Dans le château des
Chatterley, Constance coule des jours monotones, enfermée dans son mariage et
son sens du devoir. Au printemps, au cœur de la forêt de Wragby, elle fait la
connaissance de Parkin, le garde-chasse du domaine. Le film est leur histoire. Le
récit d'une rencontre, d'un difficile apprivoisement, d'un lent éveil à la
sensualité pour elle, d'un long retour à la vie pour lui. Ou comment l'amour ne
fait qu'un avec l'expérience de la transformation.
Pascale Ferran signe une très célébrée adaptation du
classique de D.H. Lawrence avec ce Lady
Chatterley. Un troisième film qui ce sera fait attendre puisqu’arrivant 6
ans après L'Âge des possibles et
douze après l’inaugural Petits
arrangements avec les morts, illustrant l’exigence de la cinéaste et sa
difficulté à entrer dans les cahiers des
charges des financeurs télévisuels. Cette vision singulière du roman de
Lawrence vient le prouver nouveau. Pascale Ferran choisit en effet d’adapter Lady Chatterley et l’homme des bois,
seconde et intermédiaire version du roman parue en 1932 puisque la première
expurgée de ses passages érotiques les plus explicites paraitra uniquement à Florence
en 1928.
Il faudra attendre 1960 et un retentissant procès pour que l’éditeur
Penguin Books puisse éditer en Angleterre la version intégrale, ouvrant une
nouvelle voie dans la liberté d’expression au sein du pays. Lady Chatterley et l’homme des bois n’est
pas seulement une œuvre censurée mais carrément une version alternative aux
différences nombreuses. Clifford, le mari impuissant y paraît nettement moins
antipathique/pathétique que dans la version définitive, le garde-chasse ne se
nomme plus Oliver Mellors mais Parkin et est plus ouvertement caractérisé par
cette facette « d’homme des bois » que par la nature torturée de
Mellors. Mellors était un homme de niveau social inférieur mais néanmoins
éduqué qui aura renoncé à s’élever, dégouté par la tournure de la société moderne
et se réfugiant dans l’isolation janséniste de ce poste de garde de chasse.
Par ce choix de Parkin et l’adoucissement de Clifford,
Pascale Ferran fait des deux personnages masculins des archétypes d’hommes
primitif et civilisés. Chacun à leur manière
ce sont des êtres incomplets figés par leur environnement et/ou handicaps.
Clifford (Hippolyte Girardot), rendu infirme et impuissant après la guerre vit
donc une existence chaste avec son épouse Constance (Marina Hands) dans le
domaine Wragby. La forêt entourant leur demeure est préservé par Parkin (Jean-Louis
Coulloc'h), l’imposant et taciturne garde-chasse. C’est réellement le portrait
de femme et l’éveil de Constance qui intéresse Pascale Ferran. La monotonie de
l’existence à Wragby, sa dévotion à son époux infirme, sa présence silencieuse
et soumise lorsqu’il reçoit ses amis, tout cela se déroule dans une lenteur
savamment orchestrée et une imagerie
terne. La reconstruction de Constance se fera au fil des quatre saisons.
L’ennui
du début a lieu dans un morne automne, la dépression et le désespoir par un
hiver blafard, le renouveau par un resplendissant printemps et la passion dans un
été bariolé. Marina Hands, teint cireux et présence figée voit sa féminité se
perdre dans des robes informes, forcée de s’en assurer quand elle observe son
corps nu dont les courbes ne demandent qu’à être embrasée. L’idée est simple
mais fonctionne visuellement, à savoir soumettre l’environnement aux états de
son héroïne. L’aspect pesant, crépusculaire et déprimant de l’automne et l’hiver
sont plutôt bien rendus tandis que les herbes se font plus vertes et les premiers
bourgeons plus éclatants en printemps/été par la grâce de la photo de Julien Hirsch. Tout cela
se fait dans une tonalité feutrée, sobre mais malheureusement aussi assez
terne.
Le problème n’est pas la fidélité narrative (le film suit
plutôt fidèlement la trame du roman) mais le ton. Pascale Ferran aura choisie
de transposer Lady Chatterley et l’homme
des bois plutôt que la version définitive en grande partie pour sa
sobriété, pour le côté plus suggestif qu’explicite notamment par le rôle de la
nature et comme déjà dit la dimension plus archétypale des protagonistes
masculins. Seulement par cette retenue elle les rend terriblement ternes. Si l’on
n’a pas lu le roman, la magie peut fonctionner mais si c’est le cas on ressent
forcément que Constance était le seul personnage à intéresser réellement Pascale Ferran.
Toute la
complexité et l’abandon progressif de Constance à ses sens s’y fait avec brio, notamment dans les scènes d’amour. Tour à
tour dépassée par le désir de Parkin, extérieure à l’étreinte car l’intellectualisant
et ne pouvant passer l’écart de classe, Constance finit par oublier les
entraves pour se livrer et être le moteur de cette passion
charnelle. Marina Hands fait merveilleusement passer cela (et également la belle idée visuelle de traverser la porte du portail pour s'évader) mais la dimension
romanesque ne peut réellement s’imposer faute de figures masculines marquante.
