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dimanche 24 septembre 2023

Prospero's Books - Peter Greenaway (1991)


 Exilé sur une île pendant des années, Prospero a réussi, grâce à ses livres, à en faire un petit royaume modèle. Sa rancune demeure vis-à-vis des ennemis qui ont usurpé son duché. Aidé de son serviteur Ariel et d'un livre magique, il crée une tempête qui amène ses ennemis à lui. Il élabore un scénario qu'il appelle « La tempête ». Il y raconte son histoire, son passé, manipule les vivants, invente leur avenir.

Prospero’s Book voit Peter Greenaway s’essayer pour la première fois (au cinéma du moins, puisqu’il adapta L’Enfer de Dante dans la mini-série A Tv Dante en 1990) à l’exercice de l’adaptation en s’attaquant à La Tempête de William Shakespeare. C’est initialement un projet caressé de longue date par John Gielgud, immense acteur shakespearien, qui rêvait d’interpréter Prospero au cinéma après l’avoir fait à quatre reprises (en 1931, 1940, 1957 et 1974) sur les scènes britanniques tout au long de sa carrière. Il va solliciter au fil des décennies divers réalisateurs tels que Alain Resnais, Ingmar Bergman, Akira Kurosawa ou Orson Welles sans que cela ne puisse aboutir. La tentative la plus proche de se faire sera celle avec Orson Welles (qui envisageait aussi d’y jouer Caliban) mais l’échec commercial de Falstaff (1965), précédente collaboration et déjà adaptation de Shakespeare, sonnera le glas du projet. Il faudra donc attendre la fin des années 80 pour voir Peter Greenaway faire enfin aboutir le rêve de John Gielgud, le triomphe de Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (1989) semblant avoir délié la bourse des financiers pour une coproduction internationale comptant parmi les films les plus fastueux du réalisateur.

La Tempête est une des dernières pièces écrites par Shakespeare, une de celle où il essaie d’explorer avec le plus de force la complexité de l’âme humaine à travers le personnage de Prospero. Les sentiments de ce dernier y varie du dépit au désespoir, de l’esprit de vengeance à la miséricorde, de la tourmente à la quête d’apaisement final. L’île où il a échoué avec sa fille, après la trahison des siens, est un miroir de cet esprit agité de Prospero. Il va ainsi plier cet environnement, ses êtres et la magie qui y circule à sa vengeance en y attirant ses anciens ennemis qu’il va soumettre à diverses épreuves. Un protagoniste à l’esprit démiurge se perdant dans un sentiment de toute puissance à cause de son orgueil (Meurtre dans un jardin anglais (1982)), guetté par la folie (Zoo (1985)), trahit par son corps (Le Ventre de l’architecte (1987)) ou justement un esprit de vengeance (Drowning by numbers (1988)) constitue justement un thème récurrent chez Peter Greenaway. 

Il pousse donc ici la logique jusqu’au bout en faisant de Prospero (John Gielgud) le prolongement de Shakespeare dans la fiction (ce qui est explicite lors de la conclusion où les pages restantes du seul ouvrage conservé servira à écrire La Tempête), et plus globalement le véritable maître de la narration. Cela est une évidence dans les éléments même de la pièce, où finalement Prospero fait preuve de la même fourberie que ses adversaires pour gagner le pouvoir sur l’île au détriment de Caliban (Michael Clark). L’esthétique du film avance au gré de cette volonté toute puissance de Prospero et cet hypnotique travelling le voit traverser un environnement luxuriant, bariolé et dionysiaque de sa silhouette stoïque, maître du temps et de l’espace dans le tumulte ambiant. 

L’autre idée folle est de faire de la voix de Prospero (et par extension celle de John Gielgud qui offre de sidérantes variations de jeu) celle de l’ensemble des personnages, masculins comme féminins, ce qui prolonge cette idée de faire de tous ses marionnettes. L’esprit en ébullition de Prospero est aussi représenté par l’apparition successive tout au long du récit de ses 24 livres, réminiscence des livres perdus du philosophe grec Epicure. Là c’est également Peter Greenaway qui superpose sa vision à celle de son héros, le foisonnement de concepts et schémas qu’on y lit semblant directement issus des probables et innombrables archives d’idées qu’on devine exister dans les tiroirs du réalisateur. Le travail sur les cadres dans le cadre exprime une inspiration picturale récurrente chez Greenaway influencé ici par les peintres de la Renaissance, mais est une autre façon de renforcer ce regard démiurge qui peut aussi être ici interprété comme cinématographique. 

Il y a un côté fascinant par cette surcharge formelle où Greenaway convoque tous les arts, théâtre, opéra, danse dans un ensemble à la fois harmonieux et imprévisible dont ressortent quelques moments proprement stupéfiant comme la séquence de « mariage » entre Ferdinand et la fille de Prospero. Ce classicisme se mêle à la modernité, par le choix des collaborateurs pour Greenaway (Emi Wada aux costumes et qui retrouvera Greenaway sur 8 femmes ½ (1999)) et l’expérimentation de nouvelles technologies, notamment les inserts d’images digitaux (pour incruster le contenu des livres à l’image analogique et fusionner les deux niveaux de récit) qui dynamite tout velléités un possible côté compassé.

Il manque peut-être la connexion au réel, la dimension sociale voire sociologique que Greenaway parvient souvent à intégrer à ses grands défis formels – ce qui se ressent dans le score de Michael Nyman, brillant mais lié de façon moins organique et émotionnelle au récit que d’habitude. On échappe malgré tout au côté exercice de style, à la dimension d’installation d’arts contemporain qui guette, grâce à la réelle émotion des derniers instants. C’est paradoxalement en s’attaquant à une adaptation que Greenaway se libère d’un contrôle trop visible, en voyant le héros démiurge renoncer à sa maîtrise et à sa rancœur pour choisir d’avoir un esprit apaisé. Le travelling arrière sur le visage projeté d’un Prospero enfin calme et repentant réunit et équilibre en une image poignante (et presque sobre) toute l’ambition du réalisateur. 

Sorti en bluray anglais

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