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jeudi 3 juillet 2025

Quatre Nuits d'un rêveur - Robert Bresson (1971)

 Une nuit, à Paris, Jacques sauve Marthe d'un saut tragique du Pont-Neuf. Alors qu'ils se livrent l'un à l'autre, ils décident de se revoir. Durant quatre soirées, Jacques réalise qu'il tombe profondément amoureux. Mais qu'en est-il des sentiments de Marthe à l'égard de Jacques ?

 Quatre nuits d’un rêveur est la seconde adaptation consécutive de Robert Bresson d’un texte de Dostoïevski après Une Femme douce (1969), d’après la nouvelle Douce. Il transpose cette fois la nouvelle Les Nuits blanches. Cette dernière a connu au moins deux autres adaptations cinématographiques avec Nuits Blanches de Luchino Visconti (1957) et bien plus tard Two Lovers de James Gray (2007). Le texte se prête particulièrement à un développement thématique et esthétique très personnel pour les cinéastes, le sens de l’atmosphère de la version de Visconti, ainsi que les réflexions sociales de celle de Gray ayant durablement marqué les esprits.

La nouvelle apporte à Bresson un certain souffle romanesque atténuant son rigorisme et son austérité, même s’il ne se déleste pas de ses principes comme celui de faire jouer des comédiens non professionnels. D’un autre côté, Bresson irrigue le texte d’une intériorité plus prononcée pour les deux protagonistes, tout en renonçant à certains choix narratifs comme le récit narré à la première personne. Le langage relativement soutenu tenu durant les échanges entre Jacques (Guillaume des Forêts) et Marthe (Isabelle Weingarten) amène un décalage intéressant avec l’arrière-plan d’un Paris marqué par son atmosphère à la fois moderne (la bande-son folk, les musiciens brésiliens hippie) et féérique durant les séquences nocturnes sur le Pont-Neuf. C’est le cadre de la rencontre de deux solitudes bien différentes. Jacques est une âme rêveuse, flottante et solitaire ne s’accrochant réellement à rien ni à personne, l’interaction avec Marthe se faisant en voulant empêcher cette dernière de se suicider. Marthe est au contraire une personnalité obsessionnelle et accrochée maladivement à son objectif, retrouver un amour perdu.

Bresson ajoute à la nouvelle deux apartés de confidence s’attardant sur la vie intime des deux personnages en dehors de leurs rencontres nocturnes. Cette invention est des plus passionnante pour Jacques. Ce côté rêveur et glissant s’exprime par sa manière de soudainement être attiré par une ou plutôt justement des jeunes femmes qui lui plaisent dans la rue, mais jamais suffisamment pour accompagner les quelques pas ou les regards insistants envers elles d’une vraie tentative de séduction. Il n’est pas question de timidité, mais d’une attention et d’un sentiment pas assez fort pour être suivi d’une action, du moins dans la réalité. La belle rencontre et les instants romantiques, Jacques préfère les rêver à voix haute dans le micro de son magnétophone et se repasser les bandes en boucle en laissant voguer son imagination. Formellement, Bresson traduit cela en réduisant les jeunes femmes à des silhouettes, des visages furtifs entrant et sortant du cadre mais ne s’incarnant jamais pleinement à l’image. C’est durant la nuit, espace pourtant plus propice au rêve que Jacques va faire sa rencontre la plus concrète.

Les environnements amples (rues parisiennes, campagne) et la fibre artistique Jacques se conjuguaient à ce caractère rêveur traversant la vie sans la ressentir. Au contraire l’aparté sur Marthe se restreint à la promiscuité de l’appartement qu’elle partage avec sa mère, et c’est la vie extérieure qui s’y invite à son cœur défendant avec l’arrivée d’un jeune et beau colocataire (Jean-Maurice Monnoyer). Marthe feint le rejet du nouveau venu mais c’est tout un monde et des émotions inconnues qui s’invitent avec lui, amenant la jeune femme à s’offrir puis se sacrifier à une longue attente après son départ. Quand l’invitation explicite aux tentations sensuelles de l’extérieur laissaient Jacques de marbre, l’épure austère des intérieurs introduit un vrai trouble sexuel chez Marthe et permet à Bresson de déployer des séquences d’un superbe érotisme feutré.

C’est l’image que cherchent à se renvoyer mutuellement Jacques et Marthe à travers leurs confessions, le rêveur et l’amoureuse éperdue. Pourtant le rapprochement s’effectuant entre eux contredit progressivement cette posture. En marquant un temps d’arrêt dans ses errances mentales et géographiques, Jacques connaît malgré lui le sentiment amoureux pour celle qui en attend un autre. En arrêtant un instant ses pensées en dehors de celui qui semble l’avoir oublié, Marthe entrevoit une autre forme d’amour plus complémentaire et réciproque. Mais cette romance ne fonctionne jamais mieux que dans une forme de non-dit et de mystère, et c’est précisément quand tout devient trop explicite, quand le rapprochement se fait plus concret, que l’édifice fragile risque le plus de se dérober – aspect subtilement entretenu par Bresson lorsque Jacques se met à reproduire machinalement la gestuelle des amoureux qu’il a observé dans le parc.

Paradoxalement, le terrible rebondissement final est moins déchirant que chez Visconti ou Gray. Bresson offre à son héros un refuge dans le retour à la rêverie et à de fantasmatiques retrouvailles, mais aussi une leçon par cette apprentissage douloureux et bien réel d’un amour contrarié. Le tout fonctionne dans une parfaite harmonie entre romanesque classique et une profonde modernité grâce à l’inventivité de Bresson, telle ce » Marthe Marthe » martelé intérieurement par Jacques une fois que cette dernière envahit ses pensées. Une des œuvres les plus passionnantes et accessibles du réalisateur. 

Sorti en bluray français chez Potemkine 

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