Nino, cadre moyen dans une entreprise
milanaise, retourne dans sa Sicile natale afin d'y présenter son épouse,
Marta, et d'y passer quelques jours de vacances. Tout se passe très
bien, mais des "parrains" de la mafia, à qui il doit sa situation, le
chargent, à l'insu de sa famille, d'exécuter une mission particulière.
En
ce début des années 60 la Sicile constitue un fameux terreau
d'inspiration pour le cinéma italien. Par ses mœurs archaïques et son
autarcie, la Sicile constitue un extrême de l'opposition régionale et
sociale au cœur du pays entre le nord riche et industriel et le sud
pauvre et paysan. Deux versant et thèmes se font alors jour pour évoquer
cette Sicile, en premier lieu la Mafia scrutée dans les films dossiers
de Francesco Rosi avec Salvatore Giuliano (1962) et Main basse sur la ville
(1963 qui se déroule à Naples mais la ville sudiste implique ce
fracture régionale). En second ce sera les comédies de mœurs de Pietro
Germi scrutant plutôt des tares sociales comme le crime d'honneur ou le
mariage forcé dans le diptyque sicilien Divorce à l'italienne (1961) et Séduite et abandonnée
(1963). Alberto Lattuada réussit le mariage parfait entre le regard
froid et lucide de Rosi et le rire grinçant de Germi avec une force
saisissante. Le scénario offre ainsi un engrenage implacable où l'ironie
de Marco Ferreri (qui devait initialement le réaliser) et le sens du
grotesque des duettistes Age et Scarpelli fait merveille.
Nino
Badalamenti (Alberto Sordi) est un employé dans une usine milanaise et
s'apprête à partir en vacances dans sa Sicile natale afin de présenter
son épouse Marta (Norma Bengell) et ses filles à sa famille. Avant de
partir son patron lui confie un "paquet" à donner au parrain local Don
Vincenzo (Ugo Attanasio). Ce geste singularise un Badalementi qui sans
cela se fondait parfaitement dans cet environnement d'entreprise
classique et constitue une première manière de montrer à quel point l'on
ne peut vraiment échapper à ses origines. Les sous-entendus (le patron
se félicitant d'avoir un employé sicilien qui réussit, une manière de
souligner l'échec des autres) et certains dialogues hilarants (la
recommandation de se faire vacciner contre la typhoïde comme si l'on
allait dans quelconques contrées exotique) souligne bien avant d'y être
l'image quelque peu arriérée que véhicule la Sicile dans l'inconscient
collectif de l'italien moyen.
Alberto Lattuada en joue également dans la
manière d'illustrer le voyage de la famille vers la région, en faisant
un épuisant périple nécessitant deux trains et un bateau. Seulement
l'énergie et l'enthousiasme d'Alberto Sordi si heureux de retrouver sa
patrie nous emporte et atténue le sentiment d'inquiétude. Cette angoisse
latente va constamment s'opposer à l'allant du personnage au fil de
notre découverte du pays, jusqu'à le contaminer à son tour.
Lattuada
lance cette idée de la manière la plus simple dans un premier temps en
jouant du pittoresque moyenâgeux que peut évoquer la Sicile. Ruelles
désertiques et sablonneuse où circule les charrettes plutôt que les
voitures, demeures sommaires, traditions étranges (convives d'un
enterrement se restaurant en honneur du mort dont le cadavre trône sur
la table), femmes à la laideur grotesque (la cousine moustache, une
servante à la dentition chevaline) et une consanguinité plus que
suggérée (Nino confondant sa mère et sa tante, le père aux traits fort
voisin de l'homme à qui il voudra acheter un terrain et qui le traitera
d'ailleurs de cocu), tout prête à donner une aura monstrueuse à ce cadre
et bien nous faire comprendre que nous avons quitté la civilisation.
Ces motifs ont certes déjà été vus et moqués dans d'autres comédies
italiennes dont Pietro Germi bien sûr mais Lattuada trouve l'équilibre
entre outrance et réalisme.
On rit mais jaune tant l'on devine que les
figures pittoresques rencontrées semblent tout de même bien être des
locaux, faisant ressurgir le passé néoréaliste de Lattuada. Une nouvelle
fois l'allant de Sordi et les explications qu'il fait à son épouse (et
au spectateur du coup) finissent par atténuer les préjugés, la
singularité de ces siciliens étant bien présente dans ses bon comme
mauvais côté. On aura ainsi quelques moments amusants comme lorsque
Sordi rappelle à d'anciens amis frustrés regardant d'un peu trop près sa
femme en maillot de bain que bien que vivant à Milan, son tempérament
sicilien peut ressurgir si l'on attente à son honneur.
Le
réalisateur en grossissant les clichés rattachés à la Sicile nous aura
ainsi habilement induit en erreur sur le vrai mal rongeant la Sicile.
S'il est facile de rendre la faune locale repoussante, le vrai danger
vient de ceux à l'inverse plus civilisé et qui soumettent les autres.
C'est la mafia locale qui s'affichera à travers vieillards auxquels
curé, hommes et femmes affichent une étrange dévotion. Ce sera le seul
élément "du cru" que Sordi évoquera d'un rire cette fois forcé et
inquiet et où il reprendra complètement son identité sicilienne en ayant
une soumission similaire pour "les parrains". On devinera qu’ils ne
sont pas pour rien dans sa situation actuelle et que plus jeune il fut
contraint de leurs rendre quelques menus services.
Pourtant cette mafia
avait fini par devenir pour lui l'assimilé du nord une chimère mais la
réalité va le rattraper. Les rires se figent alors peu à peu, le malaise
s'installe sans pouvoir être désamorcé alors que les situations restent
pourtant anodines dans les échanges que le héros a avec les chefs
mafieux. Ceux-ci ont un service à lui demander, un acte où son anonymat
et sa précision aux armes peuvent leur servir. On aura senti le piège se
refermer dans les différentes scènes légères qui nous amènent à la
dernière partie et "la mission" et où chacun sera tacitement au courant
(les adieux appuyés du père avant la partie de chasse) sauf Sordi.
Le
final constitue une longue séquence à la fois absurde et hallucinée où
Sordi hébété avance sans pouvoir rien y changer vers son destin
meurtrier. Un moment glaçant où Lattuada use de tous les motifs visuels
et narratifs pour signifier la perte de repère, le jour succédant
brutalement à la nuit, la claustrophobie aux grands espaces, l'humour
aux éclats de violence. La mise en scène plutôt naturaliste se fait lus sophistiquée pour signifier l'irruption du vrai mal, que ce soit les contre-plongée sur la silhouette de Don Vincenzo, la séquence où Sordi est engagé faisant figure de pacte faustien dans l'imagerie démoniaque associée au parrain. Alors que le basculement de la ville vers la
campagne était finalement assez artificiel, celui moral qui brise Sordi
est cette fois bien plus marquant. Alberto Sordi offre là une de ses
interprétations les plus mémorables, crédible sans en rajouter dans
l'exubérance sudiste et se liquéfiant progressivement quand s'impose sa
destinée inexorable. Ses racines sont une prison où il n'est qu'un pion
et le retour à la vie réelle en fait désormais un homme hanté par ses
actes.
Sorti en dvd zone 2 fraçais chez Tamasa
Tuez Charley Varrick ! (Charley Varrick) de Don Siegel - 1973
Il y a 7 heures
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