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lundi 15 janvier 2024

The Baby of Macon - Peter Greenaway (1993)


 Tandis que la peste et la stérilité frappent la population de Macon, une vieille femme difforme met au monde un bébé magnifique et en parfaite santé. La sœur de l'enfant, jeune fille belle et ambitieuse, avide de gloire et de richesse, y voit le moyen de faire fortune.

The Baby of Mâcon confirme après Prospero’s Book (1991) l’attrait du moment de Peter Greenaway pour des récits se déroulant dans le passé. Néanmoins la réflexion et le regard corrosif sur le contemporain ne sont jamais bien loin dans les univers fascinants développés par le réalisateur, et The Baby of Mâcon ne fait pas exception. Le film s’avère en effet un des brûlots anticléricaux les plus féroces vu depuis Les Diables de Ken Russell. Dès le départ, Greenaway voit la notion de foi, de croyance, comme une affaire de représentation. Représentation dans le sens iconographique du terme bien sûr, mais aussi théâtral puisque le récit au cadre et à la temporalité incertains se présente comme une pièce jouée pour la cour de Cosme III de Médicis (au XVIIe siècle), cette dernière intervenant, réagissant et participant même au spectacle. Cette mise en abyme n’est pas innocente au vu de ce qui nous est raconté, un dévoiement cinglant de l’idée du sacré.

Dans un village rongé par la peste, la famine et la stérilité, la naissance d’un nouveau-né va constituer un évènement sans précédent. La beauté et la grâce du bébé sont cependant incompatible avec l’infamie de son ascendance, sa mère étant une vieillarde sénile, son père guère plus fringant un horrible débauché. Pour que le miracle de la venue au monde de l’enfant soit le motif d’espoir attendu de tous, il faut en donner un visage plus présentable. La sœur aîné et adulte (Julia Ormond) va ainsi se faire passer pour sa mère, se déclarer vierge et frappée par l’immaculée conception. Cette ambition et la crédulité de la populace entraîne un culte et des dons opulents envers l’enfant dans l’attente de bénéficier de la bénédiction de celui-ci. Peter Greenaway déploie des tableaux luxuriants et grotesques où la sainteté de l’enfant est autant façonnée par ceux qui veulent croire que pas ceux cherchant à les duper. 

Le mélange d’imagerie païenne (« l’idole » qu’incarne le bébé étant supposé raviver la fertilité des femmes, des terres et des bêtes) et d’artefacts chrétiens (la virginité de la mère comme socle alors que la naissance est déjà un prodige en soi) constitue déjà une sorte fourre-tout sectaire servant à ratisser large chez les plus démunis tout disposer à croire. Greenaway montre le pire versant de l’humain et de son instinct de survie lorsqu’il est en position de domination, avec les tributs matériels comme charnels réclamé par la sœur en échange de la protection de son « fils ». On en reste là au vil profit par la force d’un culte sectaire, mais paradoxalement à visage humain par sa dimension pécuniaire, une fin justifiant les moyens pour sortir de la fange.

Il en va autrement lorsque la vraie religion s’en mêle. Le scepticisme repose sur un cartésianisme scientifique peu compatible avec la notion de foi pour le personnage du fils de l’évêque (Ralph Fiennes), et plus cyniquement une part de marché indignement volée dans le commerce du culte religieux pour l’évêque (Philip Stone). La photo de Sacha Vierny arbore des contrastes dorés et terreux pour exprimer le culte païen et dionysiaque orchestré par la sœur, et retrouve une colorimétrie sombre ainsi qu’une dominance du rouge dans les décors et costumes dès lors qu’il s’agira de représenter la religion chrétienne. Peter Greenaway ne fustige pas forcément l’idée de croyance, mais son interprétation, le commerce qui peut en être fait dans le but d’écraser les plus faibles et impressionnables. 

On le comprend dans le contraste entre la représentation candide de l’enfant et sa lucidité bien plus mature pour son âge, la conscience de ce qu’il est et symbolise en faisant un être omniscient et d’essence « autre » sans que l’on ose parler de divin. Greenaway effectue par ce biais un astucieux mimétisme avec les bases de la religion chrétienne, les cultes religieux en place passant du doute et indignation (ce qui fut finalement le cas avec Jésus-Christ face aux institutions religieuses de son temps) à la récupération en assimilant et faisant une source à leur profit de ce nouveau « messie ».  Les plus fameux espaces (fabuleux décors et direction artistique de Jan Roelfs et Ben van Os) posant les bases de la croyance chrétienne sont dévoyés au profit de désirs bien humain, telle cette étable où trône l’enfant possible théâtre des ébats entre la sœur et le fils de l’évêque. Cette relecture au profit de la pure passion charnelle est empêchée, pour laisser la dimension plus calculatrice de la religion reprendre ses droits.

Peter Greenaway fait renaître le spectre de l’inquisition barbare, la seule quête de confort matériel de la sœur et sa famille s’estompant pour le projet d’assujettissement des peuples par la vraie institution religieuse et chrétienne. Quand dévoiement des symboles se faisait par l’image dans la première partie, elle fonctionne par le verbe fourbe dans la seconde lorsque l’évêque arrange les évènements pour châtier la sœur malgré sa virginité protectrice. Cela nous mène vers une des séquences les plus insoutenables du film, et des plus sidérantes du cinéma de Greenaway. Dans un long plan-séquence de dix minutes, on observe l’évêque absoudre par avance des pénitents masculins avant que ceux-ci s’adonnent à un viol collectif sur la sœur. L’ironie, la froideur et la veine opératique s’exprime dans cette séquence où l’acte se devine seulement en ombre chinoise, mais se fait assourdissant par les hurlements de douleurs de la victime, tandis que le décompte sinistre des agresseurs s’affiche dans la grande obsession des chiffres qui est celle de Greenaway - le génial Drowning by numbers (1988) est là pour en témoigner.

En remettant en avant la mise en abyme de son dispositif lors de l’épilogue, Greenaway achève de faire de la religion est théâtre de l’absurde qui profite aux dominants et exploite des innocents, l’enfant martyr étant réduit à une relique que l’on dépèce, symboliquement comme physiquement. Le réalisateur livre un spectacle sombre, baroque et fastueux, dont les écarts sanglants horrifieront les plus sensible, et en limiteront la diffusion dont les Etats-Unis où le film ne sortira qu’en 1997 dans un circuit limité. Ce théâtre des horreurs est en tout cas une des grandes réussites de Peter Greenaway. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 anglais

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