Hong-Kong, 1980. Une jeune fille pousse trois jeunes garçons, responsables d’un meurtre, dans une dérive meurtrière et nihiliste.
Les débuts de Tsui Hark marquent encore une hésitation, voire une inconséquence, entre ses velléités modernistes et sa capacité à revisiter la culture et les genres chinois traditionnels par le prisme du cinéma. Cela donnera deux premiers films singuliers, Butterfly Murders (1979) qui croise film martial et récit à mystère dans un filmage sur le vif (éloigné des adaptations de Gu Long par Chu Yuan et leur chatoyante esthétique studio) puis Histoires de cannibales (1980) mélangeant cette fois horreur, comédie noire et à nouveau un zeste d’arts martiaux. Les deux films n’auront pas les faveurs du public hongkongais, ce qui incite Tsui Hark à un geste plus explicitement radical pour son troisième film, L’Enfer des armes.
Pourtant tout rageur et vindicatif qu’il soit, L’Enfer des armes tel qu’il sorti en salle à Hong Kong est moins nihiliste que dans son montage originel qui décrivait la dérive terroriste d’une jeunesse à la dérive. La censure verra d’un mauvais œil ce pan de l’intrigue (dont il reste des résidus durant la scène de la bombe dans la salle de cinéma, obligeant Tsui Hark à réviser sa copie par l’ajout d’une intrigue secondaire sur fond de trafic d’armes et de mercenaires. Si l’on excepte le jeu (comme souvent à Hong Kong) approximatif des acteurs occidentaux jouant les mercenaires, ce bricolage se fond finalement bien au reste du film et en maintient la cohérence. Le brûlot social s’imprègne ainsi d’une atmosphère plus stylisée, les interludes sur les barbouzes occidentaux baignant dans une photo baroque et une tonalité presque fantastique renforcée par les « emprunts » de la bande-originale aux scores synthétiques des Goblins issus de Zombie de George Romero.Tsui Hark oscille entre ce côté irréel vicié et une urgence urbaine qui contamine bientôt le quotidien de ses protagonistes adolescents. L’ennui ordinaire et l’irresponsabilité des trois garçons leur font croiser la route de Pearl (Lin Chen-chi) jeune fille nihiliste et névrosée qui va les exposer au chantage. Leur opposition puis association fragile nourrit la quête d’adrénaline des garçons – les faisant échapper à l’ennui bourgeois ou la promiscuité misérable de leur quotidien – et la fièvre autodestructrice de Pearl, les menants des bas-fonds de Hong Kong à la périlleuse confrontation avec les mercenaires. Tsui Hark capture là les maux d’un monde à la dérive, où l’incompréhension des proches (le grand frère dépassé joué par Lo Lieh), la corruption des adultes (des petites frappes aux mercenaires) et l’absence de repères de la jeunesse mène vers une impasse désespérée, le chaos. Les explosions de violence relèvent de l’exutoire irrépressible, du sadisme et de la démonstration de force, seule expression possible d’un mal-être intime ou d’une société sans espoir. Le réalisateur rattache cela à un mal social collectif dans son évocation de la transition financière, mais aussi politique par les armes recherchées issues de stocks du Vietnam, ces éléments globaux contribuant à enfoncer et corrompre une jeunesse sans repères moraux – les éprouvantes et réelles scènes de tortures d’animaux.La grisaille et la désolation désertique des quartiers pauvres alterne avec l'inhumanité métallique bleutée et neutre des quartiers d'affaires, ainsi que la saturation de couleurs du monde des gangsters (et l'extravagance vestimentaire qui y est associé). Les élans baroques évoqués plus haut dans le traitement des mercenaires en font des créatures démoniaques, des cavaliers de l'apocalypse détachée de cette réalité hongkongaise qu'ils viennent purger par le feu infernal de leur arsenal militaire.La noirceur jusqu’au-boutiste de L’Enfer des armes n’épargne personne, tous étant promis à une fin chargée de souffrance culminant dans un fabuleux climax au sein d’un cimetière. La réelle efficacité du polar (qui assurera un relatif succès local au film) se mêle ainsi avec brio au cauchemar urbain faisant de Hong Kong une sorte d’antichambre des enfers - Le Bras armé de la loi de Johnny Mak (1984) égalera le film de Tsui Hark sur cette vision. Délétère et fascinant, L’Enfer des armes est un pur diamant noir s’inscrivant parmi les œuvres les plus singulières de Tsui Hark.Ressortie ne salle le 7 février
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