Jacques Demy est, à la manière d'un Alain Resnais ou Philippe de Broca (chacun dans des style très différent), l'un de ces cinéastes français gravitant autour des jeunes turcs de la Nouvelle Vague mais qui ne s'y intègre pas totalement par leur style singulier. C'est le sentiment que l'on a devant cette merveille de premier film qu'est Lola. Le film pose les jalons de l'univers du cinéaste avec en premier lieu le cadre de cette ville de Nantes, celle de son enfance que où il reviendra pour Une chambre en ville (1982). Le film pose surtout des ramifications avec des œuvres à venir par ses personnages amenés à être récurrents dans une trilogie que forme Lola, Les Parapluies de Cherbourg (1963) et Model Shop (1968).
Roland Cassard (Marc Michel) évoque ainsi ses amours déçus avec Lola le temps d'une chanson dans Les Parapluies de Cherbourg, et une Lola (Anouk Aimée) que l'on recroisera aux Etats-Unis dans Model Shop. C'est au départ un projet très ambitieux pour Demy qui imagine une comédie musicale en couleur et cinémascope mais son onéreux scénario ne trouve preneur que chez Georges de Beauregard (producteur emblématique de la Nouvelle Vague) qui va le ramener à de plus modestes proportions budgétaires. La comédie musicale disparait tout comme la couleur, et l'on renonce à Jean-Louis Trintignant initialement envisagé en Roland Cassard pour Marc Michel engagé trois jours avant le début du tournage.
La boucle existe aussi de manière implicite et référentielle comme lorsque Roland explique avoir renoncé au violon entre autre parce que son ami Poiccard s'est fait descendre, soit le patronyme de Jean-Paul Belmondo dans A bout de souffle (clin d'œil à Godard qui transmis son scénario à George de Beauregard). Si ce cercle est une impasse pour les personnages adultes, l'adolescente Cécile (Annie Duperoux) par son charme mutin représente le versant lumineux de cette hésitation. Passant de la candeur enfantine à l'intérêt pour les éléments adultes, silencieuse ou volubile, future danseuse ou coiffeuse selon ses humeurs, elle exprime l'innocence et la foi en tous les possibles qu'on perdus les autres personnages - la toile de fond de la guerre n'y étant pas étrangère. Jacques Demy l'exprime à travers la scène virevoltante de la fête foraine où s’expriment la vitesse et l'émerveillement dans un pur élan d'abandon enfantin.
Cette échappée n'existe que dans un imaginaire source de joie et de douleur pour Roland, avec cet île du Matareva dans le Pacifique où se déroule un film de Gary Cooper qu'il va voir, et d'où revient précisément l'amour providentiel qui va définitivement lui arracher Lola. La photo de Raoul Coutard passant des contours diaphanes du conte de fée aux teintes détaillées du réalisme urbain nantais traduit ce va et vient de ton. Il en va de même pour la bande originale percutante et jazzy de Michel Legrand (pour sa première collaboration avec Demy) qui alterne avec des morceaux de musiques classiques qui pose une atmosphère plus éthérée, flottante et rêvée à l'atmosphère du récit.
Ce s'incarne bien évidemment aussi par les acteurs et plus particulièrement une magnifique Anouk Aimée entre proximité innocente et séduction inaccessible. Elle est dans son coeur une Pénélope attendant son Ulysse mais symbolise aux yeux des hommes une Hélène de Troie pour laquelle ils sont prêt à tout risquer. Jacques Demy exprime là toute la dualité de son œuvre à venir, où l'imaginaire sert de fuite ou d'expression adoucie à des problématiques toujours rattachée à une réalité intime et sociale. C'est d'ailleurs ce schizophrénie qui guide la magnifique conclusion, parfaite et inespérée pour Lola, pleine d'amertume pour Roland réduit à une silhouette - et encore ouverte pour la petite Cécile. Premier essai et presque déjà un coup de maître.
Sorti en bluray et dvd zone 2 hez Arte et actuellement disponible sur Netflix
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