas faire le rapprochement avec Millennium Mambo de Hou Hsiao-hsien sorti la même année, où Shu Qi est aussi une jeune femme en quête de sens à sa vie évoluant dans un milieu underground et en couple avec un compagnon ombrageux. Mabel Cheung n'égale pas le vertige du classique de Hou Hsiao-hsien mais participe à faire de Shu Qi le visage d'une certaine jeunesse asiatique qui s'interroge à l'aube du nouveau millénaire.

Il est dommage vu le sujet que la partie strictement musicale ne soit pas plus marquante, les atmosphères fiévreuses sont là mais les chansons ne sont pas à la hauteur (manifestement une certaine frange du rock anglo-saxon 90's et notamment le grunge ne sont arrivés en Chine qu'au début des années 2000 au vu des looks et des sonorités, pour le coup Hou Hsiao-hsien a capturé une réalité musicale plus juste avec l'electro de Millennium Mambo) et les problématiques parfois ressassées dans ce genre de film (en gros garder son intégrité rock ou céder aux sirènes commerciales des majors). Heureusement chaque fois que ces aspects rejoignent les failles intimes des protagonistes, cela fait mouche. On pense à la scène où Road perd le fil en voyant son père en tenu de travail parmi le public de son concert, puis plus tard la visite très touchante à ce dernier lors d'une halte de son train. 

On sent le mélange de culpabilité à ne pas avoir choisi une voie plus rassurante pour les parents, et la potentielle fierté à y réussir non pas par défi, mais pour les rassurer. C'est d'ailleurs un des éléments originaux du film, on pourrait s'attendre avec ce cadre chinois à des parents stigmatisant et réprouvant les aspirations artistiques des enfants, mais ce n'est jamais le cas, ce sont des soutiens même maladroit tant dans le cadre nanti de Michael que celui plus modeste de Road. Les petites scories formelles et musicales empêchent l'ensemble de pleinement atteindre l'emphase dramatique (notamment le post-générique à guetter qui prolonge le rôle sentimental d'une chanson) des meilleurs films de Mabel Cheung mais Beijing Rocks n'en reste pas moins un très joli film où la réalisatrice tente des choses et se remet en question.

Sorti en dvd japonais et doté de sous-titres anglais

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