Jeanne Tournier, 30 ans, s’ennuie dans
sa luxueuse demeure de Dijon. Elle est mariée au directeur d’un journal
et se rend chaque mois à Paris chez son amie Maggie. Elle a une liaison
plus ou moins platonique avec un joueur de polo aussi vain qu’élégant.
Soupçonneux, Henri Tournier tend un piège à Jeanne en lui demandant
d'inviter chez eux ses amis parisiens. En route pour Dijon, elle tombe
en panne et rencontre un mystérieux jeune homme, archéologue qui la
ramène chez elle, dans sa 2CV poussive qui tranche avec les luxueuses
voitures de ses amis habituels.
Après l'inaugural et salué
Ascenseur pour l'échafaud, Louis Malle développais pour la première fois le parfum de scandale qui animerait nombre de ses œuvres futures avec
Les Amants.
Le film s'inspire (d'assez loin) un conte libertin du XVIIIe siècle
qu'il transpose dans le contexte de la France provinciale et bourgeoise
des années 50. C'est là que végète Jeanne Tournier (Jeanne Moreau),
riche épouse d'un directeur de journal (Alain Cuny). L'immense et
luxueuse demeure lui semble un tombeau, les journées défilent dans un
même ennui répétitif et surtout son époux ne la voit que comme un joli
objet frivole qui le laisse totalement indifférent. Pour amener du
piquant à sa vie, elle multiplie donc les escales à Paris où elle rend
visite à son amie Maggy (Judith Magre) et où l'attend désormais son
amant le joueur de polo Raoul.
L'ensemble de ces éléments constitue pour Louis Malle un cinglant
portrait d'une existence bourgeoise creuse où chacun cumule les tares
les plus pathétique. L'austérité, l'habitude et une certaine
condescendance altèrent ainsi les rapports entre les époux Alain Cuny et
Jeanne Moreau dans un fossé enterrant toute flamme. L'amant ne vaut
guère mieux dans un autre registre avec une passion exaltée mais vaine
et la meilleure amie parisienne fonce le clou de la médiocrité avec ses
préoccupations frivoles et sa vie mondaine creuse.
Pourtant, la
mélancolie dégagée par Jeanne Moreau et la voix-off littéraire
commentant les évènements quelconques apportent une gravité inattendue
et une forme d'attente silencieuse. Cette attente c'est celle de Jeanne
qui espère sans se l'avouer (la passion quelque peu forcée avec Raoul)
que quelque chose surviendra pour bouleverser ce cycle.
Alors que le début du film est très elliptique et volontairement
ennuyeux dans ces va et vient entre Paris et Dijon, le temps se ralenti
quand arrive justement ce "quelque chose" en la personne du mystérieux
Bernard (Jean-Marc Bory) qui va séduire Jeanne. La secourant alors
qu'elle était tombée en panne sur le chemin du retour à Dijon, Bernard
semble totalement indifférent aux minauderies Jeanne, à l'évocation de
sa vie mondaine et de ses amis haut placés.
C'est un doux rêveur attaché
à la nature qui ne cèdera au charme de Jeanne que quand il la croisera à
nu et authentique, en robe de chambre de nuit en pleine nature.
Auparavant, Malle aura définitivement moqué la comédie du mari, de la
femme et de l'amant dans une sinistre scène de dîner ramenant Jeanne à
son dépit, jusqu'à la fameuse nuit.
Le film n'est pas sans défaut, en premier lieu le jeu de Jean-Marc-Bory.
L'amant romantique lunaire s'avère plutôt quelconque sous ses traits et
Louis Malle a la main lourde dans les dialogues poético romantique où
on sent l'inspiration du fantastique poétique façon
Les Visiteurs du Soir (Bory semblant avoir voulu reprendre le timbre chevrotant d'Alain Cuny d'ailleurs),
L'éternel Retour
mais dont la niaiserie s'estompait car des grands acteurs déclamaient
les tirades de cet amour courtois.
Pourtant ce long aparté nocturne est
un sommet de romantisme flamboyant car l'enjeu n'est pas l'union du
couple mais l'épanouissement enfin éveillé de Jeanne. La séquence
alterne entre tableaux somptueux (magnifique photo impressionniste
d’Henri Decae) où le couple se fond dans cette nature féérique et plans
du visage de Jeanne Moreau.
Malle capture d'abord la flamme de l'amour dans son regard quand elle
s'abandonne enfin au bras de Bernard, celle du bonheur d'un homme enfin
aimant et ardent et enfin l'étincelle du désir dans des scènes
charnelles à la sensualité audacieuse pour l'époque et qui attirèrent
les foudres de la censure (tout en faisant son succès par cet attrait de
l'interdit) sur le film.
Malle avait selon ses dires essayé d'escamoter
le panoramique sur la fenêtre escamotant les scènes de sexe et créant
l'érotisme par cet assouvissement rendu invisible au spectateur pour
montrer plus franchement l'étreinte passionnée des deux amants. Bernard
n'est finalement qu'une silhouette sombre ondulant sur le corps de
Jeanne et c'est bien le visage et les mouvements de celle-ci qui font
naître l'érotisme par l'abandon de ses inhibitions (préfiguré par son
grand éclat de rire plus tôt signifiant la libération annoncée du
personnage).
Après ce grand moment, Malle réinstalle une forme de doute et d'attente
tant la séquence a paru être un long rêve. Jeanne Moreau rêveuse et dans
le doute a pourtant changée : elle n'est plus dans l'attente de cette
grande émotion mais dans l'espoir de la retrouver et de l'entretenir.
Un doute bien plus exaltant que l'existence programmée qui l'attendais. Sublime prestation de l'actrice qui est pour beaucoup dans la
fascination entretenue par le film, récompensé du Prix spécial du jury à
la Mostra de Venise en 1958.
Sorti en dvd chez Arte Vidéo
Extrait
Le conte libertin dont s'inspire Louis Malle (et qui aurait pu être nommé) est "Point de lendemain" de Vivant Denon, devenu un classique, écrivain à ses heures, dessinateur, graveur, diplomate. Après avoir accompagné Napoléon en Egypte il sera le premier directeur du Musée du Louvre (nommé alors familièrement le Musée Napoléon).
RépondreSupprimerUn grand collectionneur d'objets d'art et d'aventures amoureuses qui lui ont inspiré son conte libertin.
Plus sur "Point de Lendemain", ici : http://www.pileface.com/sollers/spip.php?article192
Merci du complément d'information, c'est vrai que j'aurais pu le nommer d'ailleurs dommage que l'inspiration ne soit pas clairement affichée dans les crédits par Louis Malle. Vivant Denon a l'air d'être un sacré personnage !
RépondreSupprimerLa grande Jeanne ... Merci.
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