Confortablement installée dans un compartiment de première classe de l'express Maine Océan, Dejanira somnole. Le contrôleur survient et tente de lui expliquer qu'elle est en infraction, mais Dejanira ne comprend pas ce qu'on lui demande malgré l'intervention d'un second contrôleur. Mimi De Saint Marc, une passagère, avocate de métier, se rendant à Angers pour défendre un de ses clients, le marin Petigas, prend fait et cause pour Dejanira.
Maine-Océan arrive après un nouveau long hiatus filmique de Jacques Rozier, près de dix ans s’étant écoulées depuis le précédent Les Naufragés de l’île de la Tortue (1976). Entretemps le réalisateur travaille bien sûr à de nombreux projets inaboutis, sa méthode de travail étant inadaptée (absence de scénario, de synopsis ou de sujet) à débloquer les circuits de financements classiques. Il faut en général la conviction d’un producteur aventureux pour qu’un film de Jacques Rozier soit mis sur pied, ce qui fut le cas avec Georges de Beauregard sur Adieu Philippine (1962), ou alors avoir une star qui l’admire et portera le projet comme Pierre Richard dans Les Naufragés de l’île de la Tortue. Ce seront les circonstances qui permettront à Maine-Océan de voir le jour lorsque le producteur Paulo Branco proposera à Jacques Rozier de produire son prochain film.
La « méthode » Rozier atteint sans doute son pinacle avec Maine-Océan. Le réalisateur a l’habitude de partir d’un squelette d’intrigue qu’il laisse ensuite dériver au gré de son inspiration, des aléas de tournages et des improvisations des comédien. Cette fois même cet embryon de récit n’existe quasiment pas et l’ensemble avance selon des élans toujours inattendus des personnages. Le film se construit sous forme de bloc de séquences qui exposent le tempérament et les manques des protagonistes. Cette approche se développe dès la mémorable scène du train où se confrontent le poisson hors de l’eau qu’est la danseuse brésilienne Dejamira (Rosa-Maria Gomes), la facétieuse et imprévisible avocate Mimi (Lydia Feld) se confrontant au très terre à terre contrôleur Gallec (Bernard Menez qui retrouve Rozier après (Du côté d'Orouët (1973)) et son collègue Lulu (Luis Rego). La nature volatile et la complicité des deux femmes met à mal la rectitude forcenée de Gallec tandis que Lulu navigue entre la solidarité à son collègue et l’émoi que provoque en lui le duo Dejamira/Mimi dans un long moment comique. Rozier introduit dans la première partie ses figures excentriques avant de progressivement toutes les réunir par la suite. On découvre ainsi dans la seconde grande séquence l’irascible Marcel Petitgas (Yves Afonso) que Mimi doit défendre au tribunal. Accent incompréhensible, caractère colérique et répliques farfelues font du protagoniste un grain de sable incontrôlable dans la cour de justice pour notre plus grand rire, guère aidé par la plaidoirie hors-sujet de Mimi. L’étirement dans ces moments façonne d’hilarants moments absurdes mais sert avant tout à traduire l’inadaptabilité des protagonistes à un monde normé. Dejamira fuit finalement dans cette errance française une carrière plus contrainte, Mimi prête à suivre ou se faire accompagner de la moindre rencontre agréable échappe à la rigueur des palais de justice, Lulu n’aspire qu’à sortir de son morne quotidien de contrôleur et il en va de même pour Gallec qui ne se l’avoue pas encore. Pour Petigas c’est une volonté d’ailleurs qui s’ignore dans l’attachement qu’il ressent pour Dejamira. Tout cela est en germe et Rozier l’explicite dans la réunion surréaliste et improbable de tout ces individus. Une nouvelle fois le rire puis l’émotion naît de l’étirement où la nature profonde qui entrave chacun vole en éclat dans une tordante scène de confrontation, puis à l’inverse un extraordinaire instant de communion festive et musicale. L’espace initial du train, son heure de départ, sa ligne Paris-Nantes-Saint Nazaire et son agencement méthodique en wagon, classe et sièges constituent l’exact opposés de ce à quoi correspond la progression du film.L’intrigue avance, piétine ou recule selon l’incongruité que peut avoir la vie et notamment celle du tournage. Les personnages apparaissent et disparaissent du récit (Luis Rego moins présent dans la dernière partie car jouant au théâtre en semaine, le pianiste professionnel qui vient donner un second souffle à la scène musicale en roue libre), les supposés enjeux vrillent et changent en cours de route dans la plus joyeuse improvisation. Ce qui compte, ce sont les instants de vie, la capture de l’inattendu dans la réunion de ces personnages n’ayant rien à faire ensemble. Ce sentiment constant de surprise fait passer les 2h10 à toute vitesse et sous le capharnaüm façonne de vrais moments naturalistes et formalistes avec pour sommet l’errance finale de Bernard Menez et notamment cette image fascinante le voyant arpenter seul la côte déserte à l’horizon. Etonnant et détonnant, c’est un plaisir de se laisser porter par la nature volatile de Rozier.Sorti en dvd zone 2 français chez Potemkine
C'est sorti en DVD ? Chic ! Depuis le temps que je voulais le revoir... Vu à sa sortie, et adoré. (Oui, je sais que je suis datable au Carbone 14 !) Merci pour cette belle chronique, Justin.
RépondreSupprimerMais non Emma je retiens que vous étiez déjà alerte et de bon goût ^^. Sinon le film existe dans un coffret intégral de Jacques Rozier, contenant tout ses longs (4, courte mais précieuse filmographie) et courts-métrages. Ca vaut franchement le coup, le coffret se trouve pour pas très cher, sinon tous les films sont disponibles à l'unité aussi.
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