Jack et Martin font le même métier mais appartiennent à deux gangs rivaux. En concurrence mais loyaux, ils évitent que les trajectoires de leurs balles ne se télescopent. En mission en Thaïlande, les deux hommes sont grièvement blessés et abandonnés à leur sort.
A Hero Never Dies est la première réalisation de Johnnie To pour son studio Milkyway fondé en 1996. C’est à travers cette structure que Johnnie To va gagner ses galons d’auteur notamment à l’international après une première partir de carrière plus impersonnelle de faiseur où il alterne réussites et produits plus commerciaux. C’est un moment opportun alors que la rétrocession entraîne la fuite des talents emblématiques de Hong Kong lorsque Tsui Hark, Ring Lam ou John Woo tenteront l’aventure américaine. Il y a donc une place à prendre, ce que Johnnie To parviendra à faire avec une série de polars stylisés qu’il réalise ou produit dans les premières années d’activité de Milkyway (The Mission (1999), Expect the Unexpected (1998) PTU (2003) …).
Avec A Hero Never Dies, Johnnie To se trouve au carrefour de l’approche conceptuelle qui va le définir, et d’une certaine tradition du polar hongkongais. Le film s’inscrit dans le courant du « polar héroïque » (ou Heroic bloodshed) tel que définit par John Woo avec le fondateur Le Syndicat du crime (1986). Le genre est une extension contemporaine du film de sabre ‘un Chang Cheh dont il reprend les préceptes de fraternité et de chevalerie, les armes à feu prenant la place des épées. Le genre connaît son apogée dans la foulée du film de John Woo mais est déjà tombé en désuétude lorsque Johnnie To le réactive avec son film. Le réalisateur lui paie son tribut avant de plus spécifiquement déconstruire par ses récits et son approche formelle le polar dans ses films suivants. Johnnie To reprend et dédouble justement le postulat et la construction de Le Syndicat du crime dans A Hero Never Dies. On se souvient chez John Woo d’un Chow Yun Fat au sommet de son charisme frimeur dans la première partie avant de vivre une terrible déchéance dans la seconde. Il en va de même ici avec un duo d’hommes de main Jack (Leon Lai) et Martin (Lau Ching-wan) qui bien qu’officiant pour deux boss opposés, s’apprécient et se respectent. Cela s’exprime par un véritable culte de l’amitié virile, où toute interaction passe par une constante démonstration de force. Sur le terrain, chacun privilégie l’intimidation plutôt que l’affrontement direct (Martin qui met Jack en déroute plutôt que l’abattre quand il le peut, Jack qui saccage l’appartement de Martin en représailles plutôt que le défier) et en dehors cela prend un tour presque potache dans les petits défis de dextérité qu’ils se lancent autour d’un verre de vin. Dans ces élans immatures, les fiancées de chacun, Fiona (Fiona Leung) et Yoyo (Mung YoYo) servent de modératrices compréhensives aptes à tempérer toute escalade de violence. Si chacun est conscient qu’un vrai affrontement est inévitable un jour ou l’autre, leurs commanditaires ne méritent pas vraiment ses âmes nobles à leur service. Fong (boss de Martin) et Yam (boss de Jack) sont les deux revers d’une même pièce, deux leaders lâches, indécis et mû par le seul appât du gain où leurs troupes ne sont que de la chair à canon négligeable. Cela éclatera au grand jour lors de l’affrontement décisif entre les deux camps où Jack et Martin survivent dans un piteux état tandis que les boss scellent une paix bien meilleure pour leurs affaires. Dès lors Jack et Martin deviennent des parasites gênant leur rappelant une guerre révolue et leur trahison. Johnnie To va loin dans la déchéance morale et physique des héros et de leur proche, tout aussi exacerbée que leur magnificence initiale. A Hero Never Dies s’avère en fin de compte un polar où l’action se déploie réellement en début et en fin de film, nouant la déchirure intime puis amplifiant la catharsis de la vengeance. L’essentiel repose ainsi sur le drame qui voit la trahison de cette notion de fraternité, de clan et d’amitié au service d’un capitalisme cynique. C’est un désenchantement assez commun du film de gangster, qu’il soit occidental ou asiatique (les films de yakuzas post année 60 de Kinji Fukasaku ne fonctionnent pas autrement) avec un même passé fantasmé où un code moral régissait ce monde du crime. Cela marche tout aussi bien ici à travers la veulerie révoltante des méchants et les explosions de violence hargneuse. Sans atteindre encore les sommets sophistiqués de The Mission ou Exilés (2006), on retrouve déjà la gestion de l’espace virtuose et tactique des fusillades chez Johnnie To, ainsi qu’un travail sur la photo qui prolonge les sentiments à vifs des personnages (la texture rose de la photo de Cheng Siu-Keng qui rend le décor invisible et ne laisse distinguer que les silhouettes des adversaires lors du final). L’audace dramaturgique ose les idées potentiellement ridicules mais qui atteignent une poésie et une force émotionnelle palpable. Ainsi Martin figé pour toujours viseur de fusil à la main, ou alors fièrement menaçant alors plus mort que vif pour accomplir sa vengeance, sont deux images parmi les plus marquantes du film. L’emphase d’un John Woo laisse place à quelque chose de plus feutré et minimaliste dans l’idée de ce que fera Johnnie To dans ses polars plus personnels à venir. Une belle réussite à la croisée des chemins.Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Spectrum Films
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