Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

mardi 21 août 2018

House - Hausu, Nobuhiko Obayashi (1977)


Une jeune lycéenne nommée « Angel » se rend à la maison de campagne de sa grand-tante malade, accompagnée de six de ses camarades de classe : Gari, Merodî, Kunfû, Makku, Suîto et Fanta. Les sept filles devront faire face à des évènements surnaturels.

Même en regard des standards « autre » particulièrement élevés du cinéma d’exploitation japonais des 70’s, House est un pur ovni inclassable. Il s’agit du premier long-métrage de Nobuhiko Obayashi, figure du cinéma d’avant-garde japonais des années 60 qui parvint à en exporter les expérimentations dans une prolifique carrière dans le film publicitaire. L’imagerie décalée de ses spots devient ainsi familière au grand public japonais, au point d’inciter le président de la Toho (dont les studios servaient souvent à tourner ses films publicitaires) à lui proposer de signer un film pour le studio.

Il s’agit d’une période particulièrement difficile pour les studios japonais concurrencés par la télévision, et qui du coup se trouvent forcés pour attirer le public de proposer un spectacle que ne peut se permettre la petite lucarne. Cela entraînera les productions érotiques du Roman Porno/Pinku Eiga au sein de la Toei et la Nikkatsu notamment et en tout cas crée une brèche unique pour les cinéastes à l’univers visuel singulier. Lorsqu’il doit réfléchir au projet de film pour la Toho, Obayashi se souvient des idées issues de l’imagination fertile de sa petite fille : une maison hantée où son reflet dans un miroir l’aspirerait, ses long cours de piano où elle avait l’impression que l’instrument mangeait ses doigts… Les bases de House sont jetées et malgré le script incompréhensible, toute latitude est laissée au réalisateur.

Par sa folie ambiante, House pourrait laisser croire au produit foutraque partant dans tous les sens. C’est bien ce qu’il est certes, mais ce chaos n’en est pas moins étudié dans les moindres détails. Il y a chez Obayashi une vraie volonté de faire une œuvre « grand public » et plus précisément de ramener les adolescents dans les salles. Le film a donc une tonalité indéniablement pop, qui s’adapte et se transforme au gré des différents genres abordés par l’histoire : le teen movie romantique, la comédie absurde ou l’épouvante à travers un récit de maison hantée. La première partie introduisant les sept adolescentes par son ton mélange ainsi le romantisme suranné du drama et l’imagerie flamboyante du manga. Le passif publicitaire du réalisateur se ressent avec le sentiment d’avoir pour chaque séquence un spot avec son esthétique et humeur propre tout en se fondant dans un ensemble narratif. Chaque plan doit frapper la rétine du spectateur d’une manière ou une autre. 

Le gros plan de la scène photographique d‘ouverture se baigne d’une teinte colorée, la photo diaphane et les ralentis nouent par l’image l’amitié innocente de Angel (Kimiko Ikegami) et Fantasy (Kumiko Ohba). L’arrière-plan de ciel couchant factice amplifie ensuite le mélodrame lorsqu’Angel rencontre dans le théâtral décor d’appartement sa future belle-mère. Enfin les accélérés incongrus et les jump-cuts introduisent le maladroit Mr Togo (Kiyohiko Ozaki) sur lequel il ne faudra pas trop compter dans les épreuves à venir. Le liant se fait par l’omniprésence de ce chat, au cœur de l’action, en arrière-plan ou simple ombre qui influence les personnages et les guident vers cette mystérieuse demeure en campagne.

Chaque éléments s’avère minutieusement étudié pour faire osciller le film entre le cliché et l’étrange notamment la bande-son pop et sirupeuse. On pense à la caractérisation des sept adolescentes dont le nom et l’allure vestimentaire définit le tempérament : la mélomane Melody/Merodi (Eriko Tanaka), l’intellectuelle Prof/Gari (Ai Matsubara), la rêveuse Fantasy, la bagarreuse Kung Fu/ Kunfû (Miki Jinbo), l’innocente Angel, la vorace Mac/Makku (Mieko Satō) et la douce Sweetie/Suîto (Masayo Miyako). Cette simplification est inhérente aux archétypes revisités du conte (sept protagonistes au caractère tranchés comme les sept nains de Blanche-Neige) et servira ainsi une nouvelle fois par la seule image à expliquer comment leurs tempéraments les feront résister ou céder à la menace surnaturelle. Arrivé dans la maison, le réalisateur croise les clichés du film d’horreur (la fâcheuse tendance des personnages à systématiquement se séparer) à des situations délirantes. L’atmosphère de pure épouvante gothique occidentale introduit pourtant des créatures issues du folklore japonais, notamment ce yōkai dont la tête surgit d’un puits (ce qui l’associe à Okiku dans le bestiaire yōkai) pour mordre les fesses de sa victime. 

La peur, la surprise et l’absurde s’entremêlent ainsi constamment dans l’approche d’Obayashi qui multiplie les ruptures de ton – cette transition où la tête d’un vendeur de nouille surgit dans le plan. La peur se révèle de manière insidieuse et toute poétique avec le reflet d’un miroir renvoyant l’innommable, ou dans un macabre burlesque comme ces bouts de doigts jouant une mélopée infernale au piano. L’élégiaque (l’allure immaculée et fantomatique d’Angel) de la peur traditionnelle cède à l’apocalypse expérimentale où Obayashi mélange les techniques entre animation, psychédélisme et gore décomplexée. La faiblesse de ces jeunes filles réside dans la pureté de leur amitié, le souci d’être ou de se placer sous l’aile de l’autre les rapprochant de ce qui a fait de leur tourmenteuse (Fascinante Yōko Minamida pourtant bien plus jeune que le rôle, loin des Mizoguchi ou Imamura chez qui elle a débutée) un être déçu par l’amour et finalement démoniaque. 

On peut d’ailleurs rapprocher les destins des personnages féminins dont l’attente vaine d’un amour/sauveur masculin (grotesque dans son pendant moderne et joliment nostalgique par ce flashback façon film muet) transformera en succubes vengeresse. Le prince charmant sur son beau destrier blanc est un fantasme ou un souvenir embelli, mais aussi le père absent dans la réalité pour Angel. La belle tirade finale fait ainsi de l’amour le sentiment le plus éternel, mais aussi la malédiction la plus insurmontable. Un vrai film culte qu’on peut soupçonner avoir été vu par un certain Sam Raimi tant il anticipe son Evil Dead (1982).

Sorti en bluray et dvd zone 2 anglais chez Eureka 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire