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jeudi 5 août 2021

Le Procès de Julie Richards - One Potato, Two Potato, Larry Peerce (1964)


 Après son divorce, Julie Cullen s'est installée dans une petite ville des États-Unis où elle mène une vie paisible en compagnie de sa fille. Elle rencontre alors, et épouse, Frank, un employé de bureau noir. Mais le retour de son ex-mari, qui réclame la garde de l'enfant, va faire éclater le couple.

Le Procès de Julie Richards est une œuvre fondamentale qui, trois ans avant le plus célèbre Devine qui vient dîner de Stanley Kramer (1967), montre un couple mixte à l’écran. C’était une interdiction inhérente au Code Hays encore appliquée mais détournée en pratique dans des récits ayant certes des couples mixtes à l’écran mais joués par des acteurs blancs (L’Héritage de la chair d’Elia Kazan (1949), Show Boat de George Sidney (1951), Mirage de la vie de Douglas Sirk (1959), toujours des actrices blanches jouant des métisses d’ailleurs), soit une ouverture hypocrite dans la fiction se heurtant à la réalité raciste. Le Procès de Julia Richards enfreint plus frontalement le tabou quelques années avant la fin de l’application du Code Hays dans le cadre d’une production indépendante modeste. Le contexte autorise cette audace puisqu’en 1964 et ce après des années de combats, le président Lyndon Johnson signe le Civil Rights Act mettant fin à « toutes formes de ségrégations, de discriminations reposant sur la race, la couleur, la religion, le sexe ou l’origine nationale. ». Ce dessein est désormais possible en théorie mais le film montre à quel point il est encore difficile de faire bouger les lignes en pratique. 

La construction en flashback et dans le cadre d’un verdict de procès amène un récit qui va à l’essentiel, usant de cette production à l’économie pour déployer une narration alerte. On observe ainsi les différentes étapes de la rencontre, l’attirance, la romance puis le mariage entre la blanche Julie Cullen (Barbara Barrie) et son collègue noir Frank Richards (Bernie Hamilton). Mariée trop jeune et divorcée, Julie trouve en Frank toute la tendresse, l’instinct protecteur et la fibre paternelle pour sa fille Ellen Mary qui a manqué avec son premier époux. L’un des éléments très intéressant du film, c’est de rendre diffus ce racisme que l’on sait encore existant. Frank est intégré et apprécié de ses collègues qui ne font aucune différence avec lui et le début du film alterne justement les tranches de vie de cette classe moyenne provinciale sans problème de discrimination. 

C’est lorsque le rapprochement amoureux entre Julie et Frank se manifeste que les premiers clivages apparaissent. Ils viennent autant de l’extérieur (un policier raciste qui interpelle le couple) que de l’intérieur avec la crispation de la famille de Frank, mais le couple parvient à rester soudé. Le vrai racisme se ressent dans ce qu’il a de plus discret et insidieux, dans des éléments subtilement sous-jacents. Ainsi contrairement à la festive scène de mariage de leurs collègues vue plus tôt, Julie et Frank se marie presque clandestinement et la caméra de Larry Peerce s’attarde longuement sur le regard dédaigneux de l’assistante du juge de paix. Dès lors le couple n’aura presque plus aucune interaction avec leur entourage « blanc » et s’extirpe à leur regard en s’installant dans la ferme des parents de Frank (dont les réticences reposaient plus sur une peur de cette opprobre extérieure plutôt que le racisme). On comprend donc que le racisme relève dans cette Amérique changeante et plus progressiste d’une donne implicite plutôt que d’un rejet plus manifeste. 

Ce versant honteux et coupable se manifeste avec l’apparition de l’ex-mari de Julie, (Richard Mulligan), homme que l’on pourrait supposer ouvert après ces voyages à l’étranger mais dont tous les préjugés ressurgissent en voyant son ancienne épouse unie à un noir et sa fille élevée au milieu des « nègres ». Ce côté insidieux apparait alors au grand jour quand un inconcevable doute est permis quant à la garde que réclame de sa fille que réclame l’ex-mari. Julie et Frank offre foyer aimant et équilibré à Ellen Mary (affranchie dans ce cadre des préjugés et même des stéréotypes quand on la voit jouer au cowboy comme un garçon le ferait) face à la condition précaire du père, ce qui suffirait dans n’importe quelle affaire pour gagner. Mais il se trouve que ce foyer est repose sur un « handicap », celui de plonger une petite fille blanche au milieu de noirs. 

Larry Peerce exprime avec force ce déni ne tenant qu’à la couleur, que Frank constate douloureusement en ne pouvant laver l’honneur de sa femme puis en voyant la garde de sa belle-fille menacée. Le personnage du juge démontre en effet que l’on se trouve dans une Amérique changeante par le constat objectif qu’il fait, mais affirme aussi la force vivace des préjugés dans le jugement subjectif et contradictoire qu’il rend. La fin du film est particulièrement éprouvante par son issue cruelle (et inspirée de plusieurs cas similaires intervenus dans la société d’alors). Une œuvre puissante, poignante et nécessaire portée par un duo d’acteur formidable à l’alchimie palpable bien si douloureusement mise à l’épreuve. 


 Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Studiocanal

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