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samedi 20 juin 2020

L’Amour à la ville - L'Amore in Città, Dino Risi, Michelangelo Antonioni, Carlo Lizzani, Federico Fellini, Francesco Maselli, Alberto Lattuada (1953)

L'Amour à la ville ou six histoires presque vraies, réalisées par six grands metteurs en scène italiens sur la misère de l'amour à Rome dans le ton du néoréalisme social.  "Suicides Manqué", de Michelangelo Antonioni, "Agence Matrimoniale" de Federico Fellini, "Les Italiens se retournent" d'Alberto Lattuada, "L'Histoire de Catherine" de Francesco Maselli, "Le Bal du samedi soir" de Dino Risi et "L'amour qu'on paie" de Carlo Lizzani.

L’Amour à la ville est un film à sketch dont le fil rouge est, comme son titre l’indique, une observation des toutes les émotions contrastées de la romance en milieu urbain. Le film à sketch explosera réellement en Italie durant les années 60, prétexte à la réunion de casting prestigieux devant et derrière la caméra, et terrain d’expérimentations narratives et visuelles dans un format court stimulant l’efficacité et l’inventivité. Les Monstres de Dino Risi, Boccace 70 (Federico Fellini, Luchino Visconti, Vittorio De Sica, Mario Monicelli, 1962), Les Sorcières (Luchino Visconti, Mauro Bolognini, Pier Paolo Pasolini, Franco Rossi, Vittorio De Sica, 1967) ou encore Les Complexés (Dino Risi, Franco Rossi et Luigi Filippo D'Amico, 1965) constituent quelques fleurons d’un genre omniprésent et source de grosse recettes commerciales jusqu’à la fin des années 70 dans le cinéma italien. On trouve pourtant déjà des films à sketch italien avant cet élan, mais ceux-ci revêtent alors plutôt une tonalité dramatique. Les films des années 60 reflètent l’insouciance mais également le cynisme de la prospère ère du « boom » économique, ceux qui les précèdent s’attardent sur les maux d’une Italie pauvres et en reconstruction. On peut observer cette progression thématique de Païsa (Roberto Rossellini, 1946) et son observation de la libération de l’Italie durant la Seconde Guerre Mondiale à L’Or de Naples (Vittorio de Sica, 1953), où le récit de mœurs alterne avec des préoccupations encore tristement économique. L’Amour à la ville se trouve à cheval de ces deux tendances avec son thème amoureux trivial, mais dont les sketches traitent tour à tour avec une profonde noirceur ou une veine plus légère.

Les six réalisateurs sont au moment du film déjà reconnus mais pour la plupart en passe de l’être dans les années suivantes. La cohérence de l’ensemble tient au scénariste Cesare Zavattini qui coécrit tous les sketches (qui comment souvent dans le cinéma italien sont écrits à plusieurs mains pas toujours toutes créditées) et en coréalise un. L’approche encore fortement marquée de néoréalisme lui doit certainement beaucoup. L’aspect frappant du film est l’approche presque unilatéralement tragique, et où la victime est toujours la femme. Avant la grande série de films d’Antonio Pietrangeli sur la condition féminine en Italie (Du soleil dans les yeux (1953), Adua et ses compagnes (1960), Je la connaissais bien (1965)), L’Amour en ville offre donc une vraie et déprimante photographie sur le sujet en ce début des années 50. Le film débute par ton neutre de publireportage, une voix-off sentencieuse déclamant la tragédie de ces victimes modernes de l’amour, avec un filmage à l’avenant entre  urbain froid et distancié et témoignage face caméra. C’est le cas dans L’Amour qu’on paie de Carlo Lizzani, où la caméra observe les silhouettes féminines surgissant telles des fantômes la nuit venue dans les recoins de banlieues sinistres et ruelles mal famées. Ce sont des ombres partagées entre la honte et la crainte de la police incitant à racoler discrètement, et des destins individuels que chaque témoignage rend unique, la femme mûre fanée par le métier à la jeunette n’ayant trouvant que cette voie pour subsister. Ce segment fut d'ailleurs censuré lors de l'exploitation du film.

