Nouveau-Mexique, fin du XIXe siècle : Temple Jeffords, self-made man, dirige de main de maître son immense domaine, "Les Furies". Un jour, sa fille Vance lui succèdera. Mais lorsque Temple rentre d'un voyage accompagné de Flo Burnett, sa nouvelle conquête, la tension monte. Cette dernière fait tout pour évincer Vance qui finit par la défigurer lors d'une dispute. Son père la force à quitter la maison, mais elle compte bien se venger...
Les Furies vient confirmer les exceptionnelles aptitudes d'Anthony Mann pour le western puisqu'en cette année 1950, il va s'essayer avec brio au genre avec La Porte du Diable puis initier son grand cycle porté par James Stewart dans Winchester 73. Après le western pro-indien de La Porte du Diable et avant le récit de vengeance de Winchester 73, Anthony Mann explore un nouveau pan dans Les Furies avec une fresque romanesque et familiale qui n'est pas sans rappeler l'emphase de Duel au soleil de King Vidor (1946), ce dernier étant également adapté d'un roman de Niven Busch. On en retrouve les conflits exacerbés, les personnages plus grands que nature mais au technicolor et à l'emphase épique de King Vidor, Anthony Mann privilégie la sécheresse d'un noir et blanc stylisé correspondant à son approche plus intimiste.Nous allons suivre la tumultueuse relation père/fille entre Temple Jeffords (Walter Huston) et Vance (Barbara Stanwyck), respectivement propriétaire et possible héritière du domaine The Furies. Temple est une personnalité haute en couleur dont la force de caractère et la nature fantasque a permis de façonner le domaine, mais ce sont ces mêmes traits qui le font le diriger de manière chaotique. Ayant mis de côté son fils Clay (John Bromfield) trop doux, il se reconnaît en Vance partageant son tempérament volcanique. Anthony Mann dépeint très bien cette relation explosive, mais aussi la manière dont le répondant de sa fille ravit Temple qui lui cède tout et la laisse gérer les affaires en son absence. La caractérisation est truculente dans les échanges piquants et chaleureux, dans les concessions concrètes que s'accordent ces fortes personnalités et quelques éléments aussi triviaux que cruciaux entérinant ce lien affectif - le massage de vertèbre de Vance pour le dos usé de son père. Autour de cette relation humaine se nouent des enjeux correspondant à une sorte d'entre-deux historique du western, mais aussi de l'Ouest. Ainsi la question de la frontière, de la propriété et du bétail classique du western se mêle désormais à des problématiques purement capitalistes et spéculatrices. Le train de vie dispendieux de Temple tient ainsi à la générosité des prêts bancaires et de la diffusion d'une monnaie interne à son domaine mais à la valeur discutable. Cette nouvelle donne leur impose leur conduite et affecte ainsi les relations humaines, les banques faisant tenir leur générosité à l'expulsion d'une famille mexicaine des terres que Vance a maintenu par amitié pour Juan (Gilbert Roland), son ami d'enfance.L'histoire est ainsi la fin de ces forces de la nature "à l'ancienne" tel Temple, et le cheminement de Vance vers le nouvel ordre établi à la suite de déconvenues sentimentales et familiales. Elle est trop tendre face au prétendant cynique Rip Darrows (Wendell Corey), et impuissante face à une aventurière séduisant son père pour s'approprier sa fortune. Anthony Mann dans cette idée filme les conflits verbaux et de tension psychologique dans les scènes d'intérieurs, dans des pièces où se disputent le déchirement familial intime (la chambre préservée de la mère défunte) et le pouvoir financier (le bureau du père). A l'inverse les grands espaces baignés dans la photo de Victor Milner et Lee Garmes libèrent des émotions plus crues et cathartiques, les sentiments les moins nobles telle l'issue tragique de l'assaut de la famille Herrera. Une nouvelle fois Vance représente un pont entre les deux, défigurant sa "belle-mère" dans la demeure familiale, voyant son amour bafoué dans la clairière de Darrows et enfin se montrant capable de duplicité dans le secret des bureaux de banque. Le personnage de Vance est à ce point déterminé et souple dans son évolution qu'il parvient à soumettre ceux qui l'avaient initialement dominé, Mann rejouant les situations à son avantage pour lui faire gagner le cœur de Darrows et surtout suscitant la fierté de son père quand il découvre sa manœuvre finale. Barbara Stanwyck est impressionnante, dépassant la dualité entre une supposée faiblesse féminine et de poigne masculine pour construire un personnage volontaire, passionné et nuancé qui inaugure ses rôles d'héroïnes farouches de western (Quarante tueurs de Samuel Fuller (1957), La Reine de la prairie d'Allan Dwan (1954), même la série tv western La Grande vallée jouant de ce passif). Walter Huston (dans son dernier rôle pour le cinéma) est tout aussi habité et excessif en patriarche inconséquent et l'intrigue lui réserve de fabuleux morceaux de bravoure soulignant sa prestance, notamment la chanson que lui dédie ses hommes avant qu'il aille défier seul un buffle dans sa prairie. Il y a de beaux accents shakespeariens voir de tragédie grecque dans cette histoire, sans que cela vienne alourdir le cadre de western et dans une veine à la fois proche et différente de Duel au soleil, cela hisse l'histoire à des sphères surprenantes. Une nouvelle très belle proposition de western d'Anthony Mann, une de ses grandes réussites.
Sorti en bluray américain et doté de sous-titres anglais chez Criterion
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