En plein service dans
une église isolée, un prêtre devient la cible des tirs d'un gangster qui fait
irruption dans le bâtiment. Alors que le prêcheur s'enfuit à travers champ, il
tombe sur un jeune homme fougueux et souriant qui venait juste de voler une voiture.
Laquelle le débarrasse opportunément de son poursuivant. Les deux hommes réunis
par accident vont vite développer une franche amitié, le cadet allant faire
retrouver à son ainé le goût pour les petits plaisirs de la vie. Voici d'un
côté John "Thunderbolt" Doherty, un ex-cambrioleur de banques
particulièrement doué mais retiré des affaires ; et de l'autre Lightfoot, un
garçon plein d’énergie et de bonne volonté, avide d’apprendre le métier.
Tous les films de Michael Cimino sont des odyssées qui nous
racontent l’Amérique où la grande Histoire se définit par l’intime. Voyage au bout de l’enfer (1978)
racontait le traumatisme du Vietnam à travers l’éclatement d’un groupe d’amis
confronté à l’horreur, La Porte du
paradis les origines sanglantes et l’inégalité par le destin des colons
européens et L’Année du dragon la complexité du melting-pot moderne avec un
héros complexe et ambigu. Le Canardeur
pose le premier jalon de cette approche et constitue une première œuvre attachante
pour Cimino. Après avoir obtenu un diplôme d’architecture, Cimino ne rêve que
de cinéma, affinant sa maîtrise technique avec des films publicitaire et
industriels.
Dans le même temps il soumet divers scripts à Hollywood, obtenant
une première reconnaissance avec celui du film de science-fiction Silent Running (1972) de Douglas
Trumbull. Fort de cette carte de visite, il va pouvoir proposer le scénario de Thunderbolt and Lightfoot à la plus
grande star du moment, Clint Eastwood. Celui-ci impressionné accepte de s’engager
mais impose une contrainte au débutant. John Milius parti réaliser son premier
film Dillinger a laissé à l’état d’ébauche
le script de Magnum Force, second
volet de la saga des Inspecteur Harry dont le tournage est imminent. Cimino
doit donc s’y atteler mais fort heureusement son travail donnera satisfaction à
Eastwood et Magnum Force sera un
succès.
Le titre Thunderbolt
and Lightfoot, sans rien connaître du contenu du film semble déjà être une
promesse d’aventures (façon Lewis et Clark dans l’idée). Cimino l’envisageait d’ailleurs
au départ comme un film d’époque dont il reste quelque chose dans les surnoms
de ses héros, Thunderbolt pouvant évoquer quelque nom de chef indien oublié
tandis que Lightfoot s’inspire carrément du héros irlandais Captain Lightfoot
(d’ailleurs incarné par Rock Hudson dans le film éponyme de Douglas Sirk). Cet
appel de l’aventure, Cimino saura l’équilibrer avec brio dans un ton conjuguant
le Nouvel Hollywood dans son genre phare du road-movie (Easy Rider de Dennis Hopper, Vanishing
Point de Deran Sarafian, L’Epouvantail
de Jerry Schatzberg, La Balade sauvage
de Terence Malick) et la pureté du classicisme hollywoodien convoquant John
Ford et Anthony Mann.
Sur le papier, le postulat du Canardeur pour d’ailleurs très bien être celui d’un western.
Retrouvé par d’ancien complice, le cambrioleur John « Thunderbolt »
Doherty (Clint Eastwood) est contraint dans sa fuite de s’associer au jeune
chien fou Lightfoot (Jeff Bridges) qui lui sauve la mise. Les deux s’embarquent
alors dans un périple picaresque fait de rencontre et situation rocambolesque
où ils tenteront de retrouver le butin d’un ancien casse tout en en préparant
un nouveau.
Le cadre de l’Amérique contemporaine amène un certain décalage
à ce pitch mais pas tant que cela en fait. Seul l’élément de la voiture dénote
dans les somptueuses compositions de plan de Cimino qui en nouveau maître du
cinémascope magnifie les paysages du Montana. Tous comme dans les grandes
épopées western, le décor est un prolongement de l’état d’esprit et des liens
entre les personnages. Thunderbolt, usé et ayant perdu gout à la vie va ainsi
voir sa flamme ranimée par l’énergie et l’audace de Lightfoot. Cimino a imaginé
le personnage de Jeff Bridges comme un double rigolard, débraillé et poupin de
Clint Eastwood (qui se déride réellement pour la première fois de sa carrière
avec ce personnage plus léger), le mimétisme jouant par leur grande taille,
attitude et coupe de cheveux.
Thunderbolt reconnaîtra en son cadet mal dégrossi
ce qu’il fut un temps, refusant d’abord cette amitié (« tu arrives dix ans
trop tard ») puis revivant à son contact. Là seulement la quête peut
commencer après une première partie volontairement erratique notamment une
rencontre délirante avec un »hillbilly » déjanté testant l’endurance
de ses passagers au pot d’échappement installé dans sa voiture et gardant une
centaine de lapin dans son coffre. C’est par ses éléments comiques décalés que
Cimino donnent un tour plus léger et attachant au film, l’ouverture avec Clint
Eastwood grimé en faux pasteur étant un des moments les plus mémorables.
Du coup même quand il se plie plus ouvertement aux règles du
genre, l’ensemble conserve ce ton particulier, ni distancié, ni postmoderne
mais simplement d’une modestie et légèreté se pliant à celle de ses
personnages. Les acolytes joués par George Kennedy et Geoffrey Lewis sont donc
certes brutaux et menaçant mais sont aussi irrésistiblement drôle, le premier
par ses colères noires (hilarant moment où il insulte un gamin) et le second
par ses airs ahuris. La préparation du casse laborieuse et certains éléments de
son exécution (Jeff Bridges travesti) mélange ainsi pure comédie et tension, le
geste héroïque ne pouvant que revêtir des atours rieurs tout en donnant une
aura mythologique aux personnages tel Eastwood surplombant son canon
destructeur (moment brillamment réutilisé pour l’affiche).
Seulement chez
Cimino les lendemain de fêtes sont toujours destructeurs et sentent la gueule
de bois. La longue scène de mariage qui concluait la première partie de Voyage au bout de l’enfer trouvait son
pendant avec un final endeuillé pesant nous éloignant de ce paradis perdu. La
terre d’accueil s’avérait hostile et l’Amérique naissait dans le sang et les
larmes dans La Porte du paradis. La
tragédie se dessine à une échelle plus modeste mais non moins touchante dans
une conclusion mélancolique et inattendue qui fait du Canardeur une des œuvres les
plus attachantes des 70’s. Un grand cinéaste était né.
Sorti en dvd zone 2 français et bluray chez Carlotta
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