Un aumônier de prison,
un peu naïf mais bienveillant, est nommé pasteur à la place d'un ecclésiastique
de la haute société. Sa croyance reposant sur le pardon et la charité, le met
en contradiction avec les habitants de la ville. Toutes ces bonnes œuvres vont
engendrer des complications.
Heavens Above
vient conclure le grand cycle de comédie des frères Boulting qui tout au long
des années 50 passèrent au vitriol différents pans de la société anglaise avec
un mordant certain. Ce regard acide se manifesta dès les premières œuvres des
cinéastes, fustigeant l’isolationnisme anglais dans Thunder Rock (1942) et dressant un portrait très sombre de l’Angleterre
d’après-guerre dans Le Gang des tueurs (1947). C’est cependant lorsqu’ils se mettront à la comédie que le succès se
fera immense et la critique plus cinglante encore. La corruption, la bêtise et
le corporatisme d’institutions emblématiques passent ainsi sous le regard
impitoyable du duo dans un grand éclat de rire : l’armée dans Ce sacré z'héros (1956), le syndicalisme
dans Après moi le déluge (1959), la
justice avec Ce sacré confrère (1957) et enfin la diplomatie sur Carlton-Browne of the F.O. (1959). Dans
chacun des films, le schéma est le même et voit un naïf voire benêt intégrer ces
institutions et y semer la zizanie par son innocence et sa méconnaissance de
leur système corrompu. Heavens Above
fonctionne selon la même structure mais la satire semble cette fois avoir
laissé place à une plus grande noirceur. En apparence le scénario s’attaque
certes à l’église mais dresse finalement un regard profondément désabusé sur la
nature humaine.
La scène d’ouverture nous présente la ville imaginaire d’Orbiston
Parva, un microcosme reflet d’un monde où toute spiritualité a disparu. La
voix-off d’entertainer nous présentent les vrais dieux qui régentent la cité,
ceux du capitalisme. Les symboles de ce capitalisme reprennent à des fins
publicitaires les préceptes religieux, la Sainte Trinité devenant les trois
vertus de l’antidépresseur Tranquilax et le paradis n’étant convoqué que pour
se porter chance à la loterie locale. Les églises de la région ont intégrées ce
principe et se livrent une féroce concurrence, entre la fibre nationaliste de l’église
anglicane ou celles prônant la religion punitive promettant l’enfer au pêcheur,
les créneaux sont nombreux.
L’idolâtrie concerne plutôt les nantis locaux, la
famille Despard qui a truffée la ville de reliques de leur glorieux passé. Un « messie »
désintéressé va pourtant venir troubler cet ordre établi, John Smallwood (Peter
Sellers). Homonyme d’un collègue initialement destiné à ce presbytère,
Smallwood va donc passer d’aumônier de prison à ecclésiastique de cette ville
bourgeoise. Tout est fait pour souligner la nature humble de Smallwood, l’ensemble
du film constituant un chemin de croix amusé puis violent destiné à appuyer sa « sainteté ».
Arrivé à la gare sous une pluie torrentielle, c’est un camion poubelle qui le
ramène à sa nouvelle demeure. Ayant glissé dans un tombeau fraîchement creusé,
c’est également crasseux qu’il se présentera au très snob comité de la paroisse.
Smallwood n’a pourtant que faire de ces signes extérieurs, ce qui l’intéresse
est de révéler le meilleur de l’âme de ses paroissiens.
La première partie conjugue les premières actions de
Smallwood et la réaction outrées de l’institution religieuses embourgeoisée et
corrompue tentant de l’éliminer. Dénonçant l’égoïsme de ces concitoyens,
Smallwood choque en nommant un noir bedeau ou en installant chez lui une
famille de miséreux menacée d’expulsion. Les manœuvres de l’église – menées un
Cecil Parker symbole de cette corruption et ayant nombres de réplique
savoureuse – et leur échec seront sources de gags et quiproquos mémorable dont les Boulting ont le secret. Le
sacerdoce de notre héros bouscule alors simplement l’église mais va bientôt
ébranler la société tout entière, lui causant alors de vrais ennuis. L’altruisme
et la générosité ne font pas bon ménage avec le monde capitaliste, Smallwood
par distribution de denrées gratuites pour les démunis bouleversant l’économie
locale. Il en menace même les fondements puisque l’arrogante Lady Despard
(Isabel Jeans) touchée par la grâce va dilapider son patrimoine pour ces bonnes
œuvres, la vente de ses actions provoquant la méfiance des marchés.
Le film évite pourtant cette dualité réductrice, le dessein
de Smallwood ne pouvant réussir dans un monde où la corruption et l’individualisme
dépasse la dimension même de classe sociale pour n’être qu’un mal généralisé.
La famille Smith recueillie par notre héros s’avèrera une bande filous « affreux,
sales et méchants » vivant aux crochets des aides sociales, toujours
prêtes pour un mauvais coup et surtout au détriment de leur bienfaiteur. La
générosité de Lady Despard reposera plus sur l’espoir d’un au-delà que sur un réel souci des autres. L’analogie
entre la tendresse qu’elle donne à ses chiens et les sans-abris - eux-mêmes crasseux, profiteurs et anonymes -
qu’elle loge est d’un terrible cynisme. Smallwood n’avait pas prévu la nature
profondément mauvaise de l’Homme, indifférente à son milieu.
