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mercredi 20 mai 2015

Umberto D - Vittorio De Sica (1952)

Umberto Domenico Ferrari, petit professeur retraité, n'a guère de raison de se féliciter de son dévouement à l'Etat. La maigre pension que lui alloue son ancien employeur ne suffit plus à lui assurer une existence décente. Seul au monde, le vieil homme doit se contenter de la compagnie de son chien, Flike. Menacé d'expulsion par sa logeuse puis hospitalisé, Umberto se résout finalement à mendier pour survivre. Mais le destin, une fois encore, le contrarie et l'humilie. Umberto envisage alors de mettre fin à ses jours. Auparavant, il aimerait confier Flike à une personne sérieuse...

Umberto D marque l’apogée et la conclusion de la veine néoréaliste de Vittorio De Sica. Après ce film, le réalisateur devra se réinventer avec l’hybride Station Terminus oscillant entre néoréalisme et mélodrame hollywoodien, ainsi que dans L’Or de Naples où il teinte ses observations sociales d’une touche de comédie. Auparavant et après des premières œuvres plus commerciales, De Sica s’était révélé en scrutant la réalité de l’Italie ravagée d’avant et après-guerre à travers des titres majeurs : Les Enfants nous regardent (1943), Sciuscià (1946), Le Voleur de bicyclette (1948) et Miracle à Milan (1951). La crudité teintée de poésie des scripts de Cesare Zavattini était magnifiée par la profonde sensibilité de l’illustration qu’en donnait Vittorio De Sica. Chacun des films s’attachait à la description d’une enfance dont l’innocence était brisée par le contexte social difficile,  que ce soit par l’abandon parental, la manipulation des adultes conduisant à la délinquance… Dans Le Voleur de bicyclette et Miracle à Milan, De Sica avait développé cette question en mettant en place une épure narrative, des trames simples où le drame des personnages interagissait avec plus de force encore à cet environnement social. Umberto D signe l’aboutissement de cette approche, réussissant à bouleverser avec la simple histoire d’un vieil homme se raccrochant à la vie grâce à l’amour de son chien.

Umberto D s’attaque à une autre forme de vulnérabilité face à l’adversité, la vieillesse remplaçant l’enfance. Nous découvrons donc ici le quotidien difficile de Umberto Domenico Ferrari (Carlo Battisti), retraité qui du mal joindre les deux bout, ses maigres revenus ne suffisant pas à lui assurer le gîte et le couvert. Dès la scène d’ouverture où les retraités manifestent pour augmenter leur pension, la déchéance et le mépris de ce troisième âge s’exprime. N’ayant pas la force d’écho et de nuisance de manifestants plus jeunes, nos vieillards sont dispersés sans difficulté et de manière presque comique par les forces de l’ordre. Ils n’ont certes pas eu l’autorisation de manifester mais cela n’auraient pas arrêté des opposants vigoureux et déterminés mais là les corps frêles et les visages essoufflés n’offrent guère de résistance. Ce mépris adressé à une tranche d’âge entière le temps d’une péripétie collective, Umberto va la ressentir de manière individuelle tout au long du film. 

Dans les précédentes œuvres les enfants avaient pour eux une candeur certes menacée d’être bafouée, une vigueur physique et tout simplement une jeunesse qui appelait à de jours meilleurs malgré les épreuves. Sans ressources ni famille, Umberto serait désespérément seul sans l’affection indéfectible de son chien Flyke. C’est le seul être dont il a à se préoccuper et qui se soucie de lui en retour, lui rendant son affection sans calcul. Fort de l’interprétation sensible de Carlo Battisti - professeur de linguistique à l'Université de Florence et acteur non-professionnel comme souvent dans l’œuvre néoréaliste de De Sica - le personnage semble ainsi comme retomber en enfance et oublier les difficultés par l’amusement éphémère que lui procure son compagnon à quatre pattes – quand il l’observe depuis la fenêtre de l’hôpital ou ce beau moment où il le retrouvera dans le chenil.

Umberto D semble sur bien des points avoir été une des matrice du célèbre Une Journée particulière (1977) de Ettore Scola – qui dédiera d’ailleurs à De Sica fraîchement disparu son Nous nous sommes tant aimé (1974). Scola y dépeindra lui aussi des faibles, des rejetés avec une Sophia Loren et un Marcello Mastroianni, homosexuel et femme à la marge de la société fasciste de Mussolini et de son machisme exacerbé. Umberto D annonce la suite de l’œuvre de De Sica en scrutant l’isolement de ses personnages. Le fascisme n’est plus mais le mur de l’individualisme auquel se confronte Umberto annonce le monde capitaliste froid de Il Boom (1963). Le dénuement est une honte dont il vaut s’accommoder seul plutôt que de l’exprimer et/ou s’entraider. Ainsi après la manifestation d’ouverture, un autre vieillard avec lequel Umberto avait sympathisé va-t-il fuir sa conversation quand il essaiera de lui vendre sa montre. Plutôt que d’admettre qu’il n’en a pas les moyens, il préfère échapper à son interlocuteur non sans avoir affirmé avoir déjà une montre dont il ne se souvient plus la marque mais qui demeure bien sûr chez lui, dans une boite en or. 

