Le rugueux Permis de tuer (1989) avait reçu un accueil public mitigé mais malgré tout Timothy Dalton était supposé poursuivre dans le rôle, son contrat incluant trois films. C’était sans compter les ennuis financiers de la MGM, détentrice des droits depuis son rachat de la United Artist (coproducteur historique des Bond depuis le début avec Cubby Broccoli) en 1981. Le tournage d’un nouvel opus est envisagé en 1991 puis en 1993 mais finalement repoussé, et un ultime report en 1994 va pousser Timothy Dalton à jeter l’éponge et abandonner le rôle. C’est finalement un bienfait pour les producteurs qui auront là l’occasion de prendre un vrai nouveau départ après l’incarnation discutée de Dalton.
Il s’est écoulée six ans entre Permis de tuer et Goldeneye, une période où le monde géopolitique a subit de profonds bouleversements. La Guerre Froide et le choc des blocs n’est plus avec l’effondrement de l’URSS et finalement la raison d’être de la création de Bond s’avère obsolète. L’intelligence du film est de déconstruire intelligemment le personnage à l’aune de ces changements. Contrairement aux récents opus de Daniel Craig qui dénature Bond en lui retirant tout ses attributs, le scénario de Goldeneye les maintient mais les remets totalement en question dans un monde où ils n'ont plus d’intérêt. L’arrogance et le machisme d’un autre âge de Bond lui est renvoyé en pleine figure par le nouveau M qui s’avère être une femme (Judi Dench), s’inspirant là aussi des vraies mues du MI5 qui fut dirigée par Stella Rimington en 1992. Pour ses alliés, ses ennemis et même l’environnement du film (se déroulant en grande partie en Russie), Bond est un dinosaure dépassé qui n’a pas su, pour le meilleur et pour le pire, évoluer avec son temps.L’antagoniste est Alec Trevelyan (Sean Bean), ancien agent 006 supposé mort en mission mais reconverti en criminel international dirigeant l’organisation Janus. C’est à la fois un fantôme du passé (ancien agent, mais aussi d’origine cosaque dont les parents furent livrés aux Russes par l’Angleterre et abattus) mais aussi un symptôme du présent profitant de la confusion de la chute des blocs pour s’enrichir. La scène de ses retrouvailles avec Bond est brillante à travers un dialogue où là aussi il lui renvoie la nature vaine de toutes ses actions passées (assassinat, intervention sous-terraine dans différents régimes politiques) au nom de la couronne, un sacerdoce où il s’est appliqué à suivre des ordres désormais obsolètes. Cela amène au film une vraie dimension mélancolique et crépusculaire manifeste dès le magnifique générique de Daniel Kleinman (remplaçant le mythique Maurice Binder décédé en 1991) montrant la destruction des symboles de pouvoir de l’URSS. Lors de la première confrontation avec Trevelyan, Bond traverse également une sorte de dépotoir jonché de statues iconiques du pouvoir soviétique et notre héros semble parfaitement à sa place parmi ces vestiges du passé. Pierce Brosnan, empêché de récupérer le rôle à cause de son engagement dans la série Remington Steel à l’époque de Tuer n’est pas jouer (1987), s’avère parfait en Bond moderne. Il est une sorte de parfaite alliance de la froideur et brutalité de Sean Connery, de la distance et art du bon mot de Roger Moore, tout en dégageant une forme de vulnérabilité qui le rend moins intimidant que Dalton. Cet arrière-plan et thématique de déconstruction aide beaucoup en l’enrichir, sa froideur de 007 étant la condition de sa survie mais aussi une malédiction créant un fossé entre lui et les autres – là aussi très bien exprimé par une invective extérieure de la James Bond Girl Natalya (Izabella Scorupco). Tout cela n’est jamais asséné, et se fond totalement dans l’intrigue, l’action et le sujet du film qui n’oublie jamais le côté « fun » et démesuré que l’on attend d’un James Bond – là aussi loin de la sinistrose Daniel Craig à venir. Cela était déjà amorcé dans Permis de tuer, et donc Goldeneye s’aligne désormais sur les canons du blockbuster dans son esthétique ainsi que son rythme (d’autant que le pétaradant True Lies de James Cameron (1994) avait installé une concurrence frontale et le retour de Bond devait relever le défi). Le pré-générique figure parmi les plus impressionnant, du saut à l’élastique inaugural à cet insensé rattrapage d’avion en chute libre. La poursuite en tank dans les rues de Saint-Pétersbourg est un sacré morceau de bravoure aussi et finalement le film souffre de ne pas proposer plus de séquences de ce type. Si les moments d’accalmie et d’introspection fonctionnent bien, le film comporte néanmoins de petites longueurs qui auraient largement pu passer avec une bande-originale digne de ce nom. Hélas, par volonté de poursuivre cette quête de modernité et de refonte de la franchise, les producteurs vont engager le sinistre Éric Serra qui va livre un affreux score électro et sans saveur déjà ringard à la sortie du film. Il manque donc le souffle qu’un John Barry aurait pu apporter à la mélancolie qui parcoure Goldeneye mais fort heureusement dès l’opus suivant Demain ne meurt jamais (1997) le tir sera corrigé avec un de ses plus fidèle disciple David Arnold. La chanson-titre (composée par Bono et The Edge de U2) figure en revanche parmi les sommets de la série, tout en grandiloquence bondienne portée par le chant puissant de Tina Turner. Martin Campbell livre une réalisation solide faisant entrer Bond dans les codes d’actions des 90’s, et si quelques éléments ont vieillis (tout l’arrière-plan informatique poussif), c’est aussi la révélation du talent de Famke Janssen qui campe un des bras droits les plus fous de la série, avec cette Xenia Onattop (les jeu de mots graveleux sur les personnages féminins, une grande tradition) adepte de l’assassinat SM. En bref Goldeneye est un dépoussiérage intelligent du mythe, porté par un nouvel interprète charismatique à souhait et plein de promesse qui ne seront pas totalement tenues par la suite.Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Sony
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