Dévoreur de pellicule monomaniaque, ce blog servira à commenter pour ceux que cela intéresse tout mes visionnages de classiques, coup de coeur et curiosités. Je vais tenter le défi de la chronique journalière histoire de justifier le titre du blog donc chaque jour nouveau film et nouveau topo plus ou moins long selon l'inspiration. Bonne lecture et plein de découvertes j'espère! Vous pouvez me contacter à justinkwedi@gmail.com, sur twitter et instagram

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mardi 16 mai 2023

Un été avec Coo - Kappa no Kū to natsuyasumi, Keiichi Hara (2007)

Kôichi, jeune écolier en quatrième année de primaire, découvre une pierre bien étrange dans le lit asséché d'une rivière et la rapporte à la maison. Alors qu'il décide de laver ce précieux trophée, un étrange animal en sort. Surprise, c'est un kappa, un esprit de l'eau. La famille de Kôichi appelle ce kappa Coo et décide d'en prendre soin. Toutefois, la rumeur de la présence de Coo ne tarde pas à se propager et toute la ville ne parle plus que de lui.

Un été avec Coo est un beau récit initiatique qui révéla au grand public le talent de Keiichi Hara. Ce dernier est déjà un vétéran de l’animation pour enfant lorsqu’il s’attèle au film, ayant longuement dirigé les emblématiques séries Doraemon et Crayon Shin-chan à la télévision. Un été avec Coo est son premier long-métrage de cinéma et lui donne enfin l’occasion de s’atteler à un projet personnel. Le film est l’adaptation d’une trilogie de romans de Masao Kagure publiée au Japon dans les années 80. Keiichi Hara adapte plus spécifiquement deux romans du cycle, Tumulte autour d'un kappa et L'Etonnant Voyage d'un kappa, après être tombé sous le charme des livres et avoir bataillé dix ans pour les retranscrire à l’écran.

On trouve déjà là en germe ce qui fera l’attrait et la spécificité des films suivants du cinéaste, Colorful (2010), Miss Hokusai (2015) et Wonderland : Le Royaume sans pluie (2019). Le réalisateur a une capacité à entremêler poésie, candeur et vraie noirceur avec un rare talent dans les odyssées tourmentées de ses protagonistes. On le ressent dès la scène d’ouverture située à l’ère Edo où la naïveté des kappas est victime de la mesquinerie humaine. Les kappas sont des yokais (créature mythologique japonaise) à la morphologie au croisement du canard, du singe et de la tortue, rattaché à l’eau. Hara choisit dans son film de ne reprendre que sous un jour positif et attachant les leitmotivs inhérents aux kappas, notamment leur politesse lors de cette première scène où un kappa adulte décide d’aborder de nuit un notable pour le conjurer de stopper les travaux qui conduiront à assécher son marais. Son interlocuteurs outré l’abat d’un coup de sabre sous les yeux du jeune fils du kappa, qui va son tour périr enseveli à la suite d’un tremblement de terre.

De nos jours Koichi, un jeune écolier, va par hasard déterrer et réveiller le jeune kappa qu’il va baptiser Coo et ramener dans sa famille. Keiichi Hara dès lors montre l’attachement progressif entre cette famille et la créature qui redécouvre le monde à travers ses mues contemporaines. C’est une société où il n’a plus sa place, où l’urbanité à envahit ses anciennes demeures tandis que ses semblables semblent s’être volatilisé. Le côté espiègle, farceur et paillards des kappas est respecté par Hara mais à travers l’âme de l’enfant qu’est encore Coo. La tentation serait grande d’y voir une sorte relecture japonaise de E.T., mais le film se refuse à l’urgence de péripéties dramatiques pour privilégier le quotidien. Ce dernier se fait rieur quand les mœurs du kappa bousculent les habitudes de ses hôtes, dont ce tempérament rieur lorsqu’il les défie au sumo. La mélancolie s’installe pourtant progressivement quand, malgré l’aide de Koichi, Coo comprend peu à peu qu’il semble être le dernier de sa race et que le mode de vie humain restreint sa soif de liberté, d’espaces et de nature.

Il y a une certaine familiarité avec le studio Ghibli dans cette description d’une difficile coexistence entre un Japon mythologique et moderne. L’ombre d’un Isao Takahata plane grandement, la célébration de la ruralité japonaise évoquant Souvenir goutte à goutte (1991), la narration façon tranche de vie d’une famille japonaise ordinaire rappelant Mes voisins les Yamada (1999), et l’exclusion des yokais d’un Japon contemporain étant bien sûr déjà au centre de Pompoko (1994). Cependant chez Takahata le désenchantement venait de l’urgence et de la perte de valeurs des sociétés moderne, faisant perdre le goût d’une vie simple (Souvenir goutte à goutte), la fantaisie ordinaire (Mes voisins les Yamada) et par extension la croyance dans le mythe et le spirituel (Pompoko). Ce n’est absolument pas le propos de Keiichi Hara, l’introduction dans le passé tout comme le récit dans le présent voyant les personnages, passé la surprise initiale, ne jamais remettre en question l’existence du kappa ni même être réellement effrayés par lui. 

Les maux que fustigent le réalisateur sont ceux de l’égoïsme, de la quête de sensationnel dénuée de la moindre empathie pour ses semblables. Ce travers est dépeint dans l’intime lorsque Koichi se montre capable de toutes les attentions pour le nouvel ami et la curiosité que constitue Coo, tout en participant passivement à l’exclusion d’une camarade harcelée dans son école. Plus tard ivre de la notoriété que suscite la révélation publique de l’existence de Coo, il participera au cirque médiatique au détriment des sentiments de son compagnon. A échelle plus vaste, la curiosité et l’intrusion extérieure des médias, la curiosité malsaine des quidams, sont révélateurs de la place du mythe dans la société actuelle. Le malheureux Coo n’est bon qu’à être épié, filmé, photographié afin d’immortaliser son passage par l’image plutôt que la compréhension, la connaissance de son être.

La bienveillance ne naît que dans les cercles restreints plutôt qu’à l’échelle collective déshumanisée (la scène où depuis les hauteurs Coo semble comme piégé face au panorama urbain), et notamment les relations sincères et sans malice qu’entretiennent entre elles les créatures sauvages et/ou mythologique. Les dialogues « télépathiques » entre Coo et le chien de la famille Chef sont parmi les plus touchantes du film, tout comme la rencontre de Coo avec l’esprit gardant une auberge rurale. Cet esprit après avoir avoué à un Coo dépité qu’il n’a pas croisé un kappa depuis une centaine d’année, va apaiser sa tristesse par une comptine nocturne envoutante et apaisante. Keiichi Hara marie dans un équilibre délicat une légèreté traduisant l’image ancestrale et potache du kappa (son goût pour les concombres, sa tendance à lâcher des pets impromptus) avec un désenchantement du temps présent où la créature ne semble plus avoir sa place.

Ce mélange de noirceur et de luminosité exprime ainsi le rapport ambivalent du Japon à son folklore et ses traditions, figés en vignettes touristiques ou publicitaires (les multiples statues de kappa lors de l’expédition rurale de Coo et Koichi) plutôt qu’en philosophie de vie. C’est touchant et captivant de bout en bout, jusqu’à une magnifique conclusion jouant de nouveau sur une émotion contrastée. Une déchirante séparation laisse ainsi entrevoir un mythe en retrait mais toujours vivace, existant parmi nous sans que nous le soupçonnions dans une logique transformiste à la Pompoko justement. Coup d’essai et coup de maître pour Keiichi Hara. 

Sorti en bluray et dvd zone 2 français chez Kaze

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