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jeudi 21 février 2019

Katie Tippel - Keetje Tippel, Paul Verhoeven (1975)


Débarquée avec sa famille à Amsterdam en 1881, Katie Tippel (Monique Van de Ven) se retrouve vite contrainte à vendre son corps pour sa subsistance et celle de sa famille.  Son existence prend un tour nouveau quand elle devient la muse d’un peintre et la compagne du meilleur ami de celui-ci (Rutger Hauer). De fil en aiguille, cette petite fille née dans la misère fait ses premiers pas dans la haute société.

Avec Katie Tippel Paul Verhoeven initie le cycle de la féminité bafouée et revancharde de sa filmographie. On trouve donc déjà ici le contexte historique tourmenté de La Chair et le sang (1985) Black Book (2006), ainsi que l’environnement moral perverti de Showgirls (1995) – alors qu’un cadre trop « normal » comme Elle (2016) semble un peu le gêner aux entournures. Le film adapte les mémoires de Neel Doff, femme pauvre ayant réussi à s’élever aux sphères de la haute société dans la Hollande de la fin du XIXe siècle. Au départ ce devait être une véritable fresque historique évoquant la naissance du socialisme en Europe. Verhoeven et son scénariste Gerard Soeteman sont forcés de revoir leurs ambitions à la baisse faute de budget (empêchant les scènes de foules nécessaires) et même s’il en reste des traces dans le film, l’ensemble constitue plutôt un portrait de femme dans la lignée de Tess (le roman de Thomas Hardy plutôt que le film de Roman Polanski pas encore tourné).

Verhoeven nous dépeint ainsi une société hollandaise corrompue, où survivre est synonyme d’avilissement. Les traits juvéniles, la blondeur et la candeur de Katie (Monique van de Ven) dénote avec la fange qui l’entoure. Elle se démarque dans la pluvieuse scène d’ouverture où sa famille .s’apprête à embarquer pour Amsterdam et durant la traversée elle observe sa sœur se donner à un marin pour deux sandwichs. Tous les rapports sociaux et les situations du récit mène à ce même constat dominant/dominé, particulièrement parlant pour les femmes réduites à l’état de chair à plaisir. La seule variante sera la réponse qu’en donnera Katie et le degré de crasse ou raffinement dans lequel s’exerce cette domination. La jeune fille reste ainsi sur ses gardes face au contremaître libidineux d’une laverie, ne voit pas venir les assauts d’un vendeur de chapeau propre sur lui, subit les palpations de médecins vicieux et enfin accepte la relation « donnant/donnant » avec un séduisant employé de banque (Rutger Hauer qui reforme le couple de Turkish Delight (1973) avec Monique van de Ven).

Comme souvent chez Verhoeven, le corps féminin est subit les outrages avant de devenir un instrument de pouvoir pour l’héroïne. La description du corps évolue progressivement au fil des abus puis de l’assurance de Katie. Lorsqu’un vieillard la caresse dans une maison close, Verhoeven élève sa caméra pour nous faire observer ce moment à travers l’immense miroir qui trône dans la pièce. L’innocence souillée s’illustre dans une idée formelle aussi brillante que vulgaire où Katie s’amuse à constituer des formes en ombres chinoises avant que le sexe dressé de son agresseur surgisse dans le plan. L’approche est plus subtile dans le lien avec Rutger Hauer où la soumission ne s’exerce plus par la force mais par le confort matériel. Un lit chauffé, un toit sur la tête et de jolies robes font céder notre héroïne sans qu’elle s’en rendre réellement compte, la relation biaisée passant par l’agencement des amants dans la topographie de l’appartement. Katie n’est qu’une silhouette à reluquer, peloter, et où le personnage le plus respectueux usera également de son corps mais comme modèle. 

 Verhoeven montre bien peu de foi en l’humanité, le déséquilibre de cette société devant autant à la cruauté des riches qu’à la complaisance des pauvres. On finit par être le miroir de la crasse où l’on croupit, la sœur s’avérant physiquement monstrueuse tandis que cela est plus insidieux pour la mère véritable maquerelle poussant sa fille sur le trottoir. On peut regretter que les quelques élans de subtilité et d’émotions soient noyés dans le constat sans appel : ainsi le regard mélancolique de la mère avant la première passe de Katie s’oublie avec l’attitude grotesque qu’elle aura par la suite. La survie explique tous les débordements – même les plus abjects avec le petit frère manquant de céder à un pédophile. Heureusement le personnage de Katie est bien mieux écrit pour capturer ces contradictions comme quand elle sondera (et en sera bien punie) pour Rutger Hauer les commerces auxquels il doit accorder un prêt.

Formellement c’est sans doute le plus beau film de la période hollandaise de Verhoeven. Les cadrages et la superbe photo de Jan de Bont (marié alors à Monique van de Ven ce qui causera quelques tension au vu des nombreuses scènes sexuelles) figent des tableaux de misère saisissants tout en accordant des respirations élégiaques comme la magnifique scène de rencontre au kiosque. Pour les raisons évoquées plus haut, le recollage final à un questionnement politique fonctionne moyennement et c’est avant tout le parcours du personnage qui marque. Un beau brouillon des brûlots à venir mais qui laisse malgré tout un petit sentiment d’inachevé, on ne s’étonnera pas du simili remake plus tapageur qu’en fera Verhoeven avec Showgirls

Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan 

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