Nobuhiko Obayashi adapte avec Four Sister un manga shojo (soit une cible éditoriale ciblant un lectorat féminin) à succès de Kazuo Oyama. Sous les postulats fantastiques inventifs, la mélancolie adolescente et les couleurs pop, on pouvait deviner chez Obayashi un goût prononcé pour le mélodrame que l'on avait pu réellement voir s'exprimer dans le magnifique et introspectif The Deserted City (1984). La source shojo lui permet d'embrasser le genre dans le lyrisme le plus prononcé, ainsi qu'un classicisme dans lequel se fondent ses idées formelles plus expérimentales.
Anzu (Yasuko Sawaguchi), Akane (Atsuko Asano) et Ai (Yasuko Tomita) sont trois sœurs élevées par leur aînée Aya (Misako Konno) depuis la mort de leur parents. Anzu, jolie lycéenne très courtisée voit deux camarades, Togo (Togo Yuzuki) et Oba (Toshinori Omi) lui déclarer simultanément leur flamme. Togo plus entreprenant remporte le duel amoureux mais, issu d'une famille bourgeoise qui le promettait à une cousine, voit sa mère enquêter sur Anzu et lui révéler un terrible secret. Anzu, Akane et Ai ne sont pas sœur biologiques et ont été adoptées, et seul Aya est la fille naturelle de leur parents adoptifs défunt. La nouvelle va ébranler la fratrie, d'autant que l'aîné et la cadette Akane connaissait le secret. Dès lors cette découverte va distendre l'harmonie et l'innocence de leur existence insouciante, accélérant la volonté d'indépendance de chacune et le passage à l'âge adulte.
Obayashi endosse l'emphase mélodramatique du shojo tant dans certains rebondissements que dans sa mise en scène. Tout comme The Deserted City le film semble à la fois épuré dans sa ligne claire narrative (et divisée en trois chapitres) mais également stylisé, sans pourtant donner dans les effets plus tapageurs de ses récits adolescents. On a plutôt l'impression que ce sont les moments suspendus de ces derniers qui se prolongent ici sur la longueur du récit, préfigurant la mélancolie de Chizuko's Younger Sister (1991). L'annonce remet en question la vision des quatre sœurs avec ce lien plus ténu entre elle. Anzu retrouvée par sa vraie mère décide de prendre son destin en main, de renoncer à son amour pour Togo et la compagnie de ses sœurs pour devenir institutrice et s'occuper à son tour d'enfants esseulés. Aya voit son statut "maternel" déchu et repense désormais aux sacrifices personnels qu'elle a fait pour élever ses sœurs, dont un mariage avec un fiancé médecin. La benjamine et sage Ai cède quant à elle à l'autodestruction et au désespoir. Akane est la figure centrale qui va les réunir à nouveau.
Condamnée par la maladie, Akane recherche donc à la fois un accomplissement intime, mais aussi l'émancipation comme l'épanouissement de ses sœurs. Obayashi exprime les heurts émotionnels par un travail impressionnant au montage, les transitions et les raccords fluides prenant une veine purement sensorielle dans les basculements d'espaces, le passage d'un décor à l'autre pour les personnages, les apparitions inattendues. Cet effet accentue le sentiment de protagonistes débordés par la tragédie des évènements tout comme par leurs émotions. C'est la figure bienveillante et sacrificielle d'Akane qui amène toute la mélancolie contemplative du récit. Elle est observatrice résignée des évènements lorsqu’Obayashi filme sa silhouette puis son visage aux yeux embués de larmes lors du déchirant départ d'Anzu. Elle est la cause de la fébrilité des autres quand Oba son amour secret et éphémère observe le flux d'une rivière alors qu'elle accouche de leur enfant, dans une magnifique composition de plan.
Akane est surtout actrice et maîtresse de son destin lorsqu'elle décide d'affronter son mal et de laisser à ses sœurs ce qui ravivera leurs liens avec ce bébé. Obayashi lui réserve ses plus beaux moments de lyrisme, notamment dans l'usage de la rétroprojection pour les deux voyages à la mer avec Oba. L'artificialité assumée du procédé, tout comme les scènes de studio qu'on devine aisément, façonnent un écrin intime qui symbolise le souvenir qu'Akane veut emporter. Son métier de photographe justifie ainsi la texture de polaroid marquée de l'image, chaque moment précieux étant comme figé dans les cadrages chargés de poésie et de nostalgie d'Obayashi. Le travail sur la couleur est subtil (et lorgne une nouvelle fois les tentatives de The Deserted City), le noir et blanc s'invitant discrètement dans l'image couleur et inversement (tel cette feuille d'automne seul élément coloré d'une image noir et blanc et dont le détachement nous annonce une mort imminente).
A quelques exceptions près (une scène de boite de nuit, une tentative de suite), Obayashi ménage ses effets qu'il met au service du grand mélodrame qui serait plus proche d'une version contemporaine d'un Mizoguchi que des écarts bariolés de House (1977). Plus le film avance plus l'émotion repose sur les tableaux minutieusement mis en scène (au vu du rythme de tournage d'Obayashi - cela doit bien être son 2e ou 3e film pour cette seule année 1985 - cette méticulosité sans faille est assez stupéfiante), l'apaisement des personnages passant par cette approche après les ruptures de ton de la première partie où la discorde s'installait.
Les quatre actrices sont excellentes même si ce sont Yasuko Sawaguchi et surtout Atsuko Asano (toutes deux fameuses Idol à la ville) qui emportent le cœur du spectateur par leur sensibilité à fleur de peau. Obayashi réussi sur les deux tableaux, la description touchante d'une fratrie, la tragédie d'une romance, mais aussi la croyance en un renouveau. L'histoire se répète ainsi (dans un mimétisme des images de l'arrivée des filles fraîchement adoptée, et du bébé devenu petit garçon) pour rejouer l'accueil et l'affection donnée à un orphelin, tandis que le souvenir de la disparue s'incarne par sa voix enregistrée et se fige dans une photo. Grande réussite où Obayashi capture l'essence même du shojo.
Sorti en bluray et dvd japonais
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