L’Amour à la ville est un film à sketch dont le fil rouge est, comme son titre l’indique, une observation des toutes les émotions contrastées de la romance en milieu urbain. Le film à sketch explosera réellement en Italie durant les années 60, prétexte à la réunion de casting prestigieux devant et derrière la caméra, et terrain d’expérimentations narratives et visuelles dans un format court stimulant l’efficacité et l’inventivité. Les Monstres de Dino Risi, Boccace 70 (Federico Fellini, Luchino Visconti, Vittorio De Sica, Mario Monicelli, 1962), Les Sorcières (Luchino Visconti, Mauro Bolognini, Pier Paolo Pasolini, Franco Rossi, Vittorio De Sica, 1967) ou encore Les Complexés (Dino Risi, Franco Rossi et Luigi Filippo D'Amico, 1965) constituent quelques fleurons d’un genre omniprésent et source de grosse recettes commerciales jusqu’à la fin des années 70 dans le cinéma italien. On trouve pourtant déjà des films à sketch italien avant cet élan, mais ceux-ci revêtent alors plutôt une tonalité dramatique. Les films des années 60 reflètent l’insouciance mais également le cynisme de la prospère ère du « boom » économique, ceux qui les précèdent s’attardent sur les maux d’une Italie pauvres et en reconstruction. On peut observer cette progression thématique de Païsa (Roberto Rossellini, 1946) et son observation de la libération de l’Italie durant la Seconde Guerre Mondiale à L’Or de Naples (Vittorio de Sica, 1953), où le récit de mœurs alterne avec des préoccupations encore tristement économique. L’Amour à la ville se trouve à cheval de ces deux tendances avec son thème amoureux trivial, mais dont les sketches traitent tour à tour avec une profonde noirceur ou une veine plus légère.
Les six réalisateurs sont au moment du film déjà reconnus
mais pour la plupart en passe de l’être dans les années suivantes. La cohérence
de l’ensemble tient au scénariste Cesare Zavattini qui coécrit tous les
sketches (qui comment souvent dans le cinéma italien sont écrits à plusieurs
mains pas toujours toutes créditées) et en coréalise un. L’approche encore
fortement marquée de néoréalisme lui doit certainement beaucoup. L’aspect
frappant du film est l’approche presque unilatéralement tragique, et où la
victime est toujours la femme. Avant la grande série de films d’Antonio
Pietrangeli sur la condition féminine en Italie (Du soleil dans les yeux (1953), Adua et ses compagnes (1960), Je la connaissais bien (1965)), L’Amour en ville offre donc une
vraie et déprimante photographie sur le sujet en ce début des années 50. Le
film débute par ton neutre de publireportage, une voix-off sentencieuse
déclamant la tragédie de ces victimes modernes de l’amour, avec un filmage à l’avenant
entre urbain froid et distancié et
témoignage face caméra. C’est le cas dans L’Amour
qu’on paie de Carlo Lizzani, où la caméra observe les silhouettes féminines
surgissant telles des fantômes la nuit venue dans les recoins de banlieues sinistres
et ruelles mal famées. Ce sont des ombres partagées entre la honte et la
crainte de la police incitant à racoler discrètement, et des destins
individuels que chaque témoignage rend unique, la femme mûre fanée par le
métier à la jeunette n’ayant trouvant que cette voie pour subsister. Ce segment fut d'ailleurs censuré lors de l'exploitation du film.
Tentative de suicide de Michelangelo
Antonioni emprunte la même voie, partagée entre voix-off emphatique et
témoignage de femmes ayant tentée de mettre fin à leur jour par amour. L’aspect
documentaire est moins appuyé et s’imprègne de la veine existentielle et
tragique propre à Antonioni. Ainsi le drame doit autant à la lâcheté des hommes
(souvent face à des grossesses non désirées) qu’à la faiblesse de femmes
conditionnées à vivre à leurs crochets. On pense à cette femme séparée de son
époux qui va tenter de se suicider simplement pour que celui-ci la « reprenne »
alors qu’ils ne s’entendent pas. Elle ne semble pas plus heureuse au final,
mais est reste au moins dans la « norme ».
