Le temps des vacances,
trois jeunes filles s’échappent de leurs soucis parisiens pour passer le mois
de septembre à Orouët sur la Côte de lumière (côte vendéenne). Une petite
maison, une longue plage déserte et au milieu, Joëlle, Karine et Caroline qui débordent
d’enthousiasme et de vitalité. Chaque jour réserve son lot de joies simples et
de fous rires malicieux, de surprises aussi anodines que réjouissantes, de
rencontres éphémères mais chargées d'émotions, à l’image de Gilbert (Bernard
Ménez), un chef de bureau un peu benêt, qui débarque en sabots au milieu du
trio.
Après le pourtant bel accueil critique de son inaugural Adieu Philippines (1962), Jacques Rozier
va rencontrer les plus grandes difficultés à signer son deuxième film. Sa
mauvaise entente avec Georges de Beauregard (producteur emblématique de la Nouvelle
Vague) sur le tournage d’Adieu Philippines
lui vaut une mauvaise réputation dans le milieu, ajouté à des méthodes de
travail singulières (Rozier ne présentant jamais un scénario fini car dès lors
il s’en désintéresserait). Il doit donc pour un temps retourner travailler à la
télévision où il réalise la série Ni
figue, ni raisin puis un épisode de la série documentaire Cinéastes de notre temps consacrée à
Jean Vigo. C’est d’ailleurs grâce à deux producteurs de l’ORTF qu’il aura la
possibilité de revenir au cinéma avec Du
côté d'Orouët, produit dans les conditions économiques d’un téléfilm
notamment au format 16 mm. Ce financement éloigne le projet de la direction
initiale voulue par Rozier, plus érotique.
Du côté d'Orouët
certes bien ancré dans son époque se déleste cependant des velléités politiques
et sociales d’Adieu Philippines. Dans
ce dernier l’imminence du départ pour la Guerre d’Algérie du héros jetait un
voile funeste sur le postulat léger d’amourette juvénile de vacances en Corse.
On suit ici trois jeunes filles, Joëlle (Danièle Croisy), Karine (Françoise
Guégan) et Caroline (Caroline Cartier) en vacances à Orouët sur la côte
vendéenne. L’introduction nous montre la grisaille de la vie urbaine, tant dans
le travail de bureau de Joëlle que dans les tentatives de séductions de son
chef Gilbert. Les vacances constitue donc une évasion que Rozier construit dans
la spontanéité du quotidien mais aussi une forme de compte à rebours menant
vers la fin de cette parenthèse enchantée – à travers les intertitres datant
les jours, répertoriant les lieux où déambulent les personnages.
Ce déracinement n’amène cependant pas de révélation
particulière, entre les désirs terre à terre de Joëlle préoccupée par son
régime, ou les amusements puérils de Karine et Caroline moquant notamment l’accent
local dans leur prononciation de Orouët. Rozier se déleste de toute trame
narrative classique pour observer ce quotidien de fin d’été dans toute sa
fastidieuse langueur. C’est là qu’il cherche à capturer l’émotion, les sursauts
d’humanité, sans ressorts dramatique marqué. Le film passe ainsi souvent des
rires à la mélancolie sans prévenir, de manière insidieuse dans le ressenti du
spectateur. On finit ainsi par deviner la légère mise à l’écart de Joëlle face
à Karine et Caroline qui partagent des souvenirs d’enfance communs en ces
lieux. L’arrivée impromptue de Gilbert appuie cela, compagnon de jeu et sources
de moqueries potaches pour elles tandis que Joëlle ne peut s’empêcher de
mépriser ce collègue collant et rasoir venu la poursuivre jusque sur son lieu
de vacances.
Cette apparition relance la dynamique du récit, les moments complices
et potaches (la scène des anguilles vivantes) alternant avec d’autres plus
rudes mais reposant toujours sur la volonté d’improvisation de Rozier. La
possibilité d’un tournage en prise son direct (les bandes perdues sur Adieu
Philippines avaient obligé à recourir à la postsynchronisation moins spontanée
sur ce dernier) permet au réalisateur de radicaliser sa méthode, laissant
tourner la caméra suffisamment longtemps pour que les comédiens lâche prise,
cède à des réactions plus naturelles en ne sachant pas s’ils sont toujours (ou
déjà) filmés. En coulisse notamment Bernard Menez était tout autant sujet aux
taquineries de ses partenaires qu’à l’écran. La trame est lâche mais le fil rouge repose
sur les sentiments des personnages et c’est là que la mise en scène se laisse
voir sous l’aspect « sur le vif ». Le bellâtre Patrick amène ainsi
une certaine tension amoureuse notamment lors de la scène du repas où Rozier
isole le regard jaloux de Joëlle vers Kareen et Patrick dont la conversation
chuchotée envahit la bande-son.
C’est
par ces attitudes discrètes, ses petits gestes qui trahissent, que les
protagonistes sortent de leur hédonisme. Le départ progressif de chacun ne naît
pas d’un conflit mais du ressenti de la fin ou de l’impossibilité de quelque
chose dans l’atmosphère (cet ultime repas mortifère et épuisé). Le cadre naturel
a une importance fondamentale dans cette idée, les matinées baignées de
lumières, les déjeuners nonchalants et les cavalcades sur la plage cédant
progressivement aux fins de jour crépusculaires, au silence lourd de sens. Les
ambiances et nuances de la photo de Colin Mounier jouant sur la subjectivité
des personnages dans la façon de les fondre au sein de ce décor naturel (très
beau plan où se dessinent les ombres de Joëlle et Caroline avec en arrière-plan une fenêtre
ouverte sur la fin du jour), l'ébahissement serein et l'amertume s'entrecroisant constamment.
Un spectacle où il se passe peu mais qui captive et
frustrerait presque dans ce retour à la ville final où l’on sent toutes les
possibilités de poursuivre le récit. Une belle réussite qui restera pourtant
confidentielle en sortant trois ans après son tournage et en ne restant qu’une
semaine en salle. Il faudra une ressortie en 1996 (et un format gonflé en 35 mm
pour l’occasion) pour que Du côté d'Orouët acquiert la renommée qu’il mérite.
Sorti en dvd zone 2 français chez Potemkine
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