Un peu à la manière de son passionnant Talk Radio (1988) qui durant les années 80 constitua une respiration plus modeste entre plusieurs projets mastodontes (précédé par Salvador (1986), Platoon (1986) et Wall Street (1987) et suivit par Né un 4 juillet (1989)), U-Turn se place pour les années 90 en « petit » film après une série de titres ambitieux et provocateurs (The Doors (1991), JFK (1991), Entre ciel et terre (1993), Tueurs-nés (1994) et Nixon (1995)). Et tout comme Talk Radio, la supposée récréation va s’avérer une des plus belles réussites du réalisateur.
Adapté du roman Ici commence l’enfer (Stray Dogs en anglais) de John Ridley (qui en signe également le scénario), U-Turn ne semble rien promettre de bien nouveau pour les amateurs de film noir. Un héros loser, de mauvais choix moraux et géographique, une destinée capricieuse, une femme fatale, les codes du genre sont en apparence bien à leur place. Cela se vérifie à la fois dans la tradition du film noir, mais aussi de son renouveau des années 90, notamment avec le succès des films de John Dahl (Kill me again (1989), Red Rock West (1992), Last Seduction (1994)). L’intérêt tient ici à la mise en scène d’Oliver Stone qui transpose dans le polar l’esthétique hallucinée et expérimentale de ses films précédents. La petite ville de Superior et ses habitants représente un microcosme des damnés de l’Amérique. Les éléments du film noir sont là pour installer par l’archétype des maux universels et intimes. L’obsession de l’argent, la bêtise redneck s’incarne à travers des personnages grotesques et monstrueux comme ceux de Nick Nolte et Billy Bob Thornton. Cette ville dont on ne peut s’échapper symbolise la boucle de la fatalité des démunis, et des mauvais choix constants qu’ils font pour échapper à leur condition. Le personnage insaisissable jusqu’au bout de Jennifer Lopez symbolise cela à merveille, victime d’un destin véritablement sordide suscitant l’empathie, mais ambiguë dans ses intentions et l’expression de sa vulnérabilité – entre Hors d’atteinte (1998) et celui-ci on peut vraiment regretter qu’elle ait gâché son talent dans des choix artistiques douteux. Sean Penn arrive sur les lieux avec ses propres démons et voit sa propre moralité mise à rude épreuve, victime et agent de ses malheurs. La photo calcinée de Robert Richardson écrase les grands espaces d’Arizona et tanne la peau des protagonistes, installant une moiteur qui les enfonce dans cette fange dont ils ne peuvent échapper. Oliver Stone installe une atmosphère de plus en plus cauchemardesque jouant de cet environnement comme une prison à ciel ouvert et un espace mental clos, dont un évènement ou une anicroche surgira toujours lorsque vous pensez être sur le point d’en sortir. Le score tout en atmosphère d’Ennio Morricone joue également beaucoup dans l’envoutement du film, l’ombre de ses westerns planant sur certains motifs, mais totalement déliés et cotonneux – avec en contrepoint les morceaux de blues et de rock américain classique plus énergiques. Sous le squelette de film noir, Oliver Stone nous parle encore et toujours d’une facette pathétique des Etats-Unis.Sorti en bluray français chez l'Atelier d'image
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