Un beau jour, le miroir dans la chambre de Kokoro se met à scintiller. À peine la jeune fille l’a-t-elle effleuré qu’elle se retrouve dans un formidable château digne d’un conte de fées. Là, une mystérieuse fillette affublée d’un masque de loup lui soumet un défi. Elle a un an pour l’accomplir et ainsi réaliser un souhait. Seulement Kokoro n’est pas seule : six autres adolescents ont le même objectif qu’elle.
Keiichi Hara avait déçu nombre de ses admirateurs avec son œuvre précédente, Wonderland, le royaume de la pluie (2019). Le foisonnement formel s’y laissait déborder par une intrigue plus conventionnelle et loin de la profondeur de ses premiers travaux. Sans égaler les réussites passées, Wonderland finissait pourtant par révéler un charme et une émotion inattendue, dans la droite lignée des constructions de récit refusant l’évidence trop visible qui caractérise le réalisateur. Le Château solitaire dans le miroir voit Hara marier la « facilité » de certains éléments de Wonderland (énième postulat d’Isekai avec cette héroïne mal dans sa peau transportée dans un autre monde) avec la profondeur d’Un été avec Coo (2007) et surtout Colorful (2010) auquel on pense beaucoup.
Colorful désarçonnait puis bouleversait par son héros renfermé et capricieux avant sa saisissante conclusion qui révélait les maux expliquant cette attitude. Le Château solitaire dans le miroir s’avère moins explicitement rugueux dans son approche tout en creusant le même sillon des tourments adolescents. Il s’agit d’une adaptation d’un roman de Mizuki Tsujimura qui remporta un immense succès au Japon lors de sa publication en 2017. Elle est également l’autrice du roman dont fut adapté True Mothers de Naomi Kawase (2020), ce qui situe sa capacité à explorer des sujets douloureux, à capturer avec justesse l’intime quel que soit l’âge de son lectorat. C’est ce qui frappe immédiatement ici avec son argument mariant un point de départ vu et revu (y compris chez Hara avec Wonderland), entre Alice aux pays des merveilles, Le Voyage de Chihiro ou le plus balisé des Isekai), avec un véritable drame adolescent parvenant à trouver un vrai vertige existentiel et métaphysique.Le monde parallèle dans lequel se fait aspirer la jeune Kokoro via le miroir de sa chambre s’avère aussi luxuriant que minimaliste. Il se résume à un château de conte où elle est invitée, avec six autres adolescents, à se rendre à sa guise durant un an et y relever un défi selon des créneaux horaires bien spécifiques, sous peine de croiser le cerbère de ces lieux. La symbolique des règles du château se révèle peu à peu. Le château n’est pas comme dans un Isekai basique le lieu d’une seconde chance, d’une réincarnation où l’on se découvre de nouvelles aptitudes, mais tout simplement une extension du foyer et refuge au sein duquel on s’abrite des tourments du collège – il s’avère vite que les six élus sont victimes de harcèlement scolaire. L’échéance d’un an et le défi à surmonter dans le monde parallèle est donc aussi celui correspondant à reprendre sa vie en main dans la réalité.Hara ne joue pas spécialement sur le mystère des lieux et les éléments balisés de son intrigue, mais travaille avant tout l’étude de caractère de son groupe. La présence ou l’absence de chacun révèle en pointillé la disgrâce, la nouvelle humiliation scolaire dont ils ont été victime, et les interactions au sein du château reproduisent parfois incidemment l’ostracisation de certains camarades. Si les flashbacks fragmentés laissent peu à peu deviner les raisons du trouble de Kokoro, la caractérisation subtile des autres protagonistes laisse habilement entrevoir leurs difficultés, avant qu’un bouleversant rebondissement final ne nous les expose crûment. Le jeu de piste est visible dans le château et davantage implicite dans le monde réel pour se rejoindre dans une sorte de belle fraternité des exclus et laissés pour compte, à travers l’espace et le temps. Le lien entre les personnages va alors révéler un pan inattendu qui ajoute une profondeur touchante à l’ensemble.Keiichi Hara explore des zones parfois très sombres mais sans complaisances illustrant tout un spectre cruel des maux adolescents, tout en affirmant l’espoir de s’en remettre dans la résolution. Le château et tous les personnages (l’hôte juvénile au masque de loup), décors et accessoires associés sont les pièces d’un espace mental ne représentant pas un mystère à résoudre, mais un destin à affronter. Le mélange de féérie et de sobriété est brillamment tenu et offre en définitive une œuvre très touchante.En salle
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