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mardi 30 janvier 2024

The Longest Nite - Aau dut, Patrick Yau et Johnnie To (1998)


 Les deux principales familles du crime organisé à Macao sont au bord de la guerre. Sam, un flic corrompu travaillant pour l'une des familles, essaie de garder la situation sous contrôle. Tony, un mystérieux inconnu au crâne rasé débarque alors en ville. Les morts s’accumulent et l’étau se resserre autour des deux héros.

The Longest Nite est une des œuvres participants, avec The Odd One Dies (1997) ou A Hero Never Dies (1998), à forger l’identité singulière et la mue du polar hongkongais initiée par Johnnie To avec la création de sa compagnie Milkyway Image. On retrouve ici le mélange d’innovation formelle et de dimension post-moderne et référentielle typique de Johnnie To. L’intrigue à tiroir sur fond de rebondissements et trahisons multiples dans le cadre d’une guerre des gangs rappellent ainsi les récits de chevalerie alambiqués écrits par Gu Long et formidablement adapté par Chu Yuan comme La Guerre des clans (1977). Le flic véreux incarné par Tony Leung Chiu-wai obéit lui davantage à des canons de film noir dans la manière dont le sort (à première vue)  referme un piège terriblement vicieux sur lui. Le mystérieux agent du chaos joué par Lau Ching-wan semble quant à lui par le miroir (élément explicitement matérialisé lors d’une scène clé) qu’il renvoie à Tony Leung reconstituer les duos antagonistes affectionnés par John Woo dans ses polars héroïques, notamment The Killer (1989) et A toute épreuve (1992) – sillon creusé aussi par To dans A Hero Never Die

La grande différence repose cependant sur la dimension nihiliste, noire et désespérée, tant du point de vue des personnages que de l’atmosphère du film. L’envie de suivre les destinées des héros ne tient qu’au charisme de Tony Leung et Lau Ching-wan, du capital sympathie accumulé par les deux stars auprès du spectateur hongkongais, mais sinon leurs actes répréhensibles ne suscitent aucune adhésion tant ils sont dénués de toute la dimension idéalisée et chevaleresque d’un John Woo. Bien que se trouvant en théorie des deux côtés de la loi, ce sont les pions des puissances du crime dont ils assurent les intérêts chacun à leur manière. Johnnie To en joue en leur conférant l’avantage à tour de rôle, en les plaçant sur un pied d’égalité dans le duel physique et psychologique qu’ils entretiennent, puis les renvoie dos à dos dans leur destinée finale où seule la corporation du crime sortira vainqueur. Johnnie To annonce là sa vision froide et déshumanisée des triades dans son fabuleux diptyque Election 1 (2005) et Election 2 (2006), d’où est évacué tout le fantasme d’amitié virile et fraternelle là aussi issu de John Woo mais de tout un pan du film de gangster hongkongais.

Si Johnnie To renouera en partie avec ce type de valeur par la suite (The Mission (1999) et sa suite Exilé (2006), A Hero Never Die encore mais si le pastiche n’est pas loin pour ce dernier) l’extrême noirceur de The Longest Nite a sans doute à voir avec le contexte de la rétrocession, comme si cette bascule dans une autre ère balayait les codes, la supposée noblesse d’un ordre révolu. Le fait que l’histoire se déroule à Macao travaille cette idée, puisque l’architecture de ce lieu renvoie à l’ancienne urbanité hongkongaise, tandis que le capitalisme effréné et les maux qui l’accompagne ont fait basculer le visage de la péninsule vers une modernité plus froide et déshumanisée. L’incroyable atmosphère nocturne travaille donc la dualité entre la nostalgie dégagée par le décorum, et les antagonismes dépourvus de passion et d’affects opposant les personnages. 

On trouvera cela au pire cynique, au mieux lucide de la part de Johnnie To nous réserve néanmoins des morceaux de bravoures d’anthologie, notamment la confrontation finale peu subtile dans le fond mais virtuose par la forme dans sa volonté d’expliciter le fait que les deux « héros » sont les revers d’une même pièce. Officiellement signé Patrick Yau, le film (ainsi que ses autres réalisations pour Milkyway comme Expectthe unexpected (1998) et The Odd One Dies) verra sa parenté remise en cause par Johnnie To lui-même qui déclarera en être l’auteur (information confirmée par les participants au film) lorsqu’il verra une reconnaissance trop grande attribué à son ancien protégé. Toujours est-il que The Longest Nite demeure une formidable et jusqu'au-boutiste odyssée nocturne. 

Sorti en bluray français chez Spectrum Films

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