Quartet est une des œuvres qui amorce la reconnaissance critique en devenir de James Ivory, salué notamment par le prix d'interprétation d'Isabelle Adjani à Cannes (qui réussira l'exploit d'avoir un double prix d'interprétation féminine puisqu'elle est récompensée durant le même festival pour Possession). Le film adapte le roman Postures de Jean Rhys qui s'y inspirait en partie de sa propre existence dans le Paris des Années Folles. C'est un matériau idéal pour James Ivory qui y retrouve ses thématiques sur les rapports de classe et la soumission. Marya (Isabelle Adjani) une jeune anglaise d'origine créole mène une vie bohème et insouciante avec son époux Stefan (Anthony Higgins) jusqu'à ce que celui-ci se fasse arrêter pour recel d'œuvre d'art. Livrée à elle-même tandis que Stefan est condamné à un an de prison, Marya croit trouver une planche de salut quand les Heidler, un couple anglais formé de HJ (Alan Bates) et Lois (Maggie Smith) décide de la recueillir. Pourtant très vite un rapport malsain va s'établir entre les trois.
Le Paris romantique et flamboyant fantasmé de cette période n'existe vraiment que par intermittence et surtout au début du film. Dès l'installation du ménage à trois un lien sordide lie le couple et leur jeune protégée. La bienveillance de HJ n'avait pour but que de posséder (dans tous les sens du terme) Marya, tous cela avec l'assentiment de Lois. Marya après avoir tenté en vain de résister va finalement céder aux avances insistantes de HJ. Le scénario développe avec finesse l'issue inéluctable de cette cohabitation. D'abord par ce fameux rapport de classe, Marya livrée à elle-même n'ayant d'autre choix que de s'abandonner aux assauts de HJ. Son dénuement en fait une proie facile, d'autant que la connivence entre les époux la rabaisse sans cesse à sa condition où elle n'est finalement pour eux qu'un jouet, une sorte d'animal de compagnie dont ils finiront par se lasser (ce qui est arrivé à d'anciennes protégée comme on l'apprendra).
L'essentiel est de maintenir des apparences respectables derrières lesquelles les relations peuvent être plus libres. Le film est également captivant dans sa description sordide de la condition féminine. Toutes les femmes de l'histoire son dépendante d'un "maître", qu'il soit époux, amants ou client qui disposent d'elles à leurs guise. Sans cela, aucune carrière ou quelconque possibilité d'avenir, ce que l'on comprendra avec toutes les tentatives de fuites vouées à l'échec de Marya, la candeur et la vulnérabilité d'Isabelle Adjani ajoutant à ce côté enfant livré à lui-même. Le plus frappant est l'absence de rébellion de ces femmes face à ce destin, Lois acceptant et encourageant avec tristesse les écarts de son époux (magnifique Maggie Smith qui fait passer toutes nuances en silence et avec un détachement de façade).
Marya qui conjugue l'infériorité de sa classe et de son sexe va tomber bien plus bas, tombant finalement folle amoureuse de celui qui la tourmente tant. Isabelle Adjani développe finalement en parallèle de son rôle de Possession une autre expression de la folie, cette fois amenée par celle d'un monde qui ne lui laisse pas d'autre choix que cette soumission déguisée en amour passionnel. Elle semble toujours dominée, affaissée et assujettie par Alan Bates lors de leur scènes d'amours et lorsqu'elle daigne l'affronter on ressent plus une sorte de dépit résigné que de la vraie rébellion.
Ivory et la scénariste Ruth Prawer Jhabvala renforce le côté passionné et torturé de ces rapports en comparaison du livre, HJ étant plutôt un anglais réfléchi pour lequel ce type de relation est normale au vu de son statut quand la prestation d'Alan Bates tutoie la démence par instant. De même Marya est nettement moins jolie que son équivalent au cinéma rendant naturel cette soumission alors que le drame est plus fort dans le film puisque même la beauté d'Isabelle Adjani ne pourra la sauver. C'est un thème au cœur de l'œuvre de Jean Rhys notamment son livre le plus connu La Prisonnière des Sargasses, sorte préquel de Jane Eyre où elle narrait le destin de la première épouse créole maudite de Rochester.
James Ivory instaure une atmosphère lente, oppressante et mortifère où l'on est bien loin des pétaradantes visions hollywoodiennes des Années Folles. La photo de Pierre Lhomme ajoute un côté terne et blafard qui jure avec l'inspiration impressionniste des compositions de plan d'Ivory, les scènes musicales montrent des danseuses momifiées et fantomatiques et la bande-son réinvente de façon plus contemporaine les deux titres de jazz interprétés par Armelia McQueen comme pour mieux s'éloigner des sons plus pétaradants et joyeux de l'époque. Les femmes restent les grandes perdantes jusqu'au bout et si rupture il y a, ce sera toujours pour tomber dans les griffes d'un nouveau "protecteur" à l'image du final glaçant. Pas le Ivory-Merchant le plus facile d'accès mais absolument captivant.
Sorti en dvd zone 2 français chez MK2
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