Umberto Domenico
Ferrari, petit professeur retraité, n'a guère de raison de se féliciter de son
dévouement à l'Etat. La maigre pension que lui alloue son ancien employeur ne
suffit plus à lui assurer une existence décente. Seul au monde, le vieil homme
doit se contenter de la compagnie de son chien, Flike. Menacé d'expulsion par
sa logeuse puis hospitalisé, Umberto se résout finalement à mendier pour
survivre. Mais le destin, une fois encore, le contrarie et l'humilie. Umberto
envisage alors de mettre fin à ses jours. Auparavant, il aimerait confier Flike
à une personne sérieuse...
Umberto D marque
l’apogée et la conclusion de la veine néoréaliste de Vittorio De Sica. Après ce
film, le réalisateur devra se réinventer avec l’hybride Station Terminus oscillant entre néoréalisme et mélodrame
hollywoodien, ainsi que dans L’Or de Naples où il teinte ses observations sociales d’une touche de comédie.
Auparavant et après des premières œuvres plus commerciales, De Sica s’était
révélé en scrutant la réalité de l’Italie ravagée d’avant et après-guerre à
travers des titres majeurs : Les Enfants nous regardent (1943), Sciuscià
(1946), Le Voleur de bicyclette
(1948) et Miracle à Milan (1951). La
crudité teintée de poésie des scripts de Cesare Zavattini était magnifiée par
la profonde sensibilité de l’illustration qu’en donnait Vittorio De Sica. Chacun
des films s’attachait à la description d’une enfance dont l’innocence était
brisée par le contexte social difficile,
que ce soit par l’abandon parental, la manipulation des adultes
conduisant à la délinquance… Dans Le
Voleur de bicyclette et Miracle à
Milan, De Sica avait développé cette question en mettant en place une épure
narrative, des trames simples où le drame des personnages interagissait avec
plus de force encore à cet environnement social. Umberto D signe l’aboutissement de cette approche, réussissant à
bouleverser avec la simple histoire d’un vieil homme se raccrochant à la vie grâce
à l’amour de son chien.
Umberto D s’attaque
à une autre forme de vulnérabilité face à l’adversité, la vieillesse remplaçant
l’enfance. Nous découvrons donc ici le quotidien difficile de Umberto Domenico
Ferrari (Carlo Battisti), retraité qui du mal joindre les deux bout, ses
maigres revenus ne suffisant pas à lui assurer le gîte et le couvert. Dès la
scène d’ouverture où les retraités manifestent pour augmenter leur pension, la
déchéance et le mépris de ce troisième âge s’exprime. N’ayant pas la force d’écho
et de nuisance de manifestants plus jeunes, nos vieillards sont dispersés sans
difficulté et de manière presque comique par les forces de l’ordre. Ils n’ont certes
pas eu l’autorisation de manifester mais cela n’auraient pas arrêté des
opposants vigoureux et déterminés mais là les corps frêles et les visages
essoufflés n’offrent guère de résistance. Ce mépris adressé à une tranche d’âge
entière le temps d’une péripétie collective, Umberto va la ressentir de manière
individuelle tout au long du film.
Dans les précédentes œuvres les enfants
avaient pour eux une candeur certes menacée d’être bafouée, une vigueur
physique et tout simplement une jeunesse qui appelait à de jours meilleurs
malgré les épreuves. Sans ressources ni famille, Umberto serait désespérément seul
sans l’affection indéfectible de son chien Flyke. C’est le seul être dont il a
à se préoccuper et qui se soucie de lui en retour, lui rendant son affection
sans calcul. Fort de l’interprétation sensible de Carlo Battisti - professeur
de linguistique à l'Université de Florence et acteur non-professionnel comme
souvent dans l’œuvre néoréaliste de De Sica - le personnage semble ainsi comme
retomber en enfance et oublier les difficultés par l’amusement éphémère que lui
procure son compagnon à quatre pattes – quand il l’observe depuis la fenêtre de
l’hôpital ou ce beau moment où il le retrouvera dans le chenil.
Umberto D semble
sur bien des points avoir été une des matrice du célèbre Une Journée particulière (1977) de Ettore Scola – qui dédiera d’ailleurs à
De Sica fraîchement disparu son Nous nous sommes tant aimé (1974). Scola y dépeindra lui aussi des faibles, des
rejetés avec une Sophia Loren et un Marcello Mastroianni, homosexuel et femme à
la marge de la société fasciste de Mussolini et de son machisme exacerbé. Umberto D annonce la suite de l’œuvre de
De Sica en scrutant l’isolement de ses personnages. Le fascisme n’est plus mais
le mur de l’individualisme auquel se confronte Umberto annonce le monde
capitaliste froid de Il Boom (1963).
Le dénuement est une honte dont il vaut s’accommoder seul plutôt que de l’exprimer
et/ou s’entraider. Ainsi après la manifestation d’ouverture, un autre vieillard
avec lequel Umberto avait sympathisé va-t-il fuir sa conversation quand il
essaiera de lui vendre sa montre. Plutôt que d’admettre qu’il n’en a pas les
moyens, il préfère échapper à son interlocuteur non sans avoir affirmé avoir déjà
une montre dont il ne se souvient plus la marque mais qui demeure bien sûr chez
lui, dans une boite en or.