Les anciens amis et collègues se montreront tout aussi fuyants et faussement amicaux quand Umberto dévoilera timidement ses déboires. Notre héros tout à sa fierté précaire le ressent et n’osera jamais quémander ouvertement, si ce n’est dans ce poignant moment où il n’ose se résoudre à faire l’aumône. Le regard inquisiteur des autres est trop fort pour cet homme qui a toujours travaillé  et à qui un automne de la vie plus paisible est refusé. De Sica endosse d’ailleurs le regard craintif de son héros scrutant les ruelles grouillantes où cette division entre démunis implorants (ou vociférant tel ce moment comique où un mendiant obtient son dû par son seul ton autoritaire) et quidams indifférents lui rappelle malheureusement bien dans quel camp il se situe.

Le film amorce déjà les élans féministes - et déjà perceptible dans Les Enfants nous regardent où il ne juge jamais cette mère désertant le foyer – à venir dans la filmographie de De Sica, notamment le sketch Teresa dans L’Or de Naples et qui constitue une sorte de prologue au magnifique Mariage à l’italienne (1964). La jeune servante de la pension Maria (Maria Pia Casilio) sympathisera ainsi avec Umberto dont elle partage l’avenir incertain. Ce sera elle par son statut de femme et jouet des hommes, les deux amants auxquels elle a cédé se détournant quand elle sera enceinte. Elle est promise au renvoi quand sa patronne connaîtra son état et à la violence et répudiation de sa famille si elle ose retourner dans sa région et les couvrir de honte. Umberto est un fardeau pour cette Italie moderne qui souhaite avancer et Maria la paria d’une mentalité loin d’avoir disparue dans le pays. La complicité entre n’en est que plus attachante, Umberto plus inquiet que juge de la situation de Maria et cette dernière plus compatissante que moqueuse devant les efforts du vieillard pour subsister.

La détresse et l’amusement se confondent d’ailleurs dans la débrouillardise d’Umberto et des autres laissés pour compte pour s’en sortir tel ces séjours prolongés à l’hôpital pour économiser les dépenses. Mais alors que la société rejette la vieillesse et qu’il est trop tard pour tout recommencer, le plus facile, le plus simple pour tout le monde est peut-être tout simplement d’en finir. La tentation funeste du suicide se dessine dans des séquences muettes glaçantes dont notre héros ne se détourne qu’en reportant son regard sur le fidèle Flike. Après tout un chien sans maître est tout aussi inutile que lui dans cette urbanité sans âme comme le montrera la machine exécutant en masse les animaux au sein du chenil. Par une science du montage parfaite mais aussi un dressage brillant du chien – des chiens même puisque De Sica en utilisa deux sur le tournage le spectateur attentif relevant la différence entre les deux bâtards l’un tête noire et le côté blanc principalement et l’autre museau blanc et tache noire sur son flanc plus sporadiquement – le réalisateur confère une expressivité frappante à l’animal. 

Alerte et joueur en présence de son maître, le regard et la gestuelle touchante quand il s’apprête à le quitter (comme quand il se cachera derrière sa jambe devant le sinistre foyer pour chien) puis enfin craintif et méfiant quand il devinera ses noirs desseins. Les dix dernières minutes d’Umberto D figurent parmi les plus bouleversantes de l’histoire du cinéma. Décidé à achever cette triste existence et ne pouvant se défaire de l’amour fidèle de Flike - ce long plan où le chien abandonné le cherche et le trouve dans sa cachette achève de tirer les larmes au spectateur – Umberto sera pourtant écarté à sa terrible résolution par l’animal. L’instinct de vie est le plus fort chez le chien qui s’arrache au bras de son maître avant l’instant fatidique face à une voie ferrée. Cette fuite ranime ainsi la flamme chez Umberto qui ne méritera la confiance de Flike que s’il se raccroche à cette vie si pénible. 

Les humiliations, privations et désagréments ordinaires s’oublient alors pour  retrouver cette insouciance simple du jeu entre un maître et son chien. En retrouvant cet émerveillement naïf, cet être à reconquérir et à s’attacher, Umberto est ramené à la vie par Flike. La caméra de De Sica s’éloigne alors sur ce moment typique de la bienveillance du réalisateur envers ses personnages. La situation d’Umberto n’a guère évoluée mais il a compris qu’il possédait ce que bien des âmes solitaires chercheront en vain : un ami auquel se raccrocher en toutes circonstances.

En dépit d’une critique dithyrambique, le film sera pourtant un échec commercial. La Palme d'or promise au Festival de Cannes 1952 est ainsi bloquée par des pressions italiennes et Giulio Andreotti alors secrétaire d'état au tourisme et au spectacle accusera publiquement De Sica de trahison à la patrie par la vision qu'il donne du pays à travers ses films. Le mouvement néoréaliste touche à sa fin et est désormais fustigé pour l’imagerie misérabiliste et pessimiste qu’il offre d’une Italie où s’amorce le miracle économique. Une belle métaphore du film en somme où à l’instar des autorités du pays refusant de regarder cette pauvreté, Umberto le vieillard n’a plus le droit d’exister. De Sica forcé de se réinventer - et dérogeant déjà à certains dogme néoréaliste avec des intérieurs tournés en studio – n’abandonnera cependant pas le combat mais emploiera des armes plus enjôleuses pour exprimer ses révoltes. 

Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta et ressort en salle cette semaine



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