Avant de s'orienter vers des productions plus nanties et commerciales, Lawrence Ah Mon fut le temps de ses deux premiers films un réalisateur dans la continuité des ténors de la Nouvelle Vague hongkongaise. Gangs (1986) est un récit urbain à l'approche documentaire qui prolonge les travaux télévisés de Lawrence Ah Mon. Durant son travail de repérages pour ce film avec son scénariste Chan Man Keung, Lawrence Ah Mon va rencontrer une tenancière de maison close dont les confessions vont le marquer au point d'y consacrer son œuvre suivante, Queen of Temple Street. Temple Street est le cadre d'un marché nocturne à Hong Kong et aussi le terreau d'une faune criminelle dont le cinéma et la télévision s'empareront plusieurs fois, comme Lawrence Ah Mon qui y retournera pour Prince of Temple Street (1992) avec Andy Lau, ou encore The God of Cookery de Stephen Chow (1996) et C'est la vie mon chérie de Derek Yee (1993). Nous y suivons Wah (Sylvia Chang) qui y dirige une maison close tout en menant de front une vie personnelle tumultueuse. Elle tente d'élever ses deux jeunes garçons, tout en observant désespérée sa fille Yan (Rain Lau) embrasser le même destin dans le milieu des plaisirs tarifés.
Lawrence Ah Mon use d'un style sur le vif avec une caméra à l'épaule arpentant le quartier grouillant et interlope de Temple Street et scrutant ses petits trafics plus ou moins légaux, dont une Wah rabattant les passants vers son "commerce". Le film ne verse pas dans le sordide et le misérabilisme, mais se veut une étude de caractères des femmes vivotant dans ce milieu. La trame principale et le fil rouge repose sur la relation tumultueuse de Wah et de sa fille Yan, symbole d'un inéluctable déterminisme social puisque Wah elle-même fut la fille d'une prostituée avant de devenir hôtesse de bar puis mère maquerelle. Yan nourrit un profond ressentiment envers Wah du fait d'avoir grandie dans pareil environnement et de ne pas connaître son père, et semble céder à tous les pièges d'un milieu dont elle connaît les dangers dans une pure démarche rebelle et d'autodestruction. Au fil du récit, mère et fille exprimeront avec férocité leur griefs et encaisseront ce qui dans leur comportement a pu heurter l'autre. La faillite des hommes a obligé Wah à s'endurcir après l'expérience d'un premier amour volage et peu fiable (Lo Lieh excellent) et d’un second en apparence respectable car policier mais avili dans son addiction aux jeux d'argent. Ce cadre familial instable nourrit la défiance de Yan qui ne saura voir les sacrifices de sa mère, et cette dernière ne voyant en sa fille qu'une ingrate. Les scènes les opposant sont très justes dans leurs dialogues heurtés et un langage corporel agité où dans la violence exprimée on devine l'amour qu'elles ne savent communiquer l'une pour l'autre.La sororité semble être le ciment des héroïnes dans un monde où les hommes semblent tout sauf fiables. Les figures féminines semblent pourtant comme conditionnées à se soumettre à eux, du fait de leur métier mais aussi leur choix peu scrupuleux de compagnon telle cette prostituée payant les courses du foyer officiel de son amant avec l'argent de ses passes. Lawrence Ah Mon même sous un jour parfois trivial ne néglige aucun détail sordide du quotidien de ses travailleuses du sexe, que ce soit le gel dont elles s'enduisent les parties intimes pour supporter le défilé de clients, ou les bains de fin de journée dans lesquels elles trempent leur corps meurtris. On pourra tout juste pointer le fait de peut-être idéaliser le personnage de Sylvia Chang bienveillante et mère de substitution pour ses filles. Cela amène néanmoins une respiration et havre de paix à une société dont tous les pans semblent voués à l'exploitation du corps des femmes, ce qu'on comprendra dans le parcours sinueux de Yan exposée à une carrière dans les photos de charme, puis hôtesse de bar pouvant céder au client. La fange explicite dont pense s'extraire les personnages les guides vers une fange implicite où sous le verni respectable, la finalité est la même. Sous cette esthétique rugueuse, Lawrence Ah Mon met en place une approche très pensée dans sa progression, les lumières criardes du monde de la nuit laissant progressivement place (avec le rapprochement des personnages) à un éclairage plus épuré, blanc et immaculé à l'image de leur coeur à ne pas confondre avec le milieu dans lequel elles évoluent. Sylvia Chang livre une prestation énergique et très touchante, tandis que Rain Lau est une vraie révélation en jeune femme écorchée vive, leur alchimie et palpable et constitue le ciment émotionnel de ce beau film.Sorti en dvd hongkongais
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