Les anciens amis et collègues se montreront tout
aussi fuyants et faussement amicaux quand Umberto dévoilera timidement ses
déboires. Notre héros tout à sa fierté précaire le ressent et n’osera jamais
quémander ouvertement, si ce n’est dans ce poignant moment où il n’ose se
résoudre à faire l’aumône. Le regard inquisiteur des autres est trop fort pour
cet homme qui a toujours travaillé et à
qui un automne de la vie plus paisible est refusé. De Sica endosse d’ailleurs
le regard craintif de son héros scrutant les ruelles grouillantes où cette
division entre démunis implorants (ou vociférant tel ce moment comique où un
mendiant obtient son dû par son seul ton autoritaire) et quidams indifférents
lui rappelle malheureusement bien dans quel camp il se situe.
Le film amorce déjà les élans féministes - et déjà
perceptible dans Les Enfants nous
regardent où il ne juge jamais cette mère désertant le foyer – à venir dans
la filmographie de De Sica, notamment le sketch Teresa dans L’Or de Naples
et qui constitue une sorte de prologue au magnifique Mariage à l’italienne (1964). La jeune servante de la pension Maria (Maria
Pia Casilio) sympathisera ainsi avec Umberto dont elle partage l’avenir
incertain. Ce sera elle par son statut de femme et jouet des hommes, les deux
amants auxquels elle a cédé se détournant quand elle sera enceinte. Elle est promise
au renvoi quand sa patronne connaîtra son état et à la violence et répudiation
de sa famille si elle ose retourner dans sa région et les couvrir de honte.
Umberto est un fardeau pour cette Italie moderne qui souhaite avancer et Maria
la paria d’une mentalité loin d’avoir disparue dans le pays. La complicité
entre n’en est que plus attachante, Umberto plus inquiet que juge de la
situation de Maria et cette dernière plus compatissante que moqueuse devant les
efforts du vieillard pour subsister.
La détresse et l’amusement se confondent d’ailleurs dans la
débrouillardise d’Umberto et des autres laissés pour compte pour s’en sortir
tel ces séjours prolongés à l’hôpital pour économiser les dépenses. Mais alors
que la société rejette la vieillesse et qu’il est trop tard pour tout
recommencer, le plus facile, le plus simple pour tout le monde est peut-être
tout simplement d’en finir. La tentation funeste du suicide se dessine dans des
séquences muettes glaçantes dont notre héros ne se détourne qu’en reportant son
regard sur le fidèle Flike. Après tout un chien sans maître est tout aussi
inutile que lui dans cette urbanité sans âme comme le montrera la machine
exécutant en masse les animaux au sein du chenil. Par une science du montage
parfaite mais aussi un dressage brillant du chien – des chiens même puisque De
Sica en utilisa deux sur le tournage le spectateur attentif relevant la
différence entre les deux bâtards l’un tête noire et le côté blanc principalement
et l’autre museau blanc et tache noire sur son flanc plus sporadiquement – le réalisateur
confère une expressivité frappante à l’animal.
Alerte et joueur en présence de
son maître, le regard et la gestuelle touchante quand il s’apprête à le quitter
(comme quand il se cachera derrière sa jambe devant le sinistre foyer pour
chien) puis enfin craintif et méfiant quand il devinera ses noirs desseins. Les
dix dernières minutes d’Umberto D figurent
parmi les plus bouleversantes de l’histoire du cinéma. Décidé à achever cette
triste existence et ne pouvant se défaire de l’amour fidèle de Flike - ce long
plan où le chien abandonné le cherche et le trouve dans sa cachette achève de
tirer les larmes au spectateur – Umberto sera pourtant écarté à sa terrible
résolution par l’animal. L’instinct de vie est le plus fort chez le chien qui s’arrache
au bras de son maître avant l’instant fatidique face à une voie ferrée. Cette
fuite ranime ainsi la flamme chez Umberto qui ne méritera la confiance de Flike
que s’il se raccroche à cette vie si pénible.
Les humiliations, privations et
désagréments ordinaires s’oublient alors pour
retrouver cette insouciance simple du jeu entre un maître et son chien.
En retrouvant cet émerveillement naïf, cet être à reconquérir et à s’attacher,
Umberto est ramené à la vie par Flike. La caméra de De Sica s’éloigne alors sur
ce moment typique de la bienveillance du réalisateur envers ses personnages. La
situation d’Umberto n’a guère évoluée mais il a compris qu’il possédait ce que
bien des âmes solitaires chercheront en vain : un ami auquel se raccrocher
en toutes circonstances.
En dépit d’une critique dithyrambique, le film sera pourtant
un échec commercial. La Palme d'or promise au Festival de Cannes 1952 est ainsi
bloquée par des pressions italiennes et Giulio Andreotti alors secrétaire
d'état au tourisme et au spectacle accusera publiquement De Sica de trahison à
la patrie par la vision qu'il donne du pays à travers ses films. Le mouvement
néoréaliste touche à sa fin et est désormais fustigé pour l’imagerie
misérabiliste et pessimiste qu’il offre d’une Italie où s’amorce le miracle
économique. Une belle métaphore du film en somme où à l’instar des autorités du
pays refusant de regarder cette pauvreté, Umberto le vieillard n’a plus le
droit d’exister. De Sica forcé de se réinventer - et dérogeant déjà à certains
dogme néoréaliste avec des intérieurs tournés en studio – n’abandonnera
cependant pas le combat mais emploiera des armes plus enjôleuses pour exprimer
ses révoltes.
Sorti en dvd zone 2 français chez Carlotta et ressort en salle cette semaine
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