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mardi 1 juillet 2025

À l'est de Shanghai - Rich and Strange, Alfred Hitchcock (1931)

Grâce à un héritage, Fred embarque, en compagnie de son épouse Emily, pour une croisière autour du monde. Sur le bateau, chacun fait des rencontres, et le jeune couple ne tarde pas à se déchirer...

À l'est de Shanghai s’inscrit dans la période de léger déclassement que vit Alfred Hitchcock au sein de la British International Pictures. Après avoir été accueilli triomphalement au sein du studio et l’avoir assez vite marqué de succès critique et commerciaux, Hitchcock est à plusieurs reprises affecté à des projets qui ne l’intéresse guère. La British International Pictures a ainsi pris le virage des « quotas quickie », ces compléments de programme anglais à faible budget et à l’ambition plus limitées. Hitchcock se trouve engoncé dans des adaptations éloignées de sa sensibilité mais parvient néanmoins à y poser sa patte comme avec ce À l'est de Shanghai, d’après un roman de Dale Collins.

Le film amorce tout un corpus du réalisateur autour d’une observation et d’un questionnement sur les fondations du couple, et de l’institution du mariage. Hitchcock s’y engouffrera dans une veine hantée sur Rebecca (1940), piquante dans Mr and Mrs. Smith (1941), romanesque avec Les Amants du Capricorne (1949), ou encore torturée et psychanalytique dans Pas de Printemps pour Marnie (1964). Presque toutes ces approches se trouve déjà en germe dans À l'est de Shanghai. Le réalisateur capture l’insatisfaction et l’ennui ordinaire du couple formé par Fred (Henry Kendall) et Emely (Joan Barry). Pour Fred c’est un ennui explicitement ressenti à travers la monotonie harassante de la vie moderne capturée par Hitchcock dans l’urgence et la cohue du métro après les journées de travail. Emely le vit de manière plus implicite dans l’absence de dialogue et la présence taciturne de son époux lorsqu’il rentre toujours plus aigri et frustré au domicile conjugal. Une manne financière inattendue va leur permettre d’amener un certain piquant à leur vie durant un voyage à travers le monde, mais les racines différentes de leur insatisfaction commune vont peu à peu distendre leur couple.

S’inspirant en partie de son couple avec Alma Reville (comme toujours collaborant au scénario), Hitchcock fait de Fred et Emely deux innocents lancés émerveillés et vulnérables aux différentes tentations du monde moderne. La première partie est une longue suite d’épisodes – laissant encore ressentir l’influence du muet par ses intertitres - où ils expérimentent lieux et mœurs inattendus, notamment en Europe et à Paris, avant que le voyage ne prenne un tour plus exotique et se fige sur un yacht de croisière. Là les tentations vont s’incarner dans ce qui leur manque le plus au sein de leur mariage. 

La brillance et la pure aventure fougueuse jette Fred dans les bras d’une supposée princesse (Betty Amann), tandis que le besoin de simplicité et d’attention d’Emely l’attire vers le bienveillant et attentionné Gordon (Percy Marmont). L’émotion et l’empathie va bien plus aisément vers la romance dessinée tout en délicatesse entre Emely et Gordon, alors que la superficialité domine la relation de Fred et la princesse. L’interprétation tout en nuance de Joan Barry joue beaucoup face à un Henry Kendall bien plus antipathique, mais la caractérisation subtile aura pris le temps de développer les travers des deux protagonistes. Ainsi l’égoïsme détestable de Fred est une réaction à la dévotion d’Emely qui n’attend de la vie rien de plus que sa présence, quand lui rêve grand et beau au risque de se perdre. Les scènes « d’adultère » feutrée, maladroite d’Emely et Gordon trouve donc un pendant plus stylisé et luxuriant, mais faux, avec Fred et la princesse notamment le montage alterné durant une scène de bal costumé.

Hitchcock oppose et entrecroise constamment grandiloquence et modestie, clinquant et épure dans le parcours des deux personnages. On trouve ici l’amorce d’une stylisation qui marquera ses meilleurs thrillers, mais au service d’un drame usant d’un arrière-plan plus grand que nature pour évoquer de purs questionnements intimes. L’amorce de réconciliation se fera d’ailleurs dans un habile entre-deux, le gigantisme d’un décor à la dérive (ou plutôt en plein naufrage) les ramenant à une solitude, une tête à tête permettant d’exposer les non-dits. Même si la rédemption de Fred ne sera sans doute pas suffisante pour un spectateur contemporain, le choix de la réconciliation est suffisamment bien construit narrativement et formellement pour fonctionner de manière convaincante. Hitchcock bien que satisfait du film attribuera l’échec du film au manque de charisme des acteurs, ce qui amènera la correction des couples de stars présents dans ses autres films « conjugaux », notamment Mr and Mrs. Smith porté par Carole Lombard et Robert Montgomery. C’est pourtant sa facture retenue qui fait tout le prix de cet opus très attachant et méconnu.

Sorti en bluray français chez Carlotta 

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