Imaginez un monde prêt
à se lancer dans la conquête de l'espace... Imaginez que vous êtes Shiro, un
jeune pilote sans avenir qui se retrouve engagé dans la Royal Space Force. Une
rencontre fortuite avec Riquinni, une jeune femme dévote lance Shiro sur sa
destinée : devenir le premier homme dans l'espace. Mais l'armée qui finance le
projet veut utiliser le programme pour lancer une nouvelle guerre mondiale. Il
s'engage alors entre Shiro et les militaires, une course contre la montre afin
de réussir à tout prix le premier lancement.
Les Ailes d'Honnéamise
constitue une date dans l’histoire de l’animation japonaise. C’est la première
production du Studio Gainax, véritable institution à laquelle on devra des
classiques comme la série Nadia et le
secret de l'eau bleue, Neon Genesis
Evangelion, Otaku no video ou Gunbuster pour citer les plus fameux. Le
film innove notamment par sa méthode de production révolutionnaire dans le
paysage de la japanimation. Gainax est en effet constitué à l’époque d’artistes
inconnus et novices, des étudiants initialement venus de Daicon Film, une
structure destinée à produire des films amateurs. Leur premier fait d’arme sera
un court-métrage en 8 mm présenté à la convention Daicon 3 en 1981 et par la
suite ils ouvriront la boutique General Products spécialisée dans la
science-fiction. Le but est de créer une passerelle entre les produits dérivés
et la production de films.
Une démarche courante désormais mais relativement
inédite à l’époque, leur permettant d’attirer l’attention du fabricant de jouet
Bandai qui financera en grande partie Les
Ailes d’Honnéamise. Autour du réalisateur Hiroyuki Yamada va ainsi se
constituer une équipe de grands noms en devenir, le plus connu étant bien sûr
Hideaki Anno (futur créateur d’Evangelion)
ici directeur de l’animation. La production atypique se conjuguera donc à une
révolution esthétique découlant elle-même d’un scénario ambitieux. Le film
découle d’une tendance plus adulte se développant de l’animation japonaise et
plus particulièrement la science-fiction avec des œuvres comme Space Battleship Yamato, Gundam ou bien sûr Macross. Mais alors que ces séries conciliaient leurs audaces avec
une dimension plus grand public (les chansons pop et les romances à l’eau de
rose de Macross par exemple), Les Ailes d’Honnéamise s’avère assez
radical dans sa volonté de délivrer un spectacle adulte.
Dans le royaume fictif d’Honnéamise,
la section de l’armée consacrée à l’exploration spatiale végète depuis de
longues années. Les échecs et la mort tragique des différents pilotes d’essai a
donc ralenti son activité, ses membres sombrant dans l’oisiveté et la
nonchalance. C’est le cas de notre héros Shiro qui aura vu se briser ses rêves
d’enfance de conquête de l’espace. Ce détachement se signale dès sa première
apparition où il arrive sans uniforme à une cérémonie funèbre, sa silhouette
détonant avec ses camarades et exprimant le regard désabusé qu’il porte sur son
corps. Le début du film prend le temps d’exprimer le spleen de ce personnages
pas à sa place au sein de l’armée où il s’ennuie mais aussi dans un monde qui
n’a rien à lui offrir.
Sa rencontre avec la jeune Riquinni va pourtant le
galvaniser. Malgré une existence difficile, celle-ci est habitée et s’accroche
à sa foi en rêvant à un monde meilleur. Ce sera un déclic pour Shiro qui se
porte volontaire pour la prochaine grande mission spatiale de la Royal Space
Force – sa candidature offrant un pendant inverse du début puisque là il est le
seul en uniforme et concerné alors que ses camarades se défilent. Le film
constitue ainsi une sorte d’Etoffe des
héros en animation, l’ensemble du récit constituant les préparatifs de ce
qui doit être le plus grand des exploits, le premier homme en orbite autour de
la Terre.
On aura ainsi des descriptions riches en détails de toute la
logistique de ce monde de l’aéronautique pour mener à bien le projet, que ce
soit l’entraînement rigoureux de Shiro ou les longues séquences en entrepôt
illustrant les différents stades de l’entreprise. Cela ne sera jamais ennuyeux
car se plaçant toujours à hauteur humaine. D’abord par l’humour avec la joyeuse
troupe de la Royal Force, complice et gaffeuse (la bagarre avec le corps de
l’armée traditionnelle qui les méprise) mais surtout à travers les moments
introspectifs où notre héros fait face à ses doutes. Doutes sur lui-même et sa
réelle capacité à accomplir l’impossible mais aussi sur la raison d’être du
projet.
Le scénario ose une surprenante réflexion quant à la facette politique
de ces conquêtes spatiales. Le pays imaginaire d’Honnéamise constitue ainsi un
mélange du Japon industriel et totalitaire des années 30/40 (à travers son
culte du chef notamment) et de l’URSS de la Guerre Froide, le prestige de
l’exploit autorisant des ressources financières colossales alors que le pays
vit dans la misère. Shiro artificiellement érigé en demi-dieu de la nation par
les médias voit ainsi en Riquinni ou les sans-abris les démunis que sa mission
empêche de mieux vivre. Ce sera d’autant plus vrai quand le projet s’avérera une
manœuvre fourbe visant à provoquer une guerre avec l’état voisin. La géopolitique,
l’espionnage et la paranoïa vont ainsi souiller le doux rêve de Shiro qui aura
bien du mal à s’y raccrocher jusqu’au bout.
Grandiose et intimiste à la fois, Les Ailes d’Honnéamise constitue en quelque sorte une métaphore de
la propre situation du studio Gainax naissant. Un groupe de gens inexpérimentés
tente de tutoyer les étoiles envers et contre tout, leur rêve devant surmonter
tous les obstacles. L’ensemble des personnages fonctionnent ainsi, Riquinni
toujours vaillante comptant sur Dieu pour voir sa condition s’améliorer et bien
sûr Shiro et ses compagnons pour qui cette mission devient l’accomplissement
d’une vie. Une même foi animait les membres de Gainax (l’expérience ayant été
fondatrice et inoubliable pour tous les membres de l’équipe qui célèbrent le
film tous les dix ans depuis sa sortie).
L’univers entier créé, la méticulosité
du décor et l’innovation des nombreuses machines qui parsèment le récit
impressionnent, tout comme la fluidité de l’animation qui relève du jamais vu
pour un film de 1987. La musique de Ryuichi Sakamoto amène une grâce, une
tonalité rêveuse et onirique à des images où la poésie s’invite à travers
nombres de visions fabuleuses. On pense au final où les combats s’arrêtent, les
belligérants cessant leurs attaques pour lever les yeux au ciel et assister à
l’incroyable, un fusée s’élevant pour quitter l’atmosphère terrestre.
L’épiphanie de Shiro contemplant la planète depuis l’espace est aussi un moment
extraordinaire où tous les prodiges de l’Homme renaissent dans cet instant.
Trop novateur, ambitieux et inclassable, le film (malgré des critiques
élogieuses dans le monde entier) connaîtra un succès mitigé qui scellera
presque la carrière d’Hiroyuki Yamada, mais pas celle du Studio Gaina qui
s’offre là une sacrée carte de visite.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Alltheanime dans une très belle réédition récente
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