Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 30 juin 2020

Loin de moi, près de toi - Nakitai watashi wa neko wo kaburu, Jun'ichi Satô et Tomotaka Shibayama (2020)


L'histoire prend place dans la ville de Tokoname située dans la préfecture d'Aichi. Nous y suivons le quotidien de Miyo Sasaki, une collégienne amoureuse de son camarade de classe nommé Kento Hinode. Malgré tous les efforts de Sasaki pour se faire remarquer, Hinode ne fait pas attention à elle. Un jour, elle découvre un étrange masque lui permettant de se transformer en un chat nommé Tarō. Grâce à cet objet, elle peut se rapprocher de celui qu'elle aime. Cependant, à force de l'utiliser, elle pourrait bien ne plus retrouver sa forme originelle...

Loin de moi, près de toi est la dernière production du Studio Colorido qui avait offert en 2019 une des plus belles et originales propositions récentes de l’animation japonaise avec le délirant Le Mystère des pingouins. Il est à nouveau question de mettre en valeur un animal au charme certain ici, mais cependant plus immédiatement inscrit dans notre quotidien avec le chat. Le postulat du film croise habilement le spleen adolescent mâtiné de surnaturel à la Makoto Shinkai (Your name (2016) en tête),  et l’onirisme foisonnant de Ghibli (la dernière partie lorgnant formellement sur Le Voyage de Chihiro (2001)). Le film se démarque cependant par sa narration singulière. La dimension dramatique s’entrecroise toujours aux éléments fantastiques du récit, les seconds offrant constamment une échappatoire (et une manière de masquer) la première. Ainsi lors de la scène d’ouverture nous suivons la jeune Miyo, manifestement troublée par une situation familiale qui sans totalement se révéler s’avère difficile, et dans sa fuite rencontre une mystérieuse créature vendant des masques de chats.

On a presque l’impression de rencontrer un tout autre personnage lorsqu’on retrouve cette même Miyo dans son quotidien scolaire. Enjouée et bondissante, elle y poursuit de ses assiduités amoureuses l’introverti Hinode guère réceptif à ses appels du pied. Notre héroïne semble indifférente à la piètre opinion de ses camarades à son égard et surtout semble avoir un secret pour se rapprocher d’Hinode malgré lui. L’étrange vendeur lui a offert un masque qui lorsqu’elle le revêt la transforme en chat des plus mignon qui peut s’introduire auprès d’Hinode alors bien plus affectueux.

Sans pousser trop loin cet aspect-là, la facette sexuelle est sous-jacente avec la nature entreprenante de Miyo (ce qui change du cliché des héroïnes de japanime rougissante et paralysée de timidité) et la promiscuité charnelle induite par sa transformation, les caresses et la tendresse qu’elle peut recevoir sous son avatar félin. Mais cela sert surtout de révélateur à ce que Miyo et Hinode ne peuvent se dire en humain. Miyo abandonnée enfant par sa mère découvre une un nouveau quotidien auprès d’une belle-mère et dissimule son mal-être sous ce caractère enjoué. Hinode rêvant d’être potier mais poussé vers les études par sa mère est également, sous une forme plus silencieuse, incapable d’exprimer ses vrais sentiments. Lui sort de sa froideur sociale auprès de Miyo transformée en chat quand elle reçoit l’attention espérée et peut observer le vrai caractère de son aimé. Le travail sur le mimétisme de la gestuelle chat/humain et dans l'expression du regard est d'ailleurs fort réussi.

On baigne dans une atmosphère réaliste où s’invite avec finesse des éléments de magie. La poésie du quotidien s’entrecroise joliment avec le surnaturel avec les discrètes scènes de transformation où Miyo s’échappe de son corps et symboliquement de son foyer, le réalisme des paysages accompagnant les déambulations de ce chat pas comme les autres. La nuit venue, l’étrange prend le pas sur le réel avec les déroutantes apparitions du vendeur de masque, trop avenant pour être sympathique, et qui incite Miyo à définitivement endosser l’existence de chat. Quand l’amour si fébrilement espéré de Hinode semblera impossible à obtenir, la tentation sera grande. Adolescent comme adulte, il peut arriver en observant l’existence nonchalante et bienheureuse des chats de les envier quand nos soucis bien réels se font insupportables. Le chat matérialise littéralement ici la fuite en avant ordinaire face à l’adversité, et d’autant plus difficile à appréhender pour une adolescente. 

La force du film est de livrer de façon subtile et fragmentée les failles de ses personnages, et plus le puzzle de leur maux se reconstitue, plus la fuite vers cet onirisme manipulateur semble la solution. Miyo et Hinode n’y trouveront pourtant qu’un point de non-retour dans la solitude et le retour au réel devra servir leur reconstruction. Pour exprimer cela, l’aspect féérique et fantasmagorique se déploie pleinement dans la dernière partie qui nous emmène dans le monde parallèle des chats. On avait déjà eu droit à ce type d’univers dans Le Royaume des chats (2002) produit par Ghibli mais on s’éloigne du côté joli ornement de ce dernier pour une portée plus symbolique. C’est notamment le cas lorsque Miyo rencontrera d’autres chats ayant fuis leur vie humaine mais regrettant désormais amèrement leur métamorphose définitive - et justifie l'esthétique à la Chihiro où la ville des chats est une réminiscence de l'esthétique médiévale de la cité de Tokoname. Même si pas pleinement exploité, l’idée de cette chatte devenue humaine regrettant la simplicité de sa vie animale auprès de sa maîtresse offre également la perspective inversée de façon très touchante.

La dernière partie, toute en course-poursuite et combats, est moins originale que tout ce qui a précédé mais touche néanmoins en montrant Miyo et Hinode transcendant leur caractère de façade pour s’avouer leurs sentiments. Miyo ose se montrer vulnérable et quitte son masque enjoué permanant, et Hinode se refuse à son habituelle passivité pour être enfin combatif. Le surnaturel n’est plus un refuge factice mais un révélateur qui ramènera notre couple à son quotidien, transformé par leur attitude positive. Une belle réussite qui, sans atteindre la vertigineuse démesure des meilleurs moments de Le Mystère des pingouins, a pour elle une émotion subtile et sincère.

Disponible sur Netflix 

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