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mardi 12 novembre 2019

Farewell, China - Ai zai bie xiang de ji jie, Clara Law (1990)


En 1996 Maggie Cheung trouvera un de ses rôles les plus célèbres à Hong Kong dans Comrades, Almost a love story de Peter Chan, mélo flamboyant où elle incarne une migrante chinoise exilée à Hong Kong puis aux Etats-Unis. Sur un postulat proche elle avait trouvé un rôle voisin dans le bien plus sombre et injustement méconnu Farewell, China de Clara Law qui nous montre avec une infinie noirceur le sort du migrant chinois. Hung (Maggie Cheung) est une jeune mère de famille cherchant à obtenir un visa pour étudier aux Etats-Unis, espérant gagner assez pour plus tard faire venir son mari Nansan (Tony Leung Kar Fai) et leur bébé. Le début du film nous montre ainsi, d’attente interminable devant le consulat en suppliques envers la froideur administrative anglo-saxonne, l’espoir démesuré que qu’ont les chinois en cet ailleurs synonyme de réussite.

La première partie adopte le point de vue de Nansan resté au pays, et n’entrevoyant l’expérience américaine de Hung qu’à travers ses lettres. Celles-ci exprimeront d’abord un optimisme de façade, puis un désir désespéré de retour (que Nansan lui refuse en lui demandant d’assurer l’avenir de leur enfant) puis enfin une inattendue demande de divorce qui scelle l’échange épistolaire. Nansan va donc s’endetter et braver les frontières pour retrouver son épouse à New York et comprendre cette bascule. Le rendu réaliste et quasi documentaire ressenti dans les séquences chinoises se fait alors bien plus cru dès que l’on arrive à New York. Deux narrations s’entrecroisent, celle des pérégrinations urbaines de Nansan et celle des flashbacks où au fil des interlocuteurs rencontrés il remonte le fil du tragique vécu de son épouse introuvable. On découvre ainsi le dénuement du migrant chinois bafouillant la langue, sans relation pour l’aider, et plongé dans un New York glauque et interlope.

On retrouve l’atmosphère poisseuse et oppressante d’une foule de fiction ayant le New York menaçant de cette période pour cadre (After Hours de Martin Scorsese, les premiers films d’Abel Ferrara) mais sans la dimension hallucinée du cinéma de genre, juste une vision crue et choquante pour l’étranger sans repères. Si par intermittence un semblant d’humour peut s’inviter dans le parcours de Nansan, les flashbacks de Hung sont absolument glaçants, par l’environnement sinistre bien sûr mais surtout par ce que Clara Law parvient à traduire des peurs d’une femme seule et déracinée. Ces peurs sont parfois ainsi démesurées (sa réaction violente quand un homme l’invitera à prendre un verre) et à d’autres moments totalement justifiées par la violence ambiante avec une saisissante agression nocturne. Squats insalubres, populations interlopes et imprévisibles, tout cela constitue un ensemble qui oblige à s’adapter ou sombrer. 

Nansan a un aperçu de l’avilissement que réclame l’instinct de survie avec l’adolescente fugueuse jouée par Hayley Lan, et bien un terrible témoignage quand il retrouvera enfin Hung. A travers la condition chinoise, Clara Law dépeint bien les différences culturelles qui créent pour l’exilé un fossé entre le ressenti sur sa terre d’accueil et les attentes de ceux qu’il a laissé sur celle de ses origines. Ainsi après avoir encouragé Hung à rester à New York sans savoir les épreuves qu’elle traversait, Nansan vit exactement la même situation avec ses parents quand il leur annonce vouloir rentrer. L’ailleurs représente un avenir quand on rêve d’y accéder, et une impasse lorsqu’on s’y confronte. 

Cela façonne une schizophrénie latente pour le migrant, puis tragiquement concrète lors de la conclusion. Tony Leug Kar fai qu’on a l’habitude de voir dans un registre plus viril et séducteur livre une magnifique performance, toute en vulnérabilité désespérée. Quant à Maggie Cheung la narration en kaléidoscope lui permet d’incarner un véritable mystère vivant, à la fois désespérée, calculatrice ou séductrice selon les « rôles » qu’elle doit endosser pour survivre. C’est d’autant plus épatant quand on sait le registre différent et plus lumineux qu’elle saura adopter pour son autre rôle d’exilée solitaire dans Comrades, Almost a love story.

Sorti en bluray et dvd hongkongais 

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