Intruso poursuit après Amantes (1991) la thématique de la romance morbide pour Vicente Aranda. On retrouve également ici le motif du triangle amoureux mais, si le film se déroule à une époque contemporaine contrairement à Amantes, le passé ainsi que les regrets et démons qu'il dissimule semble constamment hanter les personnages. On n'en a pourtant qu'un aperçu furtif quand les protagonistes évoquent leur enfance mais sinon Aranda maintient un certain degré de mystère rendant troublant la dynamique en apparence simple de son triangle amoureux. Amis d'enfance s'étant promis de ne jamais se séparer, le trio formé par Luisa (Victoria Abril), Angel (Imanol Arias) et Ramiro (Antonio Valero) a indirectement respecté ce vœu en voyant Luisa épouser Angel puis le quitter pour s'unir à Ramiro avec qui elle vit désormais. Angel a disparu de leurs vies jusqu'au jour où Luisa le retrouve ruiné, hagard et sans domicile alors qu'il était supposé vivre en Amérique du Sud. Luisa décide d'héberger Angel, au grand dam de Ramiro voyant revenir son rival et ancien ami.Vicente Aranda nous plonge dans un huis-clos oppressant dont les tourments s'avèrent surprenant. Dès le départ, nous comprenons que les sentiments de Luisa pour Angel sont inchangés et qu'il suffirait d'un rien pour qu'elle lui cède à nouveau, quand ce dernier souhaite quitter ces lieux lui rappelant un passé heureux qu'il ne retrouvera jamais. Ramiro hésite également entre sollicitude sincère et la volonté de voir cette menace s'éloigner. Aranda fait du passé un impossible renoncement, tout en refusant de nous en montrer le souvenir heureux par les échanges des personnages où de timides flashbacks laissant davantage voir les prémices de la division qu'un bonheur idéalisé. Dès lors la cohabitation du trio repose sur une tension sexuelle tout aussi morbide dans la retenue que par l'assouvissement charnel. Plus le récit avance plus le foyer familial se dote d'une imagerie hantée à la limite du surnaturel, et du point de vue de Luisa les spectres hantant les lieux sont représentés par sa famille et symbolisant sa culpabilité, mais aussi par Angel qui condamné teinte d'une aura funèbre le moindre de leurs ébats adultère.La photo de José Luis Alcaine parvient progressivement à donner un contour quasi gothique à ce cadre domestique ordinaire.
Le pivot du récit semble représenté par les deux jeunes enfants de Luisa et Ramiro, faisant le pont entre passé et présent. Ils ont été nommés en hommage à l'amitié/amour passée, Ramirín pour le garçon et Angela pour la petite fille. Les situations et dialogues rejouant avec innocence le passé passent justement par les enfants quand ils s'attacheront à Angel. Un jeu troublant de réminiscences se noue alors, dont le trio est à la fois acteur et victime, en particulier une Victoria Abril absolument incandescente. Une scène sidérante vaut à elle seule le visionnage, lorsque découvrant un Angel mourant, Luisa le ramène à la vie avec un amour et une hargne désespérée, à bout de forces et de larmes. Une œuvre aussi passionnante qu'éprouvante, et pièce centrale de ce qui semble former une sorte de trilogie voire tétralogie des amours mortifères avec Celos (1999) et Juana la Loca (2001) à venir.
Sorti en bluray espagnol
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