Tentative de suicide de Michelangelo Antonioni emprunte la même voie, partagée entre voix-off emphatique et témoignage de femmes ayant tentée de mettre fin à leur jour par amour. L’aspect documentaire est moins appuyé et s’imprègne de la veine existentielle et tragique propre à Antonioni. Ainsi le drame doit autant à la lâcheté des hommes (souvent face à des grossesses non désirées) qu’à la faiblesse de femmes conditionnées à vivre à leurs crochets. On pense à cette femme séparée de son époux qui va tenter de se suicider simplement pour que celui-ci la « reprenne » alors qu’ils ne s’entendent pas. Elle ne semble pas plus heureuse au final, mais est reste au moins dans la « norme ».
Cette norme, la fille-mère de L’Histoire de Catherine de Francesco Maselli et Cesare Zavattini, en est exclue. Abandonnée par son fiancé et chassée par sa famille, Catherine (Caterina Rigoglioso) erre en ville à la recherche d’un emploi qui lui permettra de payer la nourrice de son fils. Ce sketch apparait en tout point comme un remake rajeuni et au féminin de Umberto D justement scénarisé par Zavattini.

La jeune femme est aussi démunie que le vieillard d’Umberto D, se heurtant à une bureaucratie tatillonne et sans empathie, à l’indifférence de ses semblables dans une Italie pauvre où le chacun pour soi prévaut. Les compagnons que sont le bébé et le chien correspondent bien sûr au stade d’existence des personnages, mais s’avèrent tout aussi tristement encombrant quand on n’a pas de quoi les nourrir. L’affection innocente et sans condition passant à travers leur regard constituent pourtant les raisons qui pour Catherine comme Umberto, les pousseront à ne pas s’abandonner au désespoir. Le mimétisme est poussé jusqu’à la sa scène d’abandon, très proche dans les deux films. Il s’agit certainement du sketch le plus poignant de l’ensemble.

Cette vulnérabilité féminine se ressent aussi dans Une agence matrimoniale de Federico Fellini. C’est sur la femme qu’est menée une enquête avant l’entrevue dont le mécanisme ressemble plus à une visite d’appartement (appel de l’agent qui organise la visite/tête à tête avec la jeune femme jetée en pâture) qu’à une rencontre amoureuse. C’est pourtant une situation dont s’accommode Rossana (Lidia Venturini) pour qui le mariage est un moyen comme un autre d’échapper à sa condition. Un peu de légèreté s’invite tout de même avec Le Bal du samedi soir de Dino Risi et Les Italiens se retournent d’Alberto Lattuada. Risi dans ses premiers films traitaient déjà de ces amours urbaines et juvéniles mouvementées, dans Boulevard de l’espérance (1953), Le Signe de Vénus (1955) et surtout la trilogie des Pauvres mais beaux (1956, 1957 et 1959). Il nous en offre un condensé en miniature sur cette piste de danse où les couples se font, se défont ou ne se font pas au gré d’un chaperon trop zélé, d’une timidité insurmontable. L’ironie mordante de Risi fait mouche pour capturer les jeux de séduction tendres, discrets ou démonstratifs où se disputent désir et romance.

Les Italiens se retournent est très intéressant à l’aune de certains comportements masculins plus explicitement (et à juste titre) décriés aujourd’hui. Le sketch s’ouvre sur plusieurs pimpantes jeunes femmes se faisant belle au moment de sortir. C’est un véritable défilé de beautés italiennes radieuses déambulant insouciantes dans les rues de la ville. Le temps qu’à pris Lattuada à les montrer s’apprêter, les travellings fluides qu’il déploie à les montrer fièrement arpenter les rues, tout cela souligne une dualité à vouloir être belle pour soi mais aussi à capturer le regard des autres. Ce regard masculin justement, Lattuada s’en amuse tout en en montrant la facette oppressante pour les plus insistants et se montre ainsi diablement moderne dans les problématiques soulevées par ce segment en apparence le plus léger. Lattuada soulève dans une même image l’indépendance de la femme à s’exposer librement dans la tenue qu’elle veut, mais aussi la fragilité de cette liberté dans une société italienne patriarcale comme l’a démontré le reste du film. Une œuvre fort intéressante donc, une rareté qui vaut le coup d’être découverte.

En salle le 24 juin

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