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jeudi 18 janvier 2024

Let him rest in peace - Tomo yo shizukani nemure, Yoichi Sai (1985)

Shindo un médecin raté, se rend dans une ville rurale d'Okinawa pour aider un ami d'enfance incarcéré pour des accusations suspectes qui semblent aller à l'encontre de sa nature. À son arrivée, il se heurte à une profonde méfiance de la part de la population locale alors qu'il enquête obstinément sur la l'incarcération de ses amis et découvre que la ville est sous la poigne de fer d'une entreprise de construction soutenue par les Yakuza et bénéficiant de la protection policière qui achète toutes les propriétés locales.

Let him rest in peace est le cinquième film de Yoichi Sai, une production Kadokawa s’inscrivant dans le fonctionnement transmédia de la firme à partir des années 80. A l’origine éditrice de livre, la compagnie a en effet développé une synergie entre ses activités de maison de disques et production cinéma. Les idol de la chanson voient leurs futurs tubes mis en valeur dans des œuvres légères où elles tiennent les premiers rôles, les best-sellers littéraires, romans ou mangas bénéficient rapidement d’une adaptation cinématographique pour surfer sur le succès du moment. Let him rest in peace se trouve dans ce cas puisqu’il s’agit de l’adaptation du roman éponyme (sous son titre japonais du moins Tomo yo shizukani nemure) de Kenzo Kitakata, maître du polar hard-boiled nippon. Le roman est paru en 1984 et le film arrive donc en 1985.

Il s’agit donc certes d’une commande pour Yoichi Sai, mais elle se fond en tout point dans les thématiques du réalisateur. Fils d’une mère japonaise et d’un père zainichi, Sai s’intéresse tout au long de sa filmographie aux marges et scrute les injustices de la société japonaise, notamment le célèbre Blood and Bones (2001) en partie autobiographique. Let him rest in peace contient justement des éléments annonçant la suite, comme A Sign Days (1988) se déroulant également à Okinawa et mettant en scène des yakuzas, De quel côté est la lune ? (1993) montrant le quotidien difficile de migrants coréens. Il semble que ce soit cette facette qui l’intéresse davantage que l’argument de polar dans Let him rest in peace, à travers une passionnante première heure où à travers le regard de l’étranger Shindo (Tatsuya Fuji) il observe la structure sociale d’une ville rurale d’Okinawa.

Shindo est venu porter secours à un ami incarcéré par la police, la narration habile nous en explique les raisons tout en dressant un portrait de la ville. Les lieux sont sous la coupe d’une entreprise de construction tenue par des yakuzas, et l’ami de Shindo paie pour avoir été le seul à s’opposer à un projet de rachat immobilier avec lequel les autres habitants, soudoyés, sont d’accord. Corruption sous-jacente, description par la caractérisation mais aussi par une traduction topographique des dynamiques sociales des lieux, le réalisateur nous captive durant toute sa longue exposition. Sa bienveillance pour les marges s’illustre par ce décor d’hôtel délabré servant de refuge aux travailleurs de l’ombre, mères célibataires, hôtesse de bar, prostituées y trouvant le toit qui leur est refusé ailleurs. Yoichi Sai fait avancer son récit entre enquête nonchalante et regard anthropologique par la justesse de son regard, son étude de caractères, les atmosphères saisies dans les différents lieux de vie de la ville.

L’imagerie contemplative envoute souvent, que ce soit pour traduire l’urbanité sèche ou prendre de la hauteur dans de superbes panoramas. La tension reste latente, la menace sourde et la violence rare, tandis que l’absence du principal concerné (Sakaguchi (Ryûzô Hayashi), l’ami du héros que l’on ne verra qu’à la toute fin) et les raisons de son emprisonnement préfigure la fatalité inhérente au récit. Tatsuya Fuji, tout en présence taciturne et désabusée, impose un charisme certain en faisant presque un héros de western par sa détermination seul contre tous. Malheureusement le film finit par nous perdre un peu en se reposant sur sa seule atmosphère, en ne parvenant pas à enclencher un second souffle au moment d’amorcer ses enjeux et sa conclusion un peu expédiée - écueil dont souffrait un peu aussi The Glorious Asuka Gang (1988) oeuvre plus pop du réalisateur mais tout aussi engagée. En définitive, il est presque dommage de s’être embarrassé d’une intrigue policière tant l’intérêt de Yoichi Sai et la force du film s’imposent sur sa veine sociale. 

Sorti en bluray français chez Spectrum Films

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