En 1940, Frédéric Auger, jeune écrivain, reçoit un appel de la star du cinéma français Viviane Denvert, ancien amour, qui lui demande de venir chez elle immédiatement. Une fois sur place, il découvre un cadavre dont elle souhaite se débarrasser ! Encore amouraché, il accepte de s'en occuper, mais est arrêté et envoyé en prison. Quelques mois plus tard, alors que les Allemands s'approchent de Paris, la prison est évacuée et Frédéric Auger aidé par Raoul, s'échappe. Tentant de rejoindre Viviane Denvert à Bordeaux, Frédéric Auger retrouve Raoul et fait la connaissance de Camille qui avec le professeur Kopolski doit transporter le stock d'eau lourde français en Angleterre, de Bordeaux par bateau, pour le protéger des Allemands.
Bon Voyage est un
des échecs commerciaux les plus injustes de ces dernières années pour ce qui
est sans conteste le plus beau film français de la décennie 2000. Une suite de
décisions malheureuses (une sortie trop précoce en avril après avoir renoncé à aller
à Cannes malgré la critique dithyrambique où le casting prestigieux aurait
attiré l’attention) et le contexte historique du film peu attrayant au premier
abord causeront dont une carrière en salle mitigée pour ce qui était pourtant
un classique moderne en puissance. Depuis, Rappeneau déjà peu prolifique (sept
films à peine en 40 ans de carrière) n’a plus rien réalisé malgré l’amorce de
plusieurs projet. Peut-être a-t-il aussi le sentiment d’avoir tout dit dans Bon Voyage, tant le film représente la
quintessence de son art.
Bon Voyage conclut
en quelque sorte pour le réalisateur une trilogie historique sur la France en
crise démarrée avec La Vie de Château (1966)
et poursuivie dans Les Mariés de l’An Deux (1971). Le premier se déroulait dans une France provinciale sous l’Occupation
tandis que le second reculait dans le
temps pour nous plonger dans un pays dans le tumulte post révolutionnaire. Les
deux films usaient de ce contexte pour alterner descriptions mordantes des
écarts de ces périodes agitées et chassé-croisé amoureux trépidant avec les
couples Philippe Noiret/Catherine Deneuve puis Jean-Paul Belmondo/Marlène
Jobert.
Bon Voyage s’avère encore
plus riche et bien plus personnel pour Rappeneau qui s’attaque à un cadre peu
exploré par le cinéma français, celui de la confusion ayant eu court entre la
défaite française de 40 et l’arrivée des allemands et donc les bouleversements
ayant amenés à la capitulation et la collaboration avec l’ennemi. Pour Rappeneau né en 1932, ce moment est
synonyme de souvenirs d’enfance mouvementé et il parviendra à nouveau à croiser
point de vue acéré sur ce moment crucial avec une intrigue romanesque
palpitante.
Plusieurs genres se bousculent au sein de Bon Voyage,
Rappeneau n’ayant jamais approché plus près son modèle, le Lubitsch de To be or not to be. Romance, espionnage
et politique se mêlent donc au gré des pérégrinations d’une dizaine de personnages.
On trouve y trouve la star de cinéma Viviane Denvert (Isabelle Adjani) qui va
peu avant la défaite mêler son amour d’enfance Frédéric (Grégori Derangère) à
un meurtre qu’elle a commis, le faisant malgré elle emprisonner à sa place. La débâcle
de 40 permettra à Frédéric de s’évader en compagnie du voyou Raoul (Yvan Attal)
et à l’instar du gouvernement et de la bourgeoisie parisienne il se rendra à
Bordeaux retrouver Viviane désormais protégée du ministre de l’intérieur
Beaufort (Gérard Depardieu). Là sa route croise celle Camille (Virginie
Ledoyen) agrégée tentant de faire fuir le pays par tous les moyens au professeur
Kopolski qui doit protéger des allemands le secret de l’arme nucléaire
représenté par l’eau lourde qu’il transporte.
Voilà une intrigue pleine comme un œuf que Rappeneau va mener
avec son brio coutumier sur un script brillant écrit avec Patrick Modiano. L’arrière-plan
de cette France plongée dans le chaos crée une urgence de tous les instants derrière
les course poursuites se dévoilent quelques tableaux saisissants : le
tumulte de la ville de Bordeaux plongée dans la crainte de l’invasion allemande
et de la décision du gouvernement, ce même gouvernement usé, résigné entre
politiciens opportunistes et ambitieux, par les indécis apeurés suivant
aveuglément les consignes de capitulation. L’agitation de la bourgeoisie
parisienne venue se réfugier en province mêlant patriote et futurs
collaborateurs est brillamment croquées au détour de quelques situations et
dialogues, la France populaire anxieuse et subissant déjà les privations aussi
avec des visions saisissantes de rues bondées dans ce funeste juin 1940.
