Mme Yoshino est la
fille d'un accessoiriste du théâtre Kabuki. Elle est belle, élégante et est
passée maître dans l'art de faire des poupées de papier traditionnelles qui
représentent des personnages célèbres du Kabuki. Mais elle est veuve, son mari
étant décédé six mois après leur mariage. Depuis, elle vit avec sa fille
Takako, adolescente en mal d'amour et jalouse de la beauté de sa mère.
Star incontestée du Pinku Eiga (cinéma érotique japonais) où
par choix elle privilégie les productions indépendantes, Naomi Tani changera
pourtant de dimension lorsqu’elle intégrera la Nikkatsu. En difficulté
financière, le studio s’est lancé à son tour dans le cinéma érotique à travers
ses « Roman Porno » à succès et souhaite enrôler l’artiste la plus
emblématique du genre. Naomi Tani bien que séduite par la facture visuelle des
productions Nikkatsu (les films bénéficiant des décors et techniciens autrefois
délégués à des titres plus prestigieux) refusera longtemps ces sollicitations car
les studios refuse de produire des œuvres sadomasochiste, registre qui a fait
sa gloire. La Nikkatsu finira par céder à ses demandes et pour son premier rôle
chez eux elle exigera une adaptation du roman d’Oniroku Dan Fleur Secrète (1974) qui introduit donc
le sadomasochisme au studio. Le film témoigne à la fois du regard singulier du
réalisateur Masaru Konuma et du jusqu’auboutisme de Naomi Tani. Le pitch voyait
un mari frustré organiser l’enlèvement de sa femme trop chaste, ses geôliers
devant la « dresser » afin de la rendre plus docile. La manœuvre se
retournerait pourtant contre lui, voyant sa femme prendre gout à ses pratiques
extrêmes et s’émanciper par cette sexualité hors-norme. Tout en respectant le
cahier des charges érotiques, Konuma délivrait un message féministe, dénonçant
le machisme de la société japonaise et prônant l’insoumission des femmes par
une libido libérée du joug masculin. Le film fut un immense succès et ferait de
Naomi Tani une véritable égérie.
La Vie secrète de
Madame Yoshino apporte une nouvelle pierre à l’édifice de la collaboration
entre Masaru Konuma et Naomi Tani, explorant les mêmes thèmes avec une plus
grande finesse encore. Mme Yoshino (Naomi Tani) est une jeune veuve vivant une
existence paisible, consacrée à l’éducation de sa fille Takako (Takako Kitagawa)
et à la confection et vente de poupée traditionnelles de personnages Kabuki.
Veuve après avoir perdu son époux au bout de six mois de mariage, Mme Yoshino
semble ainsi avoir renoncée à toute vie sentimentale, engoncée dans son costume
traditionnel, sa coiffe stricte et son sourire figé. D’autres semblent pourtant
deviner, désirer et/ou jalouser ce qui se dissimule sous cette apparence.
La
scène de bain avec sa fille dévoile ainsi le corps sculptural et les formes
généreuses de Naomi Tani, promesse de plaisir sous ses attitudes innocentes et
la relation fusionnelle avec sa fille laisse deviner la jalousie (à la fois incestueuse et rivale) de cette dernière
pour sa mère qu'elle souhaite voir rester célibataire. Le Pinku Eiga est un reflet monstrueux de la société japonaise d’alors
où l’homme impose sa loi, y compris sexuelle. Tous les hommes du film sont des
prédateurs cherchant à assouvir leur désir auprès de femmes soumises et Mme
Yoshino va justement être victime d’un de ses clients qui va abuser d’elle. Cet
acte révoltant va réveiller la libido endormie de Mme Yoshino de façon
impressionnante, en faisant un instrument de revanche sur les hommes.
Masaru Konuma amène cette bascule avec une grande intelligence.
Devinant presque que quelque chose s’est libérée en elle, les regards masculins
se font plus insistant sur Mme Yoshino qui sans céder se met dans des
situations dangereuses (quand elle suivra le jeune tatoueur) comme pour provoquer
le destin. Naomi Tani défait le masque progressivement pour signifier ce
trouble, Mme Yoshino perdant de sa présence figée par une expression où se
disputent la peur et la curiosité de ce désir montant en elle. Konuma joue
également sur les environnements, le Tokyo coloré et paisible, les intérieurs
rassurants laissant place aux bars que fréquentent désormais Mme Yoshino tandis
que les cadrages rendent les décors étouffant, que ce soit l’espace domestique
où des lieux plus inconnus. Le réel s'estompe pour nous faire pénétrer dans l'espace mental de Madame Yoshino.
