Diego Montes, un
célèbre torero, doit prendre une retraite prématurée après une blessure mal
soignée. Maria Cardenal, avocate en criminologie, aime tuer ses amants lors de
leurs ébats amoureux. Diego crée une école de tauromachie, car pour lui «
arrêter de tuer, c’est arrêter de vivre ». Angel, l’un des élèves de Diego, est
un garçon étrange qui souffre de vertiges et de l’autoritarisme d’une mère
dévote.
Chez Pedro Almodovar, le désir s’orne souvent d’une
dimension rituelle, fétichiste et morbide. Le réalisateur en donne un versant
étonnamment lumineux et finalement romantique dans Attache-moi (1989), tandis que les rebondissements sordide de Parle avec elle (2002) ou La piel que habito (2011) reviennent à cette approche. Matador contient déjà tout cela dans une
intrigue tortueuse où le polar se mêle à l’étude de caractères, à l’observation
d’une passion effrénée.
Le désir est ici une pulsion de mort qui s’exprime de façon
très différente selon les protagonistes. Il y a tout d’abord Diego Montes,
ancien toréador pour lequel ce fétichisme de la mise à mort fut un métier et
dont les réflexes le poursuivent alors qu’il a été forcé de se retirer. Angel
(Antonio Banderas), jeune homme étouffé par l’éducation bigote de sa mère ne
peut que fantasmer ces élans mortifères sans oser les accomplir. Il tourne
autour en étant élève de Montes, en testant sa virilité dans une tentative de
viol qu’il ne pourra « assouvir » jusqu’au bout, et enfin en cédant à
une volonté autodestructrice en s’accusant des crimes sanglants qui agite la
police. C’est ce dernier évènement qui introduit Maria (Assumpta Serna) avocate
d’Angel et également tourmentée par un mélange d’obsession amoureuse et des
mêmes pulsions de mort, celle que l’on donne et celle que l’on fantasme de
vivre.
Le scénario sème tout d’abord le doute entre réalisation et
aspiration à cette mort. La dimension fétichiste est omniprésente et maladive pour chacun des protagonistes quant à cet attrait dérangeant.
Dès la scène d’ouverture, Diego se masturbe sur des images de films gores et
plus tard se repasse en boucle la vidéo de l’incident de tauromachie qui fut
fatale à sa carrière. Le montage alterné met d’ailleurs en parallèle les
préceptes d’un cours de tauromachie avec une scène érotique se terminant en
assassinat brutal, où la jouissance se dispute à la stupéfaction d’un dernier
souffle inattendu.
Les personnages les plus établis et respectables sont aussi
les plus retors, quand Angel en apparence le plus déséquilibré est le seul
incapable de franchir le pas de la transgression. La « petite mort »
de la jouissance sexuelle lui est impossible, et les velléités de meurtre ne se
vivront que par procuration. Même le pourtant bienveillant inspecteur de
police (Eusebio Poncela) semble trahir
quelques désirs inavoués lorsqu’en vue subjective Almodovar fait traîner son
regard sur l’entrejambe et les fessiers des apprentis toréador dans leurs
tenues moulantes. Toute l’humanité est en fait construite de cette nature
irrationnelle et passionnée (ce que prolonge le personnage d’amoureuse éperdue
d’Eva (Eva Cobo)) mais toute la différence se fait dans la manière de l’exprimer.
Diego et Angela se reconnaissent, s’observent et s’apprivoisent
tout au long du récit, retardant par le seul plaisir de l’excitation et la
frustration le moment de passer à l’acte dans la dernière séquence. Les amorces
de rapprochement sont esquivées, l’extase ne pouvant être atteinte
symboliquement qu’au moment de l’intrigue où ils s’apprêtent également à être
démasqués - mais également dans une forme de connexion avec l’univers, les
astres puisqu’intervient une éclipse. Almodovar déploie alors pleinement toute
cette imagerie fétichiste où chacun des partenaires se révèle sous son jour le
plus solennel (le costume de toréador est de sortie) et suicidaire dans un
abandon total. Le réalisateur a un regard à la fois captivé et distant, où l’on
ne sait s’il choisit la lumière et la vie avec les personnages juvéniles/innocent
qu’il choisit d’épargner, où s’il rêve aussi au plaisir ultime mais fatal qu’illustre
un fascinant dernier plan.
Sorti en dvd zone 2 français chez Films sans frontières
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