C’est en recroisant son ancien amant de faculté, que Toko, depuis longtemps femme au foyer, voit soudain renaître en elle le désir de travailler, et de reprendre son métier d’architecte. Mais peut-on jamais réinventer sa vie ?
Pour le meilleur et pour le pire, la société japonaise fonctionne sur le principe du collectif prenant le pas sur l’individu. Si cet aspect a permis au pays de toujours courageusement et spectaculairement se redresser face aux différentes tragédies qu’il a traversé, il s’avère aliénant dans la sphère quotidienne et intime. Un des cercles où l’individu a particulièrement à en souffrir est la famille, et notamment les femmes. La réalisatrice Yukiko Mishima cherche à remettre en question ce dogme, où la femme dans l’idée rejoint la famille de l’homme et doit se soumettre à ses préceptes. C’est ce que vit Toko (Kaho), figure effacée et entièrement dévolue à son mari (Shōtarō Mamiya) et à sa fille.
La scène d’ouverture donne dans la satire cruelle et grinçante, traduisant par différents motifs le retrait naturel de Toko dans le fonctionnement du foyer. Elle est pressée par sa belle-mère de quitter sa propre cuisine, pour préparer un repas que son époux négligera de toucher. Même dans l’intimité de la chambre, Toko est au service de ce mari qu’elle soulage de sa rude journée par une fellation sans avoir de satisfaction en retour. La mise en scène, les cadrages et compositions de plan manifeste ce retrait par l’image, Toko semblant toujours effacée, en attente et à disposition des autres. C’est un schéma qui se reproduit à l’extérieur où elle est un joli trophée que le mari affiche fièrement à ses collègues avant de la congédier lorsque doivent intervenir les discussions « d’hommes ». La rencontre de Kurata (Satoshi Tsumabuki), un ancien collègue, la replace au centre de l’attention. La scène de retrouvailles où il embrasse fougueusement Toko en refait une figure centrale, désirée et désirante. Cette nouvelle matérialisation de sa personne se poursuit pour notre héroïne quand Kurata la fait embaucher dans son entreprise. Arrachée à l’asservissement domestique, on découvre derrière l’échine courbée et les sourires niais une Toko s’avérant avoir le métier d’architecte. Hors de son environnement aliénant, le personnage retrouve une parole écoutée, un intérêt pour les autres. Yukiko Mishima le montre une nouvelle fois par la mise en scène qui place discrètement Toko au cœur des échanges professionnels et l’en isole pour exprimer l’intérêt porté à sa parole par les autres. Même un éléments trivial tel que le flirt rieur et sans conséquence avec un collègue participe à ce renouveau, également en tant que femme. Le schisme entre le foyer et l’époux souhaitant la maintenir en tant que potiche éteinte et cet extérieur où elle redécouvre la liberté se fait de plus en plus grand au fil du récit. La moindre anicroche familiale ne sera culpabilisante que pour la femme ayant faillit à son devoir naturel, jamais à l’homme. Yukiko Mishima étend courageusement ce modèle à l’ensemble de ce qui constitue la filiation, le lien du sang, puisque la propre fillette de Toko déjà conditionnée soumet sa mère au même chantage affectif lors l’attention ne sera plus entièrement dévolue à cette cellule familiale.Le personnage bien qu’en partie émancipé n’est cependant pas encore assez fort pour pleinement se libérer. L’amour sera le facteur de son envol. Kurata est un être tout aussi solitaire, mais lui rendu ainsi par le divorce et la maladie. Les retrouvailles avec Toko ravivent en lui une flamme qu’il peine à exprimer à son tour, en faisant une silhouette distante. C’est par l’expression torride et irrépressible de leur désir que les deux protagonistes vont se rapprocher, sans que les mots soient réellement nécessaires. Tout le dispositif mis en place par Mishima tend vers une intense scène d’amour qui offre une réponse torride à toutes les frustrations et non-dits. Soudain Toko devient enfin le centre d’attention de son amant, c’est ce dernier qui se soumet à son désir par l’intensité de ses caresses et de son regard. Il lui enjoint d’exprimer d’un cri ce qu’elle ressent, et après cet orgasme en forme d’épiphanie, tout retour en arrière est impossible. D'ailleurs en dehors de cet instant plus "spectaculaire", Mishima sait différencier l'harmonie du couple adultère du rapport dominant/dominé de celui du couple légitime. La complicité intime (Kurata partageant les mets de son plat avec de Tako), tout comme intellectuelle se ressentent par exemple quand la réalisatrice saisit le mouvement synchronisé de leurs gestes durant la scène où ils dessinent leur maison idéale. C'est tout autant une scène d'amour, mais se jouant à une échelle cérébrale.La construction narrative en forme d’aller-retour entre le présent de sa fuite et le passé de sa libération progressive fonctionne par écho au montage et traduise l’alternance d’hésitation et détermination de Toko. La façade familiale ne la retenait que par les conventions et le confort matériel, en découvrant l’amour ces vaines préoccupations n’importe plus. Divers éléments laissent comprendre que le bonheur pour lequel elle quitte sa prison dorée est éphémère (voire déjà perdu selon l’interprétation des flashbacks) mais la liberté est à ce prix. La fin du film est réellement audacieuse dans le contexte social japonais corseté en montrant un personnage, féminin de surcroit, trouver le un sens à sa vie au-delà de l'injonction des liens filiaux. Par instants (notamment l’épilogue enneigé), le film rappelle beaucoup un des grands mélodrames du cinéma japonais des années 90 explorant les même thèmes, Lost Paradise de Yoshimitsu Morita. Mais là où ce dernier choisit le désespoir de la fuite en avant morbide, The Housewife inscrit les choix de son héroïne dans un futur loin des conventions. Un signe de l’évolution des mœurs, quand même la fiction laisse le droit à la seconde chance.
Sorti en dvd zone 2 français chez Hanabi
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