Les compositions de plans se font plus
sophistiquées au fil de la prépondérance du sexe dans les préoccupations des
personnages (le viol de Mme Yoshino vu à travers les barreaux d’une chaise). On
quitte également le réel pour entrer dans le domaine du rêve et du fantasme,
Mme Yoshino voyant les souvenirs d’une agression subie plus jeune et enfouie
dans sa psyché ressurgir avec cet assaut d’un acteur kabuki.
Alors que Fleur Secrète se montrait très
démonstratif dans son expression du sadomasochisme (avec une Naomi Tani ligotée
et subissant les derniers outrages) on trouve ici une ambiguïté trouble. Le
désir sexuel renait après une agression qui en rappelle une autre, réelle ou
rêvée. Quoiqu’il en soit la violence semble avoir été un motif d’éveil et être
le moteur de la libido de l’héroïne. Cela s’avérera d’autant plus vrai quand
Mme Yoshino franchira le pas en cédant au petit ami de sa fille (Shin Nakamuru)
qui n’est autre que le fils de son amour de jeunesse et sans doute l’agresseur
de ses souvenirs.
Chaque relation semble faire monter l’appétit sexuel de Mme
Yoshino et la rendre toute puissante. Il faut voir le sens de l’abandon de
Naomi Tani dans sa première relation assumée. Masaru Konuma (comme il
l’explique très bien dans les bonus) joue sur cette manifestation de l’orgasme
propre aux japonaises, étouffé, coupable et les laissant à bout de souffle au
contraire du fantasme de la vision occidentale où les femmes doivent hurler
leur plaisir. La femme japonaise doit réfréner l’expression de son plaisir pour
laisser aux hommes l’espace d’affirmer le leur, comme un symbole à
l’horizontale de leur toute puissance en toutes choses sur le sexe faible.
Après avoir cédé à cette convention, le film se montre de plus en plus
scandaleux dans ses situations pour inverser cette idée.
Mme Yoshino voyant sa
fille et son petit ami copuler va ainsi se caresser frénétiquement dans une
scène incroyable où l’abandon lascif de Naomi Tani (où le choc de voir sa fille
commettre l’acte cède à sa propre pulsion sexuelle incontrôlable un moment
stupéfiant dans son jeu) n’a d’égal que la virtuosité de Konuma qui cadre en
plongée le couple et Mme Yoshino dissimulée en plein orgasme dans le même plan.
Désormais consciente de son agitation et souhaitant marquer ce changement, Mme
Yoshino va se faire tatouer un serpent sur le dos, retrouvant le tatoueur
qu’elle a initialement fui. Là encore ce sera une incroyable séquence, Konuma
faisant du tatouage une métaphore du coït d’abord vu une nouvelle fois comme
une force masculine avec Mme Yoshino se tortillant à la fois de douleur et de
plaisir dans une séance de tatouage traditionnel faisant office de séance SM
masquée. Une fois tatouée, Mme Yoshino est filmée à travers des éclairages
baroques en faisant une créature surnaturelle dont le désir est une damnation
pour les hommes qui s’abandonnent à ses charmes. Elle est Hanako, la femme serpent, personnage légendaire du théâtre kabuki et la séance de tatouage enfiévrée a constitué sa mue.
Les cadrages mais aussi les positions des amants montrent
désormais Mme Yoshino en posture dominante, l’acte étant devenu douloureux pour
des hommes (désormais réduit à l'état de simple objet sexuel et dont le visage voir le corps est laissé hors-champ) dépassés et à bout de forces fzce à cette mante religieuse.
L’éloge
du SM et la bascule voyant cette déviance rendre la femme plus forte est
magistralement amené dans une dernière partie au stupre vénéneux. Le tout dans
une mise en scène flamboyante, une photo somptueuse et une interprétation
incandescente. Le final ambigu célèbre cette émancipation tout en
l’interrompant violemment, comme si dans ce Japon une femme ne pouvait se
délivrer de ses chaînes que par le fantasme. Un sacré film.
Sorti en dvd zone 2 français chez Zootrope
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