Paris, été 1960.
Michel doit bientôt partir en Algérie pour le service militaire. En attendant,
il est machiniste à la télévision et fait la connaissance de Liliane et
Juliette, deux amies inséparables comme des amandes « philippines ». Michel
songe à ses derniers jours de liberté, quitte son travail et part en vacances
sur les routes de Corse où les deux filles décident de le rejoindre.
Avec ses deux court-métrage Rentrée des classes (1956) et Blue
Jeans (1958), Jacques Rozier s’était avéré un précurseur des préceptes de
la Nouvelle Vague. Lorsqu’A bout de
souffle (1959), film manifeste du mouvement, remporte le succès public et
critique que l’on sait, c’est donc tout naturellement que Jean-Luc Godard
recommande Rozier au producteur Georges de Beauregard soucieux de réitérer l’exploit.
Adieu Philippine
constitue le mélange de deux projets différents de Jacques Rozier, celui d’une
comédie musicale baptisée Embrassez-nous
ce soir et d’un autre (coécrit avec sa compagne Michèle O’Glor) dépeignant les dernières
semaines d’un appelé avant son départ en Algérie. Ces prémisses entre la
légèreté d’un genre et la gravité d’un contexte illustrent bien les contrastes
du film et de la filmographie à venir de Jacques Rozier. Le film célèbre ainsi
une forme de fougue juvénile et une tonalité picaresque tout en adoptant un
rythme languissant. La légèreté de l’ensemble est contrebalancée par l’ombre du
réel qui rattrapera les personnages de manière inéluctable. Cela se manifeste
par le carton d’ouverture ("1960, sixième année de guerre en Algérie")
ou par l’apparition d’un camarade revenu d’Algérie dont le mutisme sur son
expérience en dit long.
L’ensemble du récit apparaît donc comme l’ultime étape, la
dernière parenthèse avant la perte d’innocence qui transformera Michel (Jean-Claude
Aimini) ou pire ne le verra pas revenir. Le personnage incarne donc à lui seul
ce détachement à un réel qu’il veut oublier, et ce dès la première scène où il
apparaît nonchalant dans l’urgence d’un tournage de télévision en direct –
milieu bien connu par Jacques Rozier qui y fut assistant et lui rend hommage le
temps d’un dialogue où il souligne la rapidité d’exécution de la télé par
rapport au cinéma. C’est un même croisement d’urgence et de langueur rieuse qui
habite la longiligne Liliane (Yveline Céry) et la gironde Juliette (Stefania
Sabatini) qui se dispute les faveurs de Michel. C’est au départ un jeu de
séduction où elles voient avec amusement le jeune homme passer de l’une à l’autre,
où elles se plaisent à titiller sa susceptibilité et le rendre jaloux. La
joyeuse vie parisienne, des sorties ensoleillées du dimanche au dancing
nocturnes endiablés, représentent donc cet élan initial dans une urbanité
chargée qui masque les émotions et fige l’instant.
A l’inverse la seconde partie en Corse n’accorde plus ce
détachement que par intermittences (Liliane et Juliette sabordant les
tentatives de séduction de Michel auprès d’autres jeunes vacancières). Les
magnifiques grands espaces laissent s’introduire l’introspection et la
mélancolie. L’inconsistance juvénile qui témoignait de l’absence de lendemain
par la complicité des jeunes filles est désormais synonyme de conflit. Pour
Michel c’est la quête du dernier souvenir tendre avant le départ, et pour les
maintenant rivales Liliane/Juliette la dispute à celle qui marquera le plus de
son empreinte l’appelé. L’opposition peut être explicite par des querelles en
forme de pure gamineries, ou implicite et bouleversante avec ce plan sur le
visage en larmes de Liliane sous sa tente alors que Juliette est partie
rejointe Michel sur sa couche à l’extérieur.
Le filmage de Rozier se fond dans cet approche, moderne,
inventif et percutant en ville (les travellings nerveux qui accompagnent les
déambulations de rue de Juliette et Liliane) puis contemplatif, silencieux et
ample lorsque dans les élans charnels en Corse. Le marivaudage et l’atmosphère
estivale sixties oscille entre veine documentaire, trivialité (la rencontre
avec un bellâtre italien chantonnant) et stylisation hypnotique.
On pense à
cette scène de bal où Rozier capture le triomphe mutuel et la séduction de
chacune des jeunes filles, que ce soit la cha cha sensuel de Liliane le regard
rivé à la caméra, ou celui perdu mais triomphant de Juliette agrippé au bras de
Michel. Ce mariage image/musique accompagne l’émotion alors totalement sincère
et expressif de la conclusion. Michel embarque le cœur lourd vers sa triste
destination sur un chant corse traditionnel évoquant le départ des soldats,
tandis que Liliane et Juliette arpente sur le rythme de cette musique la jetée
d’où elles feront leurs adieux. Adieu
Philippine, c’est donc aussi et surtout la fin de l’adolescence et l’entrée
dans les maux de l’âge adulte.
Sorti en dvd zone 2 français chez Potemkine
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