Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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dimanche 24 avril 2022

An Autumn's Tale - Chau tin dik tung wa, Mabel Cheung (1987)


 Jennifer quitte Hong Kong pour New York, où elle doit retrouver son fiancé Vincent. Mais celui-ci la quitte et part s'installer à Boston avec une autre femme. Bouleversée, la jeune femme trouve du réconfort auprès de son cousin fruste qui habite l'étage du dessous. Alors qu'il s'efforce d'égayer son quotidien, il tombe amoureux de Jennifer.

An Autumn's Tale constitue la pièce centrale d'une trilogie que la réalisatrice Mabel Cheung consacre au thème de la migration, suivant Illegal Immigrant (1985) premier film salué par la critique, et précédant Eight Taels of Gold (1989). C'est un sujet qui parcoure toute sa filmographie et qui trouve une continuité et un complément à travers sa collaboration avec Alex Law son époux et scénariste, les fonctions pouvant parfois s'inverser lors des plus rares réalisations de Alex Law (dont le célèbre Painted Faces (1988) biopic de la jeunesse à l'Opéra de Pékin de Jackie Chan et Sammo Hung)) et apporter d'autres variations sur cette question de la migration. An Autumn Tale a une certaine portée autobiographique pour Mabel Cheung qui comme son héroïne connu l'exil lors de ses études à l'étranger, à Bristol en Angleterre puis à New York. Les petits boulots, la difficulté à subsister dans un quotidien fait de privations permanente (la scène du film où Jennifer choisit un sandwich plutôt qu'un autre à cause d'une différence de prix de 10 cents est issue d'une vraie expérience de Mabel Cheung) et le sentiment de solitude en pays étranger, tout cela transpire le vécu tout au long du récit.

Nous allons suivre Jennifer (Cherie Chung), jeune hongkongaise fraîchement arrivée à New York pour faire ses études mais avant tout pour rejoindre son fiancé Vincent (Danny Chan) qu'elle n'a pas vu depuis deux ans. Elle va vite rencontrer une déconvenue en découvrant que ce dernier est désormais en couple avec une autre. Elle est cependant prise en main par son cousin Figgy (Chow Yun-fat) qui va l'accueillir, lui trouver un logement et faire découvrir la ville. La scène d'ouverture où encore à Hong Kong Jennifer se montre condescendante à l'évocation de ce cousin amorce une des thématiques du film. Jennifer est issue de la classe moyenne hongkongaise et a bénéficié d'une éducation avant son départ à l'étranger. Le vrai apprentissage dans son nouvel environnement consistera donc surtout à s'accoutumer à un train de vie modeste, à travailler et subsister dans une certaine précarité tandis que l'interaction aux autres ne sera pas un problème. Figgy vient au contraire de la classe ouvrière et le quotidien au jour le jour fait de jobs laborieux ne lui change pas de Hong Kong, mais à l'inverse il ne s'est jamais réellement assimilé à sa patrie d'accueil, ne parlant pas (ou bien mal) anglais et ne fréquentant que ses compatriotes hongkongais. Mabel Cheung traduit ce fossé de façon comique dès la première rencontre où Figgy vient chercher Jenny à l'aéroport dans un tapage peu discret, avant de l'emmener dans l'épave qui lui sert de voiture. Le regard de Jenny sur leur logement commun miteux, sa gêne face aux manières rustres de Figgy, tout semble en place pour reproduire cette distance de classe entre eux.

Pourtant lorsque Jenny sera en quelque sorte regardée de haut et abandonnée par Vincent pour une chinoise intégrée plus "conforme", c'est bien Figgy qui sera là pour l'accompagner dans ses premiers pas new-yorkais. Les deux personnages se nourrissent l'un l'autre, Figgy comprenant que son existence sans but et en vase clos ne le mène nulle part, et Jenny dépassant ses préjugés à travers ce cousin bienveillant. L'un découvre l'ambition, l'autre la modestie. Cette caractérisation introduit la romance tout en montrant ce qui la freine, Figgy gardant son complexe d'infériorité ne se déclarant pas et Jenny encore retenue par un mélange de fierté et timidité faisant de même. 

Mabel Cheung à quelques rares fautes de goût près (une bagarre de gangs assez quelconque) déploie tous ces questionnements dans une tranche de vie bienveillante où l'environnement oscille entre crudité réaliste de ce New York 80's et vrai romantisme lumineux dans une imagerie plus stylisée. Dans les deux cas, la présence d'un autre pour nous accompagner amène une tonalité rassurante et chaleureuse qui permet de tout surmonter - se différenciant grandement du sinistre et oppressant Farewell China de Clara Law (1990) avec Maggie Cheung sur un sujet voisin. Certains rebondissements opposent d'ailleurs les personnages à des compatriotes bien moins intentionnés pour bien marquer la nature spéciale de la relation Jenny/Figgy, que ce soit le fiancé démissionnaire en ouverture, un patron chinois libidineux envers Jenny, ou une autre patronne pétrie de préjugée qui la renverra injustement. La solidarité n'est pas une évidence et cela souligne et transcende cette différence de classe initiale qui séparait les personnages. 

Loin des grands écarts mélo (mais pas déplaisant) dont peut faire preuve le cinéma hongkongais, An Autumn's Tale marque au contraire par sa tonalité feutrée et tout en retenue. Les rapprochements ou séparations se font sans emphase et découlent de petits évènements s'inscrivant dans la normalité quotidienne des protagonistes. On pense à la magnifique scène de réconciliation où Jenny invite Figgy à dîner (avec la belle idée de ce sol communiquant) pour se faire pardonner mais où ce dernier reprend la main face à sa cuisine exécrable. Les acteurs sont au diapason avec un excellent Chow Yun-fat dont l'apparente excentricité masque les complexes et la vulnérabilité, et une Cherie Chung très touchante se délestant progressivement de sa superficialité. Un très beau film qui installera Mabel Cheung parmi les grands auteurs de Hong Kong, le film recevant sept nominations aux Hong Kong Film Awards et en remportant trois : Meilleur film, Meilleur scénario et Meilleure photographie. Un classique désormais qui fut classé en 2005 parmi les dix plus grands films chinois de tous les temps, à la suite d'un sondage auprès de 25 000 professionnels et cinéphiles.

 Sorti en bluray et dvd hongkongais chez Fortune Star et doté de sous-titres anglais

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