Cette norme, la fille-mère de L’Histoire de Catherine de Francesco Maselli et Cesare Zavattini,
en est exclue. Abandonnée par son fiancé et chassée par sa famille, Catherine (Caterina
Rigoglioso) erre en ville à la recherche d’un emploi qui lui permettra de payer
la nourrice de son fils. Ce sketch apparait en tout point comme un remake
rajeuni et au féminin de Umberto D
justement scénarisé par Zavattini.
La jeune femme est aussi démunie que le
vieillard d’Umberto D, se heurtant à une bureaucratie tatillonne et sans
empathie, à l’indifférence de ses semblables dans une Italie pauvre où le
chacun pour soi prévaut. Les compagnons que sont le bébé et le chien
correspondent bien sûr au stade d’existence des personnages, mais s’avèrent
tout aussi tristement encombrant quand on n’a pas de quoi les nourrir. L’affection
innocente et sans condition passant à travers leur regard constituent pourtant
les raisons qui pour Catherine comme Umberto, les pousseront à ne pas s’abandonner
au désespoir. Le mimétisme est poussé jusqu’à la sa scène d’abandon, très
proche dans les deux films. Il s’agit certainement du sketch le plus poignant
de l’ensemble.
Cette vulnérabilité féminine se ressent aussi dans Une agence matrimoniale de Federico
Fellini. C’est sur la femme qu’est menée une enquête avant l’entrevue dont le
mécanisme ressemble plus à une visite d’appartement (appel de l’agent qui
organise la visite/tête à tête avec la jeune femme jetée en pâture) qu’à une
rencontre amoureuse. C’est pourtant une situation dont s’accommode Rossana (Lidia
Venturini) pour qui le mariage est un moyen comme un autre d’échapper à sa
condition. Un peu de légèreté s’invite tout de même avec Le Bal du samedi soir de Dino Risi et Les Italiens se retournent d’Alberto Lattuada. Risi dans ses
premiers films traitaient déjà de ces amours urbaines et juvéniles
mouvementées, dans Boulevard de l’espérance
(1953), Le Signe de Vénus (1955) et
surtout la trilogie des Pauvres mais
beaux (1956, 1957 et 1959). Il nous en offre un condensé en miniature sur
cette piste de danse où les couples se font, se défont ou ne se font pas au gré
d’un chaperon trop zélé, d’une timidité insurmontable. L’ironie mordante de
Risi fait mouche pour capturer les jeux de séduction tendres, discrets ou
démonstratifs où se disputent désir et romance.
Les Italiens se retournent est très intéressant à l’aune de
certains comportements masculins plus explicitement (et à juste titre) décriés
aujourd’hui. Le sketch s’ouvre sur plusieurs pimpantes jeunes femmes se faisant
belle au moment de sortir. C’est un véritable défilé de beautés italiennes
radieuses déambulant insouciantes dans les rues de la ville. Le temps qu’à pris
Lattuada à les montrer s’apprêter, les travellings fluides qu’il déploie à les
montrer fièrement arpenter les rues, tout cela souligne une dualité à vouloir
être belle pour soi mais aussi à capturer le regard des autres. Ce regard
masculin justement, Lattuada s’en amuse tout en en montrant la facette
oppressante pour les plus insistants et se montre ainsi diablement moderne dans
les problématiques soulevées par ce segment en apparence le plus léger. Lattuada soulève dans une même image l’indépendance de la femme à s’exposer librement dans la tenue qu’elle veut, mais aussi la fragilité de cette liberté dans une société italienne patriarcale comme l’a démontré le reste du film. Une œuvre
fort intéressante donc, une rareté qui vaut le coup d’être découverte.
En salle le 24 juin
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