Le cadre même de
cet esprit de bienfaisance s’avère ainsi gangréné par la malveillance ordinaire :
les ménagères se crêpent le chignon pour des victuailles gratuites sous une
bannière « Aimez- vous les uns les autres », les Smith escamotent la
marchandise en vue de marché noir et les familles riches envoient leur
chauffeur en guenille pour profiter de l’aubaine. Alors que dans les
productions Ealing les singularités d’une communauté en faisait une entité unie
face au monde extérieur, l’esprit altruiste de Smallwood isole la ville et
divise ces habitants rattrapés par la loi du marché. Dès lors les anciennes
divisions et l’intolérance ordinaire s’en trouvera exacerbée, « l’autre »
quel qu’il soit étant toujours le responsable idéal.
La satire s’estompe pour le vrai pamphlet, le rire laissant
place au dépit – Ian Carmichael habituel benêt/naïf des Boulting n’a du coup qu’un
rôle fugace, incarnant l’autre Smallwood plus conciliant. La prestation de
Peter Sellers sauve pourtant l’ensemble du nihilisme qui guette l’ensemble. On
se souvient souvent de l’acteur pour ses prestations comiques schizophrènes – Lolita, Docteur Folamour – mais il sut souvent, notamment chez les Boulting
composer des prestations dramatiques habitées à comme l’ouvrier syndicaliste de
Après moi le déluge. Ici il se
déleste de tout artifice pour une interprétation réellement sincère. Le comique
naît de son optimisme béat face à la corruption ambiante et l’émotion persiste
également par sa bienveillance inébranlable envers son prochain pourtant si
décevant – ce sourire retrouvé dans sa demeure mise à sac simplement en
ramassant le jouet oublié d’une fillette.
La perte de son père en 1962 et les
discussions avec un prêtre qui s’ensuivirent auraient orienté cette option de
jeu chez Peter Sellers qui tient l’un des rôles les plus touchant de sa
carrière. La dimension christique de
Smallwood va se poursuivre sans le décalage comique initial. Faisant à une
foule haineuse refusant le message d’entraide qu’il lui offre, Smallwood sera lynché
mais aura aussi littéralement droit à son Ascension dans une conclusion
surprenante. L’humour plus diffus laisse ainsi place à une profondeur et une
émotion plus marquée qu’auparavant, les Boulting signant un pendant anglais plus
désabusé de L’Extravagant Mr Deeds –autre bienfaiteur rejeté – de Frank Capra.
Un de leurs meilleurs films.
Sorti en dvd zone 2 chez Tamasa
Extrait
Extrait
"La scène d’ouverture nous présente la ville imaginaire d’Orbiston Parva, un microcosme reflet d’un monde où toute spiritualité a disparu. La voix-off d’entertainer nous présentent les vrais dieux qui régentent la cité, ceux du capitalisme. Les symboles de ce capitalisme reprennent à des fins publicitaires les préceptes religieux, la Sainte Trinité devenant les trois vertus de l’antidépresseur Tranquilax et le paradis n’étant convoqué que pour se porter chance à la loterie locale. Les églises de la région ont intégrées ce principe et se livrent une féroce concurrence, entre la fibre nationaliste de l’église anglicane ou celles prônant la religion punitive promettant l’enfer au pêcheur, les créneaux sont nombreux."
RépondreSupprimerOn voit bien que ce n'est pas la ville imaginaire d’Orbiston Parva! D'après quelques faits cités ci-dessus c'est une ville déjà réelle!!!
bonjour, je viens de voir, enfin, Heaven's Above. L'humour est moins percutant que dans Aprés moi le déluge (un chef-d'oeuvre à mon sens) plus drôle,plus caustique,mais Heaven's above est bien plus sombre,comme vous le dites si bien, la satire allant bien au-delà de l'église, et visant la nature humaine. C'est moins candide que le Capra, plus noir et désespéré. Peter Sellers est formidable. J'ai adoré. Et encore bravo pour votre chronique. J'ai hâte de voir leurs autres comédies.
RépondreSupprimerOui à part le final plus excentrique le film est vraiment plus acide dans son ton comique bien désabusé sur la nature humaine. Et ils ont vraiment su donner des rôles différents à Peter Sellers il est excellet ici et pareil en délégué syndical dans Après moi le déluge. Et oui ça vaut le coup de creuser j'en ai chroniqué pas mal sur le blog il y a de quoi faire !
SupprimerJe suis fan du cinéma anglais, mais pas que, et je vais poursuivre ma découverte, grâce à vous,en partie,du cinéma des frères Boulting et d'autres.
RépondreSupprimerbonne soirée.
En plus ce n'étit pas forcément le cas il y quelques années mais désormais on trouve pas mal de leur films en France. Hors comédie "Le gang des tueurs" est un peit chef d'oeuvre du film noir, à voir aussi !
Supprimerle gang des tueurs, c'est Brighton rock?
Supprimerje l'ai. Excellent en effet.
Oui c'est bien Brighton Rock !
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