José Sirgado (Eusebio Poncela), jeune
réalisateur d’une trentaine d’années, vient de terminer le montage de
son second film, dont il est profondément insatisfait. Accro à l'héroïne
et pleine séparation d’avec Ana (la vedette de son premier film), il
reçoit un mystérieux paquet envoyé par Pedro (Will More), un jeune homme
rencontré quelques années plus tôt lors des repérages de son premier
film.
Arrebato est une œuvre culte du cinéma
espagnol, et emblématique du courant expérimental et transgressif qui
traverse les films de cette période de transition postfranquiste qui
verront naître des courants tels que la Movida. Le réalisateur Iván
Zulueta est justement au cœur de ces avant-gardes, débutant par des
études d'arts décoratif et publicitaire avant d'intégrer une école de
cinéma au début des années 60. Il s'exerce dans le cadre du cinéma
expérimental à travers plusieurs court-métrages, mais travaille aussi
pour la télévision grâce à son mentor Jose Luis Borau qui produira son
premier film Un, Dos, Tres, Al Escondite Inglés (1970),
œuvre pop et potache à la Richard Lester. Durant cette période, Zulueta
se lie d'amitié avec Pedro Almodovar qu'il aidera sur ses premiers
court-métrages et prendra en charge le design des posters de ses films
quand il passera au long. Arrebato voit le jour grâce à l'apport financier d'un mécène architecte et sera tourné à l'économie durant quinze jours.
Iván Zulueta ne s'est pas délesté de son passif expérimental et très clairement la narration erratique ponctuées de grosses longueurs en rebutera plus d'un. Néanmoins le film possède un réel pouvoir de fascination à travers l'imprévisible personnage de Pedro, et des thématiques qui en découlent. Celui-ci a un tempérament autiste et replié sur lui-même, uniquement obsédé (dans un premier temps) par le filmage de son quotidien, des environs de sa maison, mais s'effondre systématiquement en larmes quand il visionne le résultat de ses travaux qu'il juge médiocre. Se liant d'amitié avec José, il lui explique son obsession plus spécifique quant à une minuterie d'intervalle qui contrôle l'obturateur de sa caméra et la part d'insaisissable qu'il croit capturer dans ses intervalles particuliers. La narration en flashback dépeint d'abord leur rencontre, puis adopte ensuite le point de vue de Pedro pour nous faire comprendre la nature de ses expérimentations. En se filmant lui-même durant ses heures de sommeil, Pedro semble avoir découvert et ouvert une porte sur l'ailleurs représenté par les intervalles rouges s'intercalant entre les images qu'il filme. Plus il filme et plus les intervalles rouges se font nombreux et font disparaître les vraies images tournées, et Pedro tournera encore et encore jusqu'à ce que les intervalles deviennent dominant dans ses films, quitte à y perdre son âme.Les parties avec José, ses problèmes de drogue et de couple sont assez longuets et poussifs mais nécessaire pour comprendre ce qui poussera le personnage à se risquer à être à son tour pris au piège de "l'ailleurs" insondable des intervalles rouges. En revanche tout le long processus de découverte de Pedro est captivant, entretenant le doute longtemps entre le surnaturel manifeste ou la paranoïa de son protagoniste perturbé. Le réalisateur déploie tout un arsenal formel pour nous perdre, notamment dans la nature des films de Pedro qui sont en fait des extraits des vrais court-métrages de Iván Zulueta. Filmés en super-8 puis transféré en 35 mm pour Arrebato, , ils y gagnent une texture et une colorimétrie étrange qui en accentuent la nature rêvée et inquiétante. D'autres éléments non prévus jouent aussi sur la dimension hallucinée du film, comme certaines prises sons ratées qui forceront à redoubler en postproduction le personnage de Gloria (Helena Fernán-Gómez), mais par Pedro Almodovar (non-crédité) ce qui ajoute en plus du reste ce sentiment de décalage et bizarrerie à l'écran. Que l'interprétation du film opte pour le fantastique ou pour le délire psychotique et paranoïaque (les sidérantes dernières minutes estompent légèrement le doute même s'il persiste), il y a là néanmoins une passionnante réflexion sur notre attrait et obsession des images filmées, leur attrait et dangerosité morbide - mais contrairement à Cronenberg adoptant le point de vue du spectateur, Zueleta s'identifie à l'artiste frustré choisissant de se faire happer par l'image faute d'être capable d'en produire. Trop en avance, expérimental et opaque, le film sera un échec à sa sortie mais obtiendra néanmoins de nombreuses récompenses avant de retrouver son statut culte quand il ressortira en 2002. Iván Zulueta (qui partage les addictions et le caractère torturé de ses héros) ne reviendra plus au long-métrage et hormis quelques travaux à la télévision au début des années 90, en restera à son métier premier de designer (toujours pour son ami Pedro Almodovar entre autres) jusqu'à sa disparition en 2009. Donc objet filmique non identifié et pas facile d'accès, mais qui mérite quand même largement le coup d'œil.
Sorti en bluray zone free chez Radiance et doté de sous-titres anglais
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