D.H. Lawrence dans la version définitive du livre avait incarné à travers
Parkin/Mellors et Clifford les mutations de la société anglaise d’alors,
basculant de l’ère rurale à l’industrielle. Le garde-chasse y était à la fois
un corps vaillant et viril mais aussi une âme pure ayant choisie l’exil d’une
vie plutôt que la soumission aux codes du paraître, richesse et domination du
monde moderne. Clifford par son handicap ne pouvait plus qu’exister au
contraire dans cette ère industrielle où sa virilité s’imposerait par son
statut de gentleman et les richesses de sa mine de charbon.
Pascale Ferran
évacue toute ces questionnements sociaux et Parkin n’est qu’une présence
animale imposante et Clifford un corps malade et atrophié. Là aussi les scènes
d’amour sont révélatrices de l’intérêt de Pascale Ferran, s’attardant sur le
déshabillage méticuleux et sensuel de Constance. L’homme n’est qu’une main
empressée et un corps lourd s’imposant à Constance, toute l’émotion passant par l’expression
de son visage lors de l’étreinte et ce à chaque scène charnelle. L’aura
contagieuse de cette ère industrielle se réduira à un ciel gris, à quelques
plans lointain sur l’usine et les mineurs quand le livre entier était imprégné
de cette pesante modernité.
On a donc l’impression d’avoir lu un livre profondément
anglais et de voir un film français. Pas un mal d’autant que ces thématiques
était transposables à un contexte français qui a suivi la même évolution au
XIXe siècle. On regretterait d’ailleurs moins ces omissions si l’écriture ou la
prestation des acteurs enrichissait leur substance. Jean-Louis Coulloc'h malgré
une certaine vulnérabilité se lisant dans le regard en reste cependant au
registre de l’ours mal léché tout en instinct. Hippolyte Girardot est un peu plus
subtil mais là aussi la sécheresse du film l’empêche de gagner en nuance. Sans
doute consciente de cette carence, Pascale Ferran place en épilogue un long
échange un peu forcé entre Constance et Parkin trop tardif et surlignant par
les mots les sentiments du garde-chasse qui n’auront jamais été suffisamment
esquissé durant le reste du film. On est loin du cheminement spirituel et
charnel de Mellors dans la version définitive du livre.
Au final pas une œuvre ratée mais qui en tout cas n’aura pas
su tirer toute la richesse du livre. D.H. Lawrence avait écrit une magnifique
romance parcourue de ces préoccupations sociales et philosophique sur le monde qui
l’entourait. Pascale Ferran a simplement réalisé un beau portrait de femme parfois
parcouru de fulgurances (la course nu sous la pluie) et après tout ce n’est pas
pour rien que le film se nomme simplement Lady
Chatterley. Plutôt curieux de la version télévisée de la BBC par Ken
Russell qui répondra sans doute mieux
mes attentes.
Sorti en dvd zone 2 français chez MK2
Merci Justin pour ta critique de Lady Chatterley. Je suis du même avis que toi. J'adore le roman, et je trouve cet éveil à la sexualité épanouie totalement poignante. J'ai pas du tout retrouvé ça dans cette version assez terne et très "française" comme tu l'as soulignée. A vrai dire, la voix-off de Pascale Ferran me pèse vraiment, le travail sur le son est excellent, la différence d'âge entre Marina Hands et les deux acteurs masculins relève d'un problème de casting (ou d'une spécificité française où il faut toujours des acteurs plus vieux face à une jeune actrice). J'ai vu la version de Ken Russell sur YouTube. J'ai beaucoup aimé cette version, qui est très BBC dans son ensemble (image très léchée, traitement didactique) mais belle mise en scène, si ce n'est que la bande originale est exécrable (apparemment, elle n'est pas d'origine). Tu m'en diras des nouvelles! Merci encore! Tu pourrais critiquer "Saint Laurent" avec Gaspard Ulliel? Je viens de le voir hier en salles, enfin! J'ai beaucoup aimé. Merci. Stephanie Es
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RépondreSupprimerOui le problème c'est que Pascale Ferran n'a retenu que le seul angle féministe du livre et ne réussi finalement qu'à bien esquisser le cheminement de Lady Chatterley. Le problème c'est que l'évolution de Mellors est tout aussi passionnante dans le livre, tout comme le mode de pensée de Clifford mais elle n'en fait rien car ça ne l'intéresse pas et les personnages masculins en reste à des archétypes. Le "Tess" de Polanski avait dans une moindre mesure un peu ce défaut aussi mais visuellement on était des coudées au-dessus de Pascale Ferran. Il faut vraiment que je vois la version Ken Russell effectivement, cela devrait être plus flamboyant et je crois que Mellors est incarné par Sean Bean, acteur que j'aime beaucoup.
J'ai raté Saint Laurent en salle, j'en parlerai à l'occasion d'un petit rattrapage dvd oui pourquoi pas !