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mardi 2 mai 2023

La Grande Parade - Dà Yuèbīng, Chen Kaige (1986)


 Six soldats de l'armée de l'air suivent un entraînement particulièrement difficile en vue de participer au défilé militaire de la fête nationale chinoise.

La Grande Parade est le second volet d'une trilogie inaugurant la filmographie de Chen Kaige, et dans laquelle il interroge son rapport à la Révolution Culturelle. Terre jaune (1984) et Le Roi des enfants (1987) recèlent une part biographique où Chen Kaige s'inspire en partie de son expérience de mobilisation par le Parti Communiste dans les campagnes pour récolter des chants traditionnels dans le film de 1984, et pour faire office d'enseignant assénant les préceptes de Mao aux enfants dans le film de 1987. La Grande Parade s'inscrit dans cette veine avec le récit du service militaire d'un groupe de soldats, en vue d'un grand défilé pour la fête nationale chinoise.

Le postulat parait au premier abord moins "insoumis" que les deux autres films de la trilogie avec ce contexte militaire que l'on pourrait craindre trop patriotique. Chen Kaige évite cet écueil tout en évitant prudemment d'égratigner la Chine. On va suivre un microcosme de soldats et d'officiers, tous engagés là pour des raisons bien différentes. L'éducation, le parcours, les origines sociales tout comme régionales amènent une promiscuité entre des individus antinomiques qui doivent cependant composer un corps uni en vue de la parade. Il y a quelque chose d'universel dans ce contexte pour les gens ayant eu l'expérience d'un service militaire, mais que Kaige rattache à quelques éléments plus spécifiquement chinois. 

L'expérience militaire est facteur d'ascenseur social, une manière d'élever sa condition que ce soit par le grade (tous les personnages étant engagés de leur plein gré), où l'accès aux études que confère ce passage quand on n’a pas les moyens de payer d'onéreuses écoles. Ces motivations peu patriotiques sont naturellement ébranlées lorsque soumises à la rigueur de certains exercices militaires et autres punitions, mais Chen Kaige capture la naissance d'un collectif et vrai esprit de corps qui semble plus devoir à la fraternité qu'au drapeau. L'entraide et les encouragements entre camarades en difficultés amènent des moments touchants, versant dans le drame ou la comédie légère comme les astuces vaines que proposent ses camarades à un soldat en difficulté physique à cause d'une jambe plus courte que l'autre.

Chen Kaige alterne constamment son filmage entre individu et collectif, en situation militaire ou dans l'intimité, pour saisir avec vérité les motivations comme les doutes de ses protagonistes. La défaillance physique a autant d'importance que la mentale, et concerne les simples soldats tout comme les gradés devant montrer l'exemple. Ce portrait à hauteur d'hommes évite ainsi le manichéisme ou la soumission au pouvoir dans les situations où il montre des protagonistes sincèrement habités par leur tâche. Un personnage en plein doute et sur le point de quitter la caserne (crachant des vérités amères sur la l'utilité de ce service) est ainsi ébranlé quand un soldat libéré car ayant perdu mère choisit de revenir, afin de défiler et honorer la mémoire de celle-ci qui aurait été fier de la voir en uniforme. 

Une révélation finale sur un des gradés les plus intransigeant viendra également mettre à mal ce simple point de vue patriotique. On peut aisément imaginer Kaige se retrouver dans ces sentiments contradictoires, lui qui adolescent puis jeune homme fut un maillon fervent du régime avant de le remettre en question dans sa filmographie des années 80/90 - avant un nouveau revirement plus déférent à partir des années 2000. Le film joue en tout cas habilement sur les deux tableaux sans pouvoir être accusé d'un côté ou de l'autre, la complexité de l'individu est largement exposée tout en célébrant dans toute l'imagerie militaire finale sa capacité à se fondre dans un ensemble - servant quoi, là est l'ambiguïté. 

Formellement on retrouve certaines expérimentations de Terre jaune dans le travail sur les focales, l'image se déformant au gré des éléments notamment la chaleur durant les épreuves d'endurance, Zhang Yimou à la photo anticipant d'ailleurs certaines de ses tentatives de Le Sorgho Rouge (1987). Et sinon l'avis est peut-être biaisé par le fait d'avoir vu le futur Adieu ma concubine (1993) avant, mais il est à noter une vraie atmosphère et promiscuité homoérotique dans le filmage des corps nus, l'attention et la tendresse sans détours dont font preuve les personnages (qui sont tous masculins), sans bien sûr franchir le pas d'une homosexualité explicite. Très beau film en tout cas qui s'inscrit dans ce beau début de carrière de Chen Kaige. 

 Sorti en dvd chinois

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