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mardi 15 novembre 2022

Mademoiselle de Joncquières - Emmanuel Mouret (2018)


 Madame de La Pommeraye, jeune veuve retirée du monde, cède à la cour du marquis des Arcis, libertin notoire. Après quelques années d’un bonheur sans faille, elle découvre que le marquis s’est lassé de leur union. Follement amoureuse et terriblement blessée, elle décide de se venger de lui avec la complicité de Mademoiselle de Joncquières et de sa mère...

Souvent vu comme un croisement d’Éric Rohmer et Woody Allen par son art du marivaudage et de la comédie douce-amère, Emmanuel Mouret franchit un véritable cap romanesque avec Mademoiselle de Jonquières.  Le réalisateur s’y essaie pour la première fois au film en costume et surtout à l’adaptation littéraire en transposant Histoire de Mme de la Pommeraye, un des segments du roman Jacques le Fataliste de Denis Diderot – déjà librement adapté par Robert Bresson avec Les Dames du Bois de Boulogne

Dans cette noblesse du 18e siècle, le jeu amoureux cher à Mouret prend forcément un tour plus cruel. Dans un premier temps, on pense que l’enjeu du récit repose sur la guerre des sexes. Le marquis des Arcis (Edouard Baer) est un séducteur impénitent prêt à tous les efforts pour s’attirer les faveurs des femmes faisant l’objet de son affection. Il va ainsi se rapprocher grandement de Madame de La Pommeraye (Cécile de France), jeune veuve séduisante qui privilégie cependant son amitié. Après six mois de cohabitation, les sentiments semblent vaciller, le verbe tendre du marquis, l’éloignement des tentations parisiennes, et le cadre rural du domaine de Madame de la Pommeraye constituant un alliage romantique dont il est difficile de résister. C’est d’ailleurs ainsi que Mouret filme les pérégrinations faussement chastes des personnages, comme une suite de tableaux romantiques idéalisés, aux compositions de plan savamment recherchées dans un écrin presque cliché des amours de l’époque. C’est lorsqu’il sort de cette vue d’ensemble que Mouret capture un émoi sincère, un lâcher-prise, telle ce moment où la caméra se rapproche de la nuque de Madame de Pommeraye et laisse comprendre sans un mot au spectateur et à des Arcis qu’elle est prête à céder.

Le problème des visions idéalisées, c’est l’interrogation sur le temps que perdurera cette harmonie, sans doute cette illusion. C’est l’usure plus que l’infidélité crainte qui fait progressivement s’estomper la flamme. Madame de Pommeraye tente de la raviver par une téméraire et factice lassitude qu’elle va exprimer à des Arcis, et qu’elle aura la surprise et déception de voir partager par ce dernier. Il n’aura su le voir par inconscience ou lâcheté masculine, mais en tout cas l’aveu de sa compagne est une libération l’autorisant à retourner à sa vie volage. La fière Madame de Pommeraye, blessée d’avoir été aussi faible et en quête de romance que les autres femmes, va alors ourdir une terrible vengeance. 

En engageant Madame de Joncquières (Natalia Dontcheva) et sa fille (Alice Isaaz), nobles déchues contraintes à la prostitution, Madame de Pommeraye rejoue explicitement l’enjeu du début du film. Le beau, l’innocence et la chasteté supposée de Mademoiselle de Joncquières doit cette fois être l’illusion qui bernera le marquis des Arcis. Une nouvelle fois, Mouret dresse la fausse-piste de la guerre des sexes avec le seul désir et volonté de possession de cette jeune fille animant des Arcis. Il faut toute la prestation subtile d’Edouard Baer pour ne pas en faire un prédateur, par la détresse presque infantile d’observer un nouveau « jouet » qu’il ne peut obtenir, ni par ses charmes, ni par sa richesse. Le côté maladif du séducteur éconduit prête plusieurs fois à rire mais, paradoxalement, cette attente désespérée fait enfin naître les sentiments sous le désir initial. 

Mouret filme les tentatives vaines de des Arcis dans des environnements clos, dépourvu de l’écrin romantique qui l’a aidé à faire céder tant de femmes. Sous les mots et présents inutiles, des Arcis regarde vraiment celle dont il espère les faveurs, et cette dernière qui il peu avant accordait si aisément, justement, ses faveurs, est charmée par l’insistance de plus en plus sincère de son interlocuteur. L’enjeu du film se révèle alors avec, plutôt qu’une guerre des sexes, une lutte d’égos et de classe. Madame de Pommeraye ne cherche pas à venger l’honneur des femmes mais son seul orgueil blessé, quitte à enfoncer encore davantage des malheureuses de basse extraction. Par son stratagème, elle façonne un rapprochement inespéré entre deux franges opposées de l’ordre social et les amènent à s’aimer.

La bascule est réellement captivante, que ce soit par la perfidie croissante de Cécile de France ou la vulnérabilité inattendue que révèle Edouard Baer. Le ressentiment de Cécile de France avilit les démunis, l'amour naissant d'Edouard Baer les embellit. Seul petit problème, une Alice Isaaz pas très convaincante dans les différents registres amenés à semer le trouble chez des Arcis. La flétrissure de sa première vie ne se ressent jamais, l’ambiguïté est absente et elle dégage la même transparente innocence quel que soit le protagoniste posant les yeux sur elle. Elle ne gagne ni ne perd en incarnation selon que l’on ne sache rien ou tout d’elle, empêchant alors l’évolution vers des sentiments amoureux nobles par sa présence à l’écran. C’est réellement Edouard Baer et son phrasé, son langage corporel de plus en plus passionné qui élève Alice Isaaz plutôt que la prestation de cette dernière - et un surlignage par le dialogue nous disant qu'elle est "inapte au libertinage". Un défaut regrettable, mais le film demeure une belle réussite et sera une étape majeure vers les deux grandes réussites romanesques à venir pour Mouret, les magnifiques Les Choses qu'on dit, les Choses qu'on fait (2020) et Chronique d'une liaison passagère (2022). 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez France Télévisions

1 commentaire:

  1. Oui, Mme de La Pommeraye est détestable d'amour-propre blessé et de désir de vengeance, et des Arcis volage mais touchant. J'aime beaucoup la scène finale entre Mme de La Pommeraye et son amie, où on voit toute la sincère amitié dans le mensonge charitable de Lucienne (excellente Laure Calamy).

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