Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram
Jean Fournier, jeune employé de banque, est
initié au jeu par son collègue Caron. Favorisé par la chance, il décide
de partir pour Nice contre l'avis de son père et est ainsi chassé de
chez lui. Dans un casino, il rencontre sa reine, une certaine Jackie
(jouée par une Jeanne Moreau ici blonde platine), dont il tombe
immédiatement amoureux. Jackie n'est pas insensible au charme de Jean,
mais la passion qu'ils portent au jeu et leur amour vont s'avérer
incompatibles.
Second film de Jacques Demy, La Baie des Anges occupe une place à part dans les premières œuvres du réalisateur. L'inaugural Lola
posait les bases de l'univers du réalisateur par sa veine romanesque et
les liens tissés par le cadre nantais et des personnages amenés à être
récurrents (Roland Cassard dans Les Parapluies de Cherbourg (1964), la fameuse Lola dans Model Shop (1968)). Les Parapluies de Cherbourg quant à lui pose l'imagerie acidulée et les dialogues chantée indissociables de Jacques Demy. Entre les deux nous avons donc La Baie des Anges
qui détone par son réalisme et son austérité. La genèse du projet vient
d'un passage au Festival de Cannes de Jacques Demy qui cherche des
financements pour Les Parapluies de Cherbourg. Il y découvre fasciné l'univers du jeu et de retour à Paris il va écrire un scénario en quelques jours.
Jacques
Demy scrute ici l'attrait du monde du jeu par le prisme de ce qu'il
peut avoir d'exaltant pour des protagonistes à l'existence terne. C'est
très concret pour Jean Fournier (Claude Mann) dont le commun du nom se
conjugue à un quotidien ennuyeux d'employé de banque. Initié par un
collègue (Paul Guers), Jean qui était jusque-là resté dans les clous
sans aspérités de son milieu (les brefs échanges avec le père (Henri
Nassiet) suffisent à deviner la rigueur à laquelle il s'est toujours
soumis) va, si l'on ose dire, se prendre au jeu car porté par la chance
du débutant lors de ses premiers pas gagnants à la roulette. C'est lors
d'un périple à Cannes qu'il va faire la connaissance de Jackie (Jeanne
Moreau blonde platine) qui incarne une toute autre forme de pathologie dans son
addiction. Si Jean trompe l'ennui, Jackie est constamment au bord d'un
précipice qui l'a vu perdre mari, enfant et situation pour combler un
insurmontable vide existentiel. L'exaltation, la tension et le danger
d'une table de jeu constituent des sensations dont elle ne peut se
passer. Le confort matériel qu'apportent les gains est une récompense
mais pas une fin en soi, le dénuement dans lequel plonge les pertes est
un défi à relever pour retrouver au plus vite l'effervescence des
casinos. Demy noue bien sûr le destin du couple par un pari commun et
gagnant à la roulette qui va sceller leur union, dans un découpage où il
accompagne leur échange de regard (sur le pari commun d'abord
involontaire puis d'un accord tacite) face à face autour de la table,
puis fini sur leur aboutit à ce rapprochement en les mettant côte à
côte.
La romance est constamment ambigüe et les deux acteurs traduisent magnifiquement cette incertitude. La passion amoureuse de
Jean repose sur son refus de retourner à sa piètre vie parisienne,
chaque gain est autant un sursis pour rester auprès de Jackie que de
rester dans ce rêve éveillé de clinquant. Jackie cherche simplement à
s'oublier, à s'émanciper des contraintes du monde extérieur en remettant
constamment sa survie matérielle en jeu. Pour elle Jean n'est, comme le
soulignera un dialogue cinglant, qu'un fer à cheval ambulant qui lui
porte chance. Cette relation trouble se ressent dans la manière dont
Jacques Demy filme les scènes de casino. Au départ on adopte le point de
vue raisonnable de Jean, avec soit un montage alterné entre la roulette
et son visage réfléchit, soit sa silhouette au langage corporel serein
dans la même composition de plan que la roulette en arrière-plan.
Dès
lors que les paris se font en couple et revêtent d'autres enjeux que le
simple gain financier, la caméra s'attarde essentiellement sur Jean et
Jackie, avançant nerveusement leur mise, récupérant avec empressement
leur gain. L'aspect psychologique et pathologique domine, la valse
entêtante de Michel Legrand traduit cette ivresse en accompagnant les
nuits de jeu dans une suite de fondus enchaînés où la course éternelle
de la roulette se confond aux visages enfiévrés du couple. Le faste de
Nice ou des palaces de Monte-Carlo n'existe pas ou peu dans cette
logique austère, avec ce noir et blanc blafard.
Le schisme naît
d'ailleurs lorsque, tout en conservant ce dispositif formel, Jackie et
Jean se mettent à faire des paris différents. Le gain ou la perte
importait peu jusque-là tant que le lâcher prise était commun, mais ils
vont finir par comprendre que ce n'était pas pour les même raisons.
L'enjeu sera donc de savoir si l'ivresse naissait de la seule addiction
au jeu ou peut-être aussi de la présence chaleureuse de l'autre. C'est
une énigme qui se résoudra lors de la toute dernière scène où la
flamboyance de Jacques Demy s'invite alors qu'on ne l'espérait plus.
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