Débarquée avec sa
famille à Amsterdam en 1881, Katie Tippel (Monique Van de Ven) se retrouve vite
contrainte à vendre son corps pour sa subsistance et celle de sa famille. Son existence prend un tour nouveau quand elle
devient la muse d’un peintre et la compagne du meilleur ami de celui-ci (Rutger
Hauer). De fil en aiguille, cette petite fille née dans la misère fait ses
premiers pas dans la haute société.
Avec Katie Tippel Paul
Verhoeven initie le cycle de la féminité bafouée et revancharde de sa
filmographie. On trouve donc déjà ici le contexte historique tourmenté de La Chair et le sang (1985) Black Book (2006), ainsi que l’environnement
moral perverti de Showgirls (1995) –
alors qu’un cadre trop « normal » comme Elle (2016) semble un peu le gêner aux entournures. Le film adapte
les mémoires de Neel Doff, femme pauvre ayant réussi à s’élever aux sphères de
la haute société dans la Hollande de la fin du XIXe siècle. Au départ ce devait
être une véritable fresque historique évoquant la naissance du socialisme en
Europe. Verhoeven et son scénariste Gerard Soeteman sont forcés de revoir leurs
ambitions à la baisse faute de budget (empêchant les scènes de foules nécessaires)
et même s’il en reste des traces dans le film, l’ensemble constitue plutôt un
portrait de femme dans la lignée de Tess
(le roman de Thomas Hardy plutôt que le film de Roman Polanski pas encore
tourné).
Verhoeven nous dépeint ainsi une société hollandaise
corrompue, où survivre est synonyme d’avilissement. Les traits juvéniles, la
blondeur et la candeur de Katie (Monique van de Ven) dénote avec la fange qui l’entoure.
Elle se démarque dans la pluvieuse scène d’ouverture où sa famille .s’apprête à
embarquer pour Amsterdam et durant la traversée elle observe sa sœur se donner
à un marin pour deux sandwichs. Tous les rapports sociaux et les situations du
récit mène à ce même constat dominant/dominé, particulièrement parlant pour les
femmes réduites à l’état de chair à plaisir. La seule variante sera la réponse
qu’en donnera Katie et le degré de crasse ou raffinement dans lequel s’exerce cette
domination. La jeune fille reste ainsi sur ses gardes face au contremaître
libidineux d’une laverie, ne voit pas venir les assauts d’un vendeur de chapeau
propre sur lui, subit les palpations de médecins vicieux et enfin accepte la
relation « donnant/donnant » avec un séduisant employé de banque
(Rutger Hauer qui reforme le couple de Turkish
Delight (1973) avec Monique van de Ven).
Comme souvent chez Verhoeven, le corps féminin est subit les
outrages avant de devenir un instrument de pouvoir pour l’héroïne. La
description du corps évolue progressivement au fil des abus puis de l’assurance
de Katie. Lorsqu’un vieillard la caresse dans une maison close, Verhoeven élève
sa caméra pour nous faire observer ce moment à travers l’immense miroir qui
trône dans la pièce. L’innocence souillée s’illustre dans une idée formelle
aussi brillante que vulgaire où Katie s’amuse à constituer des formes en ombres
chinoises avant que le sexe dressé de son agresseur surgisse dans le plan. L’approche
est plus subtile dans le lien avec Rutger Hauer où la soumission ne s’exerce
plus par la force mais par le confort matériel. Un lit chauffé, un toit sur la
tête et de jolies robes font céder notre héroïne sans qu’elle s’en rendre
réellement compte, la relation biaisée passant par l’agencement des amants dans
la topographie de l’appartement. Katie n’est qu’une silhouette à reluquer,
peloter, et où le personnage le plus respectueux usera également de son corps
mais comme modèle.
Verhoeven montre bien peu de foi en l’humanité, le
déséquilibre de cette société devant autant à la cruauté des riches qu’à la
complaisance des pauvres. On finit par être le miroir de la crasse où l’on
croupit, la sœur s’avérant physiquement monstrueuse tandis que cela est plus
insidieux pour la mère véritable maquerelle poussant sa fille sur le trottoir.
On peut regretter que les quelques élans de subtilité et d’émotions soient
noyés dans le constat sans appel : ainsi le regard mélancolique de la mère
avant la première passe de Katie s’oublie avec l’attitude grotesque qu’elle
aura par la suite. La survie explique tous les débordements – même les plus
abjects avec le petit frère manquant de céder à un pédophile. Heureusement le
personnage de Katie est bien mieux écrit pour capturer ces contradictions comme
quand elle sondera (et en sera bien punie) pour Rutger Hauer les commerces
auxquels il doit accorder un prêt.
Formellement c’est sans doute le plus beau film de la
période hollandaise de Verhoeven. Les cadrages et la superbe photo de Jan de
Bont (marié alors à Monique van de Ven ce qui causera quelques tension au vu
des nombreuses scènes sexuelles) figent des tableaux de misère saisissants tout
en accordant des respirations élégiaques comme la magnifique scène de rencontre
au kiosque. Pour les raisons évoquées plus haut, le recollage final à un
questionnement politique fonctionne moyennement et c’est avant tout le parcours
du personnage qui marque. Un beau brouillon des brûlots à venir mais qui laisse
malgré tout un petit sentiment d’inachevé, on ne s’étonnera pas du simili
remake plus tapageur qu’en fera Verhoeven avec Showgirls.
Sorti en dvd zone 2 français chez Metropolitan
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