C’est bien les aventures de nos héros et la fougue que met
Rappeneau à les raconter qui évite au
film de sombrer dans une tonalité funèbre de rigueur. Là aussi on retrouvera
des figures bien connues. Isabelle Adjani en starlette égocentrique et
manipulatrice offre une de ses plus épatantes prestations récentes. Tout en minauderies
et de séduction calculée elle agace autant qu’elle émeut par cette valse entre
sentiments sincères (les quelques moments d’abandon avec Frédéric où elle tombe
le masque et redevient l’amoureuse d’antan son réellement touchants) et attrait
pour le luxe ne perdant jamais de temps pour se trouver un nouveau riche et
puissant protecteur.
Elle incarne la facette typique de « l’emmerdeuse »,
type de personnage cher à Rappenau dont les écarts exaspèrent et séduisent le
héros masculin (Catherine Deneuve dans La
Vie de Château et Le Sauvage,
Marlène Jobert dans Les Mariés de l’An
Deux où « l’emmerdeur » paternel Yves Montand dans Tout feu tout flamme), le forçant à évoluer. Rappeneau change
cependant la donne ici puisque l’emmerdeuse s’avère néfaste et le salut du
héros ne repose plus dans le rapprochement avec elle mais par son abandon.
A la
place des gifles et des portes qui claquent habituelles, on aura ainsi une romance tout en non-dit et
en regard entre Grégori Derangère et Virginie Ledoyen. Derangère jeune premier
tout en panache et en maladresse est épatant (et obtiendra le César du meilleur
espoir) et Virginie Ledoyen cachant son émoi derrière ses lunettes et son
franc-parler très attachante aussi. On saluera aussi Yvan Attal naturel et
décontracté en voyou gouailleur.
Le rythme est mené tambour battant, les rebondissements s’enchaînent dans une intrigue d’espionnage rondement menée où Rappeneau multiplie les moments de suspense plein d’énergie : Frédéric reconnu et obligé de fuir en plein restaurant, l’affrontement avec des espions nazis au petit matin, une poursuite en voiture dans les rues de Bordeaux… Comme dans les deux précédents films de la trilogie, Rappeneau soigne son arrière-plan historique par sa maîtrise technique (cadrages millimétrés, montage virevoltant, effets spéciaux invisibles et reconstitution soignée) et sa vision ironique des bouleversements d’alors.
Cependant il n’oublie jamais qu’il n’est pas historien mais conteur et les enjeux reposeront toujours sur le parcours individuel de ses personnages. En devenant un héros de la résistance Philippe Noiret retrouvait l’amour et le respect de sa femme dans La Vie de Château, Belmondo ne traversait les soubresauts de la Révolution que pour mieux renouer avec Marlène Jobert dans Les Mariés de l'An Deux. Il en va de même ici où le réalisateur ne cède pas la facilité de conclure son film sur la Libération. La France est toujours occupée mais son couple s’est enfin avoué ses sentiments, la Grande Histoire elle, peut continuer…
"Intrigue pleine comme un oeuf" : C'est bien le problème, toujours, avec Rappeneneau. Il confond qualité et quantité. Et là, c'est tellement bourratif qu'on dit "N'en jetez plus, siou plaît!". Ce scénario c'est l'overdose de la mécanique et du fourre-tout. Plus aucune place pour l'émotion.
RépondreSupprimer"Menée tambour battant" : ... et, du coup, tout ça sonne vraiment très creux.
Je sais, je suis dure avec Rappeneau, mais y en a marre de cette surestimation du vide. L'échec de ce film n'est que justice.
Reste Gregori Derangère. Excellent. Charmant, façon le James Stewart des années 46-48. A se demander dans quelle mesure ce film n'a pas bousillé sa carrière ! Lisa Fremont.
C'est sûr que c'est sans doute là son scénario le plus chargé mais c'est ambitieux et vraiment bien construit dans les va et vient entre les genre, le ton léger et l'atmosphère de défaite. C'est un peu typique de son style surtout dans cette veine romanesque historique, les intrigues modernes étant un peu plus épurée comme "Le Sauvage".
RépondreSupprimerToutes les directions sont également prenantes donc tant qu'il ne s'y perd pas (et nous avec) ce trop plein ne me gêne pas du tout au contraire (et puis il y a au moins autant de directions dans le modèle avoué de Rappeneau ici, To be or not to be).
Par contre d'accord pour Grégori Derangère qui aurait sans doute eu une autre carrière si le film avait marché malgré son César. Mais bon il est encore jeune et peut faire de grandes choses !
Ses intrigues modernes, "plus épurées" selon vous (moi je dis "vides et creuses), placent plutôt leur trop-plein dans la surenchère de cris, de coups de gueule surjoués, d'agitation plaquée. La coupe est pleine avec "Tout feu tout flamme" qui est proprement insupportable. Tout cela sonne le faux, l'imposture, le clinquant.
RépondreSupprimerN'est pas Lubitsch qui veut.
D'autant que le vieil Ernst lui-même, ne réussit qu'inégalement, dans "To be", la perfection de ce grand écart, (le plus souvent, oui, et ce n'est déjà pas mal, mais pas toujours néanmoins),de ce "jeu dangereux" entre le drame et le rire. Les personnages de Lubitsch restent humains et sensibles. Ceux de Rappeneau finissent, au mieux, en pantins téléguidés.
Désolée, même s'il louche vers lui, Rappeneau est à Lubitsch... disons, je ne sais pas... ce que Jean Girault est à Max Ophüls ? (et je crois que je préfère encore Jean Girault à Rappeneau, c'est dire ! Au moins, il n'a pas cette exaspérante arrogance du "grand auteur" auquel la critique n'ose jamais rien dire) .
L.F.
Et bien définitivement pas votre tasse de thé le cinéma de Rappeneau ^^. J'adore justement cette hystérie et ce mouvement perpétuel dans "Tout feu tout flamme" (déjà évoqués sur le blog) ou même "Le Sauvage" et sa première demi-heure survoltée avant de se calmer lors de l'arrivée sur l'île du couple. Question de sensibilité, ce côté virevoltant et énergique m'enchante et à plutôt tendance à vous agacer. Et paradoxalement j'aime moins quand il fait dans le classicisme plus attendu dans le pourtant plébiscité "Cyrano de Bergerac".
RépondreSupprimerEt autant j'aime défendre certains grands artisan du cinéma français peu regardé par la critique comme Georges Lautner ou Yves Robert mais Jean Girault pas trop ma tasse de thé malgré quelques films sympathiques, vraiment pas le même cinéma que Rappeneau.
En vérité Jean Girault n'est pas vraiment ma tasse de thé non plus. Je voulais juste dire que Rappeneau l'était encore moins! En fait, je trouve son cinéma glacé et glaçant. C'est un froid qui s'évertue à évoquer la passion, n'y parvient pas... et la remplace par l'écran de fumée de l'énervement et de l'hystérie.
RépondreSupprimerUn type comme Howard Hawks pourrait avoir ce travers. Et c'est tout le contraire pourtant! Tout le monde y parle en même temps et court partout et en désordre... Mais ses personnages, son cinéma savent nous toucher.
Chez Rappeneau, on voit tout le temps les fils qui agitent ses créatures. Et mon opinion vaut également pour Cyrano (c'est là, pour la critique, qu'il est devenu in-tou-chable!)qui est un film pesant, indigeste, et grotesque.
Mais bon. Je crois que je vous rejoins uniquement sur vos chroniques des cinémas américain et italien. Le cinéma français, ma foi... d'hier, d'avant-hier ou d'aujourd'hui, il me laisse circonspecte... et souvent en état de dyspepsie somnolente. LF.
Pas de mal on ne peut pas être d'acoord sur tout et j'imagine (j'espère^^) qu'il y a quelques exception qui trouve grâce à vos yeux dans le cinéma français !
RépondreSupprimerOh oui. Il y en a, bien sûr. Pas nombreux, mais des gens que j'estime énormément. Jacques Becker par exemple. Sauf erreur de manip , je ne le vois pas dans vos listes. Pensez-vous lui consacrer un sujet un de ces jours ? Son absence est un vrai trou dans vos chroniques. Amicalement, Lisa Fremont.
RépondreSupprimerNon effectivement pas encore évoqué ce réalisateur sur le blog mais j'aime beaucoup aussi donc ça ne saurait tarder notamment l'excellent "Le Trou"...
RépondreSupprimerEh bien, combler ce trou par "Le Trou", on a le droit d'appeler ça un "tour" de force !..
RépondreSupprimerLF.