Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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vendredi 4 novembre 2022

Un petit coin aux cieux - Cabin in the Sky, Vincente Minnelli (1943)


 « Little Joe » Jackson, un joueur incorrigible, promet à son épouse, la pieuse et vertueuse Petunia, de renoncer au jeu. Mais à la première occasion, il se rend dans un casino où, à la suite d'une bagarre, il est mortellement blessé. Parvenu dans l'Au-Delà, « Little Joe » rencontre les représentants du Ciel (Le « Général ») et de l'Enfer (Lucifer « Junior »). En raison de ses engagements à renoncer définitivement au jeu et à devenir un bon époux, et avec l'aide des prières de Petunia, un sursis lui est accordé, avec une « mise à l'épreuve » de six mois.

Vincente Minnelli est invité par le producteur Arthur Freed à rejoindre la MGM au début des années 40, après une carrière scénique où il aura occupé les fonctions de costumier, décorateur puis metteur en scène à Broadway notamment. Après une première expérience sur Panama Hattie (1942) qu'il dont il partage la réalisation avec Norman Z. McLeod et Roy Del Ruth (Minnelli s'occupant des numéros musicaux), il a l'opportunité de réaliser son vrai premier film avec Cabin in the sky. Il s'agit là de l'adaptation d'une comédie musicale à succès jouée à Broadway en 1940 et qui a la particularité d'être jouée par un casting entièrement noir. Ce n'est pas le premier film à avoir cette spécificité à Hollywood mais néanmoins la MGM par les moyens alloués se montre audacieuse dans des Etats-Unis encore ségrégationniste, l'exploitation de Cabin in the sky dans le Sud sera d'ailleurs plutôt mouvementée avec des projections interrompues et les manifestations d'une population blanche indignée. Le casting de la pièce est en partie conservée avec Ethel Waters (avec laquelle Minnelli avait déjà travaillé sur scène pour la comédie musicale At Home Abroad en 1935) et Rex Ingram, reprenant leurs rôles, Eddie Anderson remplace Dooley Wilson en "Little Joe, tandis que Lena Horne trouvera là le seul rôle principal de sa carrière hollywoodienne. 

Le film est une fable morale entre rêve et réalité qui permet déjà à Minnelli de déployer son esthétique surréaliste et teintée d'onirisme. L'attention fut particulière durant la conception à éviter les stéréotypes racistes sur la communauté noire, Freed et Minnelli soumettant le script aux leaders de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) association engagée pour les droits civiques qui le valideront. Certains clichés sont certes bien présents, mais pas dans une volonté de dénigrement et plutôt au service des enjeux dramatiques du récit. Ainsi la piété profonde associée à la communauté afro-américaine est associée à la figure pure de Petunia (Ethel Waters), forcée de se montrer d'autant plus vertueuse en contrepoint de son époux Little Joe (Eddie Anderson) toujours sur la corde de raide de la tentation avec son goût pour les jeux d'argent. Minnelli joue sur cet aspect religieux constamment à deux échelles représentant ses deux personnages principaux. 

Les séquences de gospel qui ouvre le film sont superbes et immersive avec la caméra de Minnelli arpentant une assemblée pleine de ferveur, mais la malice et les airs ahuris de Little Joe viennent nous faire ressentir qu'il y a plus exaltant à vivre que ce cadre bienveillant. C'est d'ailleurs quand il s'agit de filmer la tentation du péché et les lieux qui s'y rattache que Minnelli laisse entrevoir les premiers élans de sa virtuosité filmique. Le mouvement de caméra accompagnant la course folle de Petunia vers casino où Little Joe vient de prendre une balle impressionne par son urgence, sa flamboyance et fluidité, annonçant les cavalcades hypnotiques de Brigadoon (1954) ou Comme un torrent (1958). Le réalisateur trouve le ton juste entre bons sentiments jamais niais et mauvais esprit réjouissant, dans l'imagerie, le ton et son approche des numéros musicaux.

L'onirisme amusé de la première confrontation entre anges et démons scellant le pacte autour du salut de Little Joe annonce la couleur. Ainsi le numéro Cabin in the sky dessine un environnement idyllique et irréel où les paroles et la composition de plan de Minnelli fige un tableau d'harmonie romantique et communautaire trop parfait, trop innocent et candide. La tentation de voir cette perfection vriller se ressent dans le numéro Life is Full of Consequence, où les danses endiablées de Little Joe viennent s'inviter au foyer, tout comme le spectre d'un élan plus lascif pour la pure Petunia amorçant des mouvements chaloupés et étouffant un cri sauvage de plaisir. Toute cette retenue n'a plus court chez les suppôts du diable, qu'ils soient démon ou humain. Le cliché d'un monde divin/infernal administratif souvent exploité est transcendé par l'énergie jazz se dégageant des enfers avec les hilarants dialogues entre Lucifer jr (Rex Ingram) et ses agents (dont l'un joué par un Louis Armstrong survolté) où le leader se désole que son équipe A soit trop occupé en Europe. 

En tentatrice bien humaine, Lena Horne fait monter la température en golddigger au regard de braise et aux déhanchés lascifs, baignant chaque instant de présence d'un parfum de stupre et de provocation. Le clou de cette veine sulfureuse est atteint dans la dernière partie avec l'apparition de Duke Ellington et son orchestre dont les élans autorise les numéros de danses les plus tapageurs, les plus sexuels. Minnelli se montre aussi habile dans la retranscription cinématographique d'un espace "scénique" mettant en valeur les chorégraphies, que dans la capture du pur mouvement par la caméra - même si l'on doit officieusement le numéro Shine à Busby Berkeley. Les coutures morales se défont également en partie pour le couple qui ne peut s'aimer pleinement qu'en ayant failli, (fait mine de) cédé à la tentation avant que l'apocalypse divine viennent les laver de leur péché et détruire cette Babylone miniature - et la réutilisation habile d’un stock-shot de la tornade de Le Magicien d'Oz (1939). Toujours dans cet élan entre bons sentiments pieux et ironie habile, Minnelli nous laisse entrevoir une vision extatique des cieux avant de nous ramener à une morale et réalité plus terre à terre. Plus qu'une promesse un Minnelli déjà grand même si le meilleur était bien sûr à venir.

Sorti en dvd zone 2 anglais et doté de sous-titres anglais

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