Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

Pages

dimanche 19 octobre 2025

Le Jour du fléau - The Day of the Locust, John Schlesinger (1975)

 Hollywood, années 30. Le film suit en parallèle l'histoire et les désillusions de Faye Greener, une petite actrice sans talent, et Homer Simpson, comptable de son état et peu intéressé par le cinéma.

Après l’immense succès public et critique de Macadam Cowboy (1969), son premier film américain, John Schlesinger se voit en position de réaliser le projet fastueux et ambitieux qu’est Le Jour du fléau. Participant à instaurer la veine désespérée du Nouvel Hollywood, Macadam Cowboy était une œuvre sombre remettant en cause le rêve américain en observant ses laissés pour compte. Le Jour du fléau creuse le même sillon en remontant dans le temps, ainsi qu’en posant un regard acerbe sur la Mecque des rêves, le Hollywood de l’âge d’or. 

Le film adapte le roman L’Incendie de Los Angeles de Nathanael West, publié en 1939, soit au même moment que les évènements de l’histoire. Romancier et satiriste, Nathanael West fut, durant ses années de vaches maigres, scénariste à Hollywood au sein du studio Columbia. Il put donc observer de près les ambitions contrariées de tous les aspirants à la gloire gravitant autour de l’industrie du spectacle, la frontalité et crudité des situations apportant ainsi une vraie authenticité à l’immersion et à l’étude de caractères – totalement respectées dans le film. A cela s’ajoute le recul du regard de l’étranger, en l’occurrence l’anglais John Schlesinger incisif et sans concession quant à son traitement de sa terre (et industrie) d’accueil - notamment dans sa vision au vitriol de la religion, un "spectacle" et business comme un autre.

La comparaison avec Le Jour du fléau fut souvent faite au moment de la sortie Babylon de Damien Chazelle (2022), dépeignant lui aussi l’envers du décor hollywoodien. Cependant le film de Chazelle est une sorte de conte contrarié, passant de l’émerveillement au profond désespoir et désenchantement. Ce mouvement graduel, Schlesinger ne l’effectue pratiquement pas. Le récit choral nous esquisse assez vite la face sombre de l’ensemble des personnages, estompant peu à peu les motifs d’attachement et d’identification. 

Tod (William Atherton) aspirant dessinateur, va ainsi, frustré par le rejet de sa voisine Faye (Karen Black), dévoiler peu à peu une condescendance de classe, un machisme larvé sous sa candeur initiale. Faye rêvant d’une carrière d’actrice est un monstre d’égoïsme attendant l’opportunité de carrière mais surtout maritale de s’élever, manipulant les hommes entretemps. Tous les protagonistes semblent porter un voire plusieurs masques en société comme dans l’intimité, au gré de leurs ambitions, et semblent en perpétuelle représentation à la manière de Harry (Burgess Meredith) père de Faye et clown ne cessant de ressasser sa gloire manquée. Même le protagoniste le plus innocent, le modeste comptable Homer (Donald Sutherland) affiche un masque non pas d’égo, mais de bienveillance soumise tristement foulé au pied par Faye profitant de ses largesses.

Les personnages sont néanmoins en partie à un système les poussant à cet individualisme forcené. Schlesinger se déleste de l’euphorie créatrice de Babylon (et donc d’un des rares pans lumineux de l’usine à rêves), et s’immisce dans le monde des studios uniquement pour en démontrer à l’échelle d’un monde ce qu’il a dénoncé crûment chez les protagonistes. Un terrible accident entraînant les blessures de toute une équipe technique par négligence entraîne un damage-control narquois et désintéressé des hautes sphères, à mettre en parallèle avec le chaos qui a précédé – et à celui cathartique qui va conclure le récit. 

Cette absence d’identification possible rend le film particulièrement oppressant, la brutalité larvée, la cruauté et les séquences-chocs baignant dans un clinquant dont Schlesinger ôte tout soupçon de glamour. La photo de Conrad L. Hall baigne le film dans des ténèbres reflétant l’âme tourmentée des personnages, orne les scènes de jour d’une teinte terreuse étouffant la luminosité californienne. La texture même de l’image renvoie à cette idée de surface factice masquant une forme de démence, de pourriture qui culminera lors de la scène finale.

L’évènement le plus fastueux de ce monde d’apparence, une première de film, bascule dans l’horreur et la folie collective tout en maintenant durant une bonne partie de la scène sa dimension de « spectacle » commenté par un speaker exalté. C’est un pur moment d’apocalypse où la frustration, rage et autres bas-instincts larvés tout au long du film sont autorisés à se libérer, entraîné l’élan destructeur d’une foule en furie. Ne reste que les stigmates morales et physiques, les destins brisés et les regrets.

Sorti en dvd zone 2 français chez